La ronde des prénoms délicieusement démodés…

Je me suis intéressée aux prénoms de notre arbre généalogique. Aucune surprise en ce qui concerne le top 5 des prénoms les plus portés : Marie, Jeanne, Françoise, Anne et Claudine pour les filles, et Jean, François, Pierre, Joseph et Claude pour les garçons. Sur ce coup là, on n’est pas très original, en tout cas pour les siècles passés… Je retiens néanmoins, pour chaque genre, quelques pépites. Je vous invite donc aujourd’hui à rentrer avec moi dans la ronde des prénoms délicieusement démodés…

La ronde des garçons

Pour commencer, citons un Bénonime, né en 1782, non dans le Gard comme son prénom pourrait l’indiquer, mais en Côtes d’Armor… Nous avons également un Némorin (1850), mais qui n’était pas du tout né de nos MORIN à nous, puisque témoin du décès d’un de nos ancêtres en Haute-Saône… un Fiacre (1630), dont on ne sait pas, tout laboureur qu’il fût, s’il avait l’habitude de monter sur ses grands chevaux. Une poignée d’Hippolyte qui tentent de se distinguer au fil des siècles par le biais d’orthographes très approximatives (Hyppolite, Hippolite, Hippolithe, Hypolyte, etc.). On a aussi du lourd avec un Léger BOILLOZ en 1708, qui épouse une dame ROGNON en 1736 (sic!). Un Zéphirin fait son apparition en 1852, prénom qui semble beaucoup moins amusant quand on sait qu’il a été porté au 3ème siècle par un pape considéré comme martyr, à cause des souffrances qu’il eut à endurer pendant la persécution de Sévère. Le prénom Aguar (1836) fut porté par un ancêtre instituteur… (espérons qu’il ne l’était pas trop en entrant dans sa classe!). Fort heureusement, il ne faisait pas partie de notre lignée bretonne des AGAR et ne présentait donc pas de vertus gélifiantes particulières… Antide, né en 1747, avait sans doute trouvé quant à lui l’antidote pour ne pas mourir décapité comme le Saint qui porta ce prénom avant lui… Mermet, diminutif de Merme, a été porté par un ancêtre haut-savoyard en 1665. Et la palme ne peut revenir qu’à Palmyr, un prénom qui aurait plus sûrement un lien avec le site archéologique syrien plutôt qu’avec le zoo, et qui a été porté successivement en 1821 et 1843 par deux ancêtres francs-comtois…

La ronde des filles

Nous entrons dans la danse avec une Bénigne (1651) qui a eu la mauvaise idée de naître dans la famille TRUFFE… Bénigne TRUFFE, ça vous pose son homme, ou plutôt… sa femme ! Une Melquide nous fait aussi du pied en 1603. L’origine du prénom serait peut être à rapprocher de Melquiades, donné en Espagne et au Portugal… mais je n’en sais pas plus. Une Léocadie en 1869, sans doute la soeur de Jacques (a dit). On ne peut s’empêcher de penser que Scholastique a bien fait de naître en 1847 plutôt qu’à notre époque où ce genre de prénom élastique aurait eu vite fait de lui revenir en pleine face (pour la petite histoire, Sainte Scholastique était une moniale catholique née à Nursie en Italie en 480). Une Frésine née en 1863 a eu la bienséance de décéder en 1943 dans la capitale de la framboise à Machilly, Haute-Savoie. Marie Egyptienne (1820) s’est quant à elle perdue dans un petit village du Doubs, bien loin de la Palestine d’où ce prénom est issu (plus précisément de Sainte Marie l’Egyptienne qui y aurait vécu au Vème siècle). Le prénom Andréanne est quant à lui décliné au fil des siècles dans diverses versions et graphies, Andrya, Audrya, Andréa, et j’en passe. Amadea (1708), Althéma (1810), Anatolia (1616) nous remplissent la bouche de A pour bien insister sur la spécificité toute féminine de celles qui les portent. Par contre, il faut croire qu’on avait des doutes avec Pieronne (1593). Le prénom Toussine a pu être attribué sans grande originalité à l’occasion de la Toussaint à une petite fille née vers 1738… Enfin, avec son prénom d’hier par excellence, Hyéromine (1828) a précédé Géronimo, chef de guerre apache, dont la légende et le cri de guerre ont bercé notre enfance… Géronimo, Géronimo !!!

Voilà, cet article se termine mais la ronde des prénoms, elle, n’en a pas fini de tourner… De nos jours, la mode est aux prénoms très courts, qui se prononcent vite, car pour ça non plus, on n’a pas de temps à perdre. Mais il n’est pas exclu qu’au fil du temps, certains prénoms cités ci-dessus soient remis au goût du jour, notamment par le biais des médias qui ont une grande influence sur nos choix aussi dans ce domaine. Le phénomène est étudié par l’anthroponymie, une science qui s’intéresse aux noms et prénoms des personnes et qui malgré un nom à coucher dehors est très souvent en phase avec les questions sociétales actuelles.

Pour aller plus loin :

https://www.franceculture.fr/histoire/le-choix-du-prenom-en-france-en-2018-liberte-diversite-originalite : Les Français choisissent des prénoms de plus en plus divers et originaux par rapport au passé. Depuis 1993, ils sont aussi plus libres dans leur décision ; l’état-civil ne pouvant plus refuser de prénoms. Seule la justice en a le pouvoir, dans l’intérêt de l’enfant.

https://www.insee.fr/fr/statistiques/3532172 : grâce à cet outil interactif et ludique, retrouvez le classement des prénoms en France depuis 1900 et jusqu’en 2020, mais aussi le palmarès des prénoms les plus donnés pour les filles et les garçons, des graphiques des prénoms les plus fréquents, etc.

https://dataaddict.fr/prenoms/ : Quels sont les prénoms les plus donnés en France ? Le vôtre est-il original ? Combien d’homonymes sont nés la même année que vous ? Y a-t-il un retour des Alphonse, Martine, Eugène, Brigitte ou Marcel en 2010 ? Les prénoms en trois lettres comme Zoé, Tim ou Léa ont-ils toujours la cote ? Quels personnages de série ont inspiré le plus de parents en France pour prénommer leur enfant ? Une tonne de questions autour des prénoms dont les réponses se trouvent dans cette data-visualisation.




Colporteur espagnol et téléphone arabe

Vous le savez : cela fait quelques décennies déjà que je suis entrée en généalogie, comme d’autres entrent en religion. Au fil de mes investigations, enquêtes, et des résultats obtenus (car oui, la plupart du temps, je cherche, mais parfois aussi… je trouve !), je me suis aperçue que tout souvenir issu de la mémoire familiale, même le plus infime ou le plus farfelu, contient sa part de vérité et mérite qu’on s’y intéresse. En effet, la mémoire est fiable, mais elle a l’habitude, pour alléger notre quotidien, d’évacuer les aspects contraignants ou douloureux du passé, pour restituer une version enjolivée, plus supportable et dicible. Econome, elle ne rechigne pas non plus devant l’opportunité de petits raccourcis, en attribuant un évènement réel à la mauvaise personne et revisitant ainsi le fameux adage « si ce n’est toi, c’est donc ton frère »… Souvent, les souvenirs nous arrivent donc déformés à la manière du téléphone arabe. Vous savez, ce jeu où la phrase de départ si c’est rond c’est pas carré devient causons du cycliste sans savoir skier… ou quelque chose du genre…

La généalogie consiste donc par moment à décrypter les bribes de réminiscences qui nous viennent des générations précédentes, et le cas échéant, de rétablir un semblant de vérité (si tant est qu’elle existe).
Ainsi, dans notre famille paternelle, la mémoire familiale retenait l’histoire d’un colporteur espagnol qui, au hasard de son cheminement, aurait rencontré une de nos ancêtres franc-comtoise et l’aurait épousée… Même si la version semble crédible, vu que la Franche-Comté a un passé espagnol (pas vraiment à la même époque, mais en matière de souvenirs on en est pas à 2 siècles près !), il s’agissait quand même de vérifier si le bougre était vraiment épris de notre chère aïeule car qui ne rêve pas d’avoir été conçu dans un contexte d’amour et de félicité ? Bref, pour reprendre l’exemple du téléphone arabe, il s’agissait de vérifier au bout de quelques siècles l’adéquation entre la ph(r)ase d’arrivée et celle de départ.

Alors oui, je vous le dis tout de suite : il y a bien eu un colporteur. Il se nommait Claude. Faisant preuve de peu d’originalité, il voyageait à pied, portant sa balle sur le dos et passant de village en village pour vendre draps, tabliers et assortiments de passementerie ou de mercerie qu’il achetait dans les foires, vraisemblablement dans l’est de la France ou en Allemagne.
Et oui, c’est aussi vrai : il s’est bien arrêté dans un petit village du Doubs qui porte le nom de Fertans. C’était en 1734, peut être à la faveur d’une étape, ou parce qu’il connaissait déjà le lieu ? A-t-il alors été frappé par un coup de foudre, lui faisant lâcher balles et ballots? (ballot, il le fut..). Ou bien a-t-il été plutôt attiré, comme le prétend un de ses descendants, par la grande fortune du dénommé Jacques GILLARD ? Ce qui est certain, c’est que le 20 juin 1735, il épouse Emmanuelle GILLARD, fille dudit Jacques et s’établit comme négociant sédentaire dans le village de Fertans.
Jusque là, tout est parfaitement exact.

Passons à présent à ce qui appartient à la légende, ou du moins à certaines approximations de la mémoire familiale : d’où venait donc ce colporteur ? eh bien, d’une région bien éloignée de l’Espagne, connue pour ses hivers rigoureux et ses conditions de vie difficiles : il habitait en fait à Saint-Gervais, dans l’actuelle Haute-Savoie. Il portait un patronyme très local, à savoir : BARBIER… eh oui, comme Christophe et son écharpe rouge… né d’ailleurs à Sallanches… D’ici à ce qu’on se trouve un lien de parenté avec l’ancien directeur de rédaction de l’Express, il n’y a qu’un pas de colporteur que je ne m’aviserai pas de franchir.

Claude devait avoir 16 ans quand il quitte sa famille et son hameau de la Gruvaz, à Saint-Gervais, pour accompagner sur les routes un colporteur expérimenté et  apprendre avec lui le métier « de la balle ». Il suit en cela une longue tradition d’émigration montagnarde qui sévissait au Val Montjoie.  

Il faut en effet savoir que la Savoie à l’époque n’était pas encore française. Elle était surpeuplée et ses habitants étaient écrasés par de lourdes charges fiscales et les droits féodaux exercés par Charles Emmanuel 1er (fin XVIème-début XVIIème). En montagne, où les saisons de récolte étaient courtes, les habitants mâles n’avaient d’autre choix que d’aller gagner de l’argent ailleurs. Ils partaient donc en direction de l’Allemagne soit comme marchands, soit pour monnayer leurs services en tant que chaudronniers, rémouleurs, couteliers, ramoneurs, maçons, etc. Beaucoup de ces migrants venaient du Faucigny (Magland, Morillon, Arâches, Saint-Gervais). Ainsi, en 1726, à l’époque où Claude commence son apprentissage, on comptait 110 absents sur 405 mâles habitant théoriquement à Saint-Gervais.

Les montagnards partent souvent en groupe pour le même pays d’accueil. On peut imaginer que Claude suit le mouvement d’une vague d’émigration saisonnière, quittant le foyer en hiver et revenant aux beaux jours, pour retrouver son jeune frère et ses trois sœurs restés au village, malgré qu’ils soient devenus entre temps orphelins.

On ne sait pas exactement l’itinéraire que suivaient les colporteurs du Val Montjoie, ni d’ailleurs où ils allaient. Certains en Suisse, d’autres en Allemagne, d’autres encore à Paris. Toujours est-il que si dans l’ensemble les affaires pouvaient être prospères, les conditions de vie, elles, étaient bien difficiles… 7 mois passés sur les routes, dans le froid, mal chaussés, mal habillés, à se nourrir comme on peut…

On peut donc aisément comprendre que lorsque l’occasion se présentait, les itinérants n’hésitaient pas à s’établir quelque part, même loin de chez eux, pour fonder une famille. C’est ce qui arriva à Claude : de son mariage avec Emmanuelle GILLARD sont nés 9 enfants (5 garçons, 4 filles), dont Jean François BARBIER (1740-1819), qui occupe une position privilégiée à Fertans puisqu’il est « greffier de la seigneurie du village », en même temps que « marchand sieur », « aubergiste » et cultivateur. Nos deux lignées (AYMONIER et BARBIER) se sont croisées par le fait que Jean BOILLOZ, notre arrière-arrière-arrière grand-père paternel a épousé Jeanne Françoise  BARBIER, fille de Jean-François.

Et comme si cela ne suffisait pas en termes de racines savoyardes (cela commence à peser lourd en litres de fondue et de raclette dans le sang!)… il faut savoir que les AYMONIER qui ont donc croisé la route et la vie des BARBIER à Fertans avaient eux aussi de lointaines origines savoyardes (Bauges ou Haute-Tarentaise).

Est-ce la raison pour laquelle nos parents décidèrent eux-mêmes de poser leurs valises en 1966 dans la même région où Claude BARBIER avait posé ses ballots en 1734 ? Un drôle de clin d’oeil en tout cas à la destinée…

Pour finir, pourquoi un colporteur espagnol ? Sans doute parce qu’il fallait trouver une explication au fait que la famille de notre grand-mère paternelle avait un type méditerranéen et une peau particulièrement hâlée… (l’analogie s’arrête là, car en matière linguistique, nous parlons l’espagnol comme une vache allemande !).

J’en veux pour preuve les deux photos ci-dessous, représentant notre grand-mère et notre père, jeunes…



Avouez qu’en voyant ça, on a presque envie d’y croire à ce colporteur espagnol, non ? d’autant que pour l’instant je n’ai trouvé aucune autre racine ibérique dans la branche AYMONIER. Encore un mystère non élucidé !

Pour aller plus loin :

  • BARBIER, C. (2008 à 2021). La vie et la postérité de Claude BARBIER, colporteur et marchand savoyard installé en Comté (4 tomes). autoédition
  • ROBERT-MULLER,Ch., ALLIX, A. Un type d’émigration alpine : les colporteurs de l’Oisans. In: Revue de géographie alpine, tome 11, n°3, 1923. pp. 585-634. DOI : https://doi.org/10.3406/rga.1923.5528
  • La Trace, film franco-suisse réalisé par Bernard Favre, en 1983 : l’histoire de Joseph, qui en 1859, quitte son village de haute Tarentaise, sa mule chargée de cotons, de dentelles et de fil à broder pour rejoindre Aoste, où habite sa soeur. Joseph espère entreprendre une grande tournée de colportage dans toute l’Italie du Nord.
  • GAY, J.P. (2001). Le neveu de Gaspard. La Fontaine de Siloé : Au mitan du XVIIe siècle, dans le Val Montjoie… l’histoire de Gaspard qui troque ses sabots de paysan pour les bottes de colporteur et prend le large – cap vers ” les Allemagnes “. Dans sa besace, sous les dentelles de Megève, cristaux de roche de Miage, tissus négociés habilement en chemin, quelques livres interdits nourris des idées de la Réforme, qu’il passe en secret à des convertis clandestins.
  • MAISTRE, C. et G., HEITZ, G. (1992) Colporteurs et marchands savoyards dans l’Europe des XVIIe et XVIIIe siècles. Académie Salésienne. Annecy

BARBIER Claude né en 1706 à Saint-Gervais (74), dcd en 1779 à Fertans (25), fils de Joseph et de JAQUET Jeanne  – conjoint : Emmanuelle GIRARD, 9 enfants




Un fieffé Greffier !

(fieffé est à prendre ici dans son sens littéral, à savoir : qui tenait quelque chose en fief)

Il a 60 ans. Un bel âge pour qui a la chance de vivre au 21ème siècle, mais en 1874, alors que l’espérance de vie est seulement de 45 ans, c’est un fait suffisamment rare pour être apprécié… J’ignore si c’est ainsi que Jean Pierre GREFFIER, l’arrière-arrière-grand-père maternel de mon conjoint, voit les choses, mais il doit en tout cas considérer ces quelques années supplémentaires qui lui sont octroyées comme un heureux sursis…

Sa vie passée dans le village de Veigy-Foncenex a été jusque là relativement satisfaisante , si ce n’est un environnement géopolitique passablement mouvant dans cette région qui aujourd’hui fait partie de l’actuelle Haute-Savoie et de la France. Mais cela n’a pas toujours été le cas…

VEIGY-FONCENEX, une commune à la frontière franco-suisse

De quoi y perdre son latin en vérité : en 1815, deux ans avant la naissance de Jean Pierre, la Savoie, à laquelle appartient Veigy-Foncenex, était rattachée au Royaume Piémont Sardaigne. C’était le cas des communes voisines comme Collonge-Bellerive (d’où est originaire Nicolarde FALQUET, l’épouse de Jean Pierre), Meinier, Anières, Corsier, etc, qui depuis des siècles ont suivi la même trajectoire que Veigy-Foncenex, à savoir : une grande période savoyarde entrecoupée d’occupations tour à tour bernoises, françaises puis espagnoles. Or, en 1816, ces communes jouxtant Veigy-Foncenex, et où la famille GREFFIER avait certainement des amis, des voisins et de la famille, sont séparées de la Savoie, pour se trouver rattachées à la Suisse. C’est ce qu’on appelle les communes réunies.

Puis comme on le sait, en 1860, la Savoie est annexée à la France, et Veigy aussi… bien qu’un grand nombre d’habitants se soient alors déclarés en faveur d’un rattachement à la Suisse.

Pas facile donc de s’y retrouver avec ces changements majeurs qui occasionnent certainement de nombreuses tracasseries administratives au quotidien… Certaines personnes d’une même famille ou qui ont été voisins se réveillent un beau jour savoyards et sardes, tandis que d’autres ne sont plus savoyards mais suisses. Sans parler de cette annexion 45 ans plus tard à une France qui ne recueille pas toute leur sympathie !

Mais bon, dans l’ensemble, Jean Pierre traverse cette période bon an mal an, en s’adaptant vraisemblablement à la situation du moment…. Avait-il bien le choix ?

Il n’empêche qu’à 60 ans, la question de sa succession le taraude… Il a beau avoir tout ce qu’il faut pour vivre et être déjà propriétaire d’une maison avec grange, cour et jardin, d’une vigne, de quelques champs et d’un petit chenevier (pour la culture du chanvre), ainsi que de plusieurs têtes de bétail. Il a beau avoir 5 fils, tous avec une bonne situation, même si deux d’entre eux ont dû s’exiler temporairement à Paris pour y être cochers, un phénomène très courant dans le Chablais… Rien n’y fait, il faut qu’il continue à faire fructifier son patrimoine.

Alors de 1874 à 1880, il multiplie les transactions. Un emprunt sous forme d’obligation auprès d’un notaire, puis des achats de terrains à Veigy, suivi à nouveau d’un emprunt, et encore des achats de terrains à Veigy, mais aussi dans la commune proche de Loisin.

Mais d’où peut-il donc tirer sa fortune ? La réponse se trouve dans le statut très particulier de la zone dans laquelle la famille évolue… Comme quoi, les changements évoqués plus haut n’ont pas présenté que des inconvénients…

Depuis 1816, Veigy-Foncenex se trouve en effet dans la petite zone franche instituée au delà de la limite du Canton de Genève en vertu du Traité de Turin. Entre cette zone et la Suisse, il n’y a pas de contrôles douaniers et les taxes sont inexistantes. Il est donc plus que probable que Jean Pierre comme de nombreux autres agriculteurs “zoniens” écoulait sans difficulté ses produits agricoles et laitiers sur le marché genevois.

Et c’est ainsi que grâce à une politique d’achats en dernière partie de sa vie, Jean Pierre GREFFIER lègue après sa mort (1884) à ses 4 fils encore vivants un fort beau pactole : 18 ha de terrains (dont maison, vigne et chenevier) à Veigy-Foncenex, 1,94 ha à Chens/Léman et 0,28 ha à Loisin…

De quoi transmettre à la postérité son appellation bien méritée de fieffé Greffier !

Jean Pierre GREFFIER né en 1817 à Veigy-Foncenex (74), dcd en 1884, fils de Jean Pierre GREFFIER et Catherine LACORBIERE – conjoint : Nicolarde FALQUET, 5 enfants




A la recherche du temps perdu…

Une fois n’est pas coutume : j’ai décidé aujourd’hui de vous parler de moi. Et notamment de ma fâcheuse propension à perdre du temps dans des activités qui ne rapportent rien, n’intéressent personne et n’engendrent aucune forme de notoriété (si tant est que j’en revendique). Trier des vieux papiers, établir des inventaires à la Prévert, faire des recherches sur des personnes disparues, suivre des formations sur des sujets improbables, écrire sur tout et n’importe quoi… autant de marottes qui, aux yeux du commun des mortels, font perdre beaucoup de temps pour pas grand chose…

Pire ! je le sais et … je persévère pourtant dans cette perte sévère de temps…

Pourquoi ?

Parce qu’avec les années, j’en suis arrivée à constater que la perte de temps se mesure bien souvent de manière positive en somme de connaissances acquises.

Sentiment conforté par mon expérimentation toute récente autour d’une très bête opération de tri de fiches de recettes ayant appartenu à notre maman, Thérèse MORIN, qui possédait plus de 6000 fiches issues du magazine “Elle”. Un lot que j’ai récupéré au moment où nous avons vidé la maison de nos parents en 2014 et que je devais en toute logique détruire ou donner à Emmaüs rapidement, histoire de n’encombrer ni mon espace, ni mon emploi du temps. Mais comme on le sait, (pres)sentiments et logique ne font pas bon ménage. Je ne m’attarderai pas ici sur les raisons qui m’ont poussé à conserver pendant 7 ans ces fiches, pour finalement les trier, ni sur l’aspect technico-statistique de l’opération qui est décrit en détail sur mes carnets de recherche. Ce qui est intéressant, c’est ce que j’ai pu retenir de cette opération qui a quand même occupé 10 à 12 heures de mes vacances !

Le plus grand apport de ce type d’activité est sans conteste la reviviscence de souvenirs, qui aurait sans doute mérité d’être partagée avec d’autres membres de la famille : les moments où nous aidions tour à tour notre maman à classer et à catégoriser ses fiches (j’ai en effet retrouvé sur les étiquettes l’écriture de ma soeur, de mon frère et la mienne), les recettes que nous avons testées (en les confectionnant ou en les dégustant), etc. Je me suis souvenue aussi de cette façon si particulière qu’avait notre maman d’utiliser ses fiches recettes : ainsi, je ne l’ai jamais vue en suivre une à la lettre, ni même en garder une sous les yeux. C’était souvent en lisant son magazine qu’elle repérait une manière originale d’apprêter ou d’utiliser tel ou tel ingrédient et hop ! le lendemain, ou le WE suivant, le résultat -hautement comestible- se retrouvait dans notre assiette. Elle prenait des bouts d’idées par ci, par là, ajoutait de la poudre de perlinpimpin, quelques zestes de fantaisie, higitus figitus et… à la manière de Merlin l’Enchanteur, l’affaire était dans la casserole à une rapidité déconcertante.



En y repensant, je crois que sa parfaite maîtrise des techniques culinaires de base l’autorisait à utiliser ses fiches de recettes comme une formidable base de données venant enrichir ses connaissances.

L’autre apport de cette activité de tri réside dans une meilleure connaissance de la personnalité de Thérèse. Certes, il y avait toujours beaucoup de fantaisie et d’originalité dans sa manière de faire les repas (comme de les commencer par le dessert et finir par l’entrée), de composer les menus (sous forme d’énigmes ou de devinettes) et de disposer la table (en testant par exemple une à une toutes les pièces du chalet, à l’exception de la salle de bains et des WC). Mais je perçois aussi dans sa façon de classer ses recettes d’autres qualités insoupçonnées et moins visibles alliant minutie, rigueur et logique.

J’ai aussi admis qu’on ne pouvait pas TOUT garder et qu’il fallait privilégier avant tout les archives familiales, constituées des preuves de l’activité des personnes disparues. Les collections, en tant que telles, n’en font pas partie, mais comme elles sont souvent révélatrices de traits de personnalité de la personne qui l’a constituée, il s’avère tout à fait judicieux avant une éventuelle élimination d’établir une fiche descriptive de la collection (quantité, dates extrêmes, identité du collectionneur’ etc.), en adjoignant des photos et des commentaires personnels, comme ceux qui figurent ci-dessus. Ainsi, une trace de cette collection restera dans la mémoire familiale.

Donc, pour moi, le temps soi-disant perdu n’existe pas. Et en tout état de cause, je me refuse de juger de la pertinence d’une activité à l’aune du temps que je suis susceptible d’y passer, même si, je ne peux le cacher, la question existentielle du chat ne me laisse pas complètement indifférente…




Les voeux du dernier Nouvel An de sa vie

Elle a 88 ans… oh pas depuis bien longtemps ! depuis quelques jours, le 26 décembre 1982 très exactement… Pour la toute première fois de sa vie, elle se demande où elle va trouver le courage pour mener à bien une activité qu’elle apprécie pourtant et où elle excelle : le courrier du Nouvel An. Répondre aux nombreux voeux qu’elle reçoit, mais surtout écrire, non des cartes, mais des courriers de plusieurs pages, sur “un papier à lettres, bien glacé, avec des lignes larges”, comme elle a l’habitude de le faire chaque année.

Car oui, elle aime écrire, et elle écrit bien, avec un style remarquable et une graphie certes généreuse, mais mal à l’aise dans l’intervalle de lignes trop rapprochées. En temps normal, ce ne sont pas moins de 2 à 3 lettres qui partent chaque jour, adressées à ses nombreux enfants de sang, mais aussi de coeur. A l’occasion du Nouvel An, on est plutôt sur un rythme de 5 par jour… A la fin du mois, la centaine de lettres est vite atteinte.

C’est toujours le même rituel : levée entre 7 et 8h, elle récite, tout en vaquant à ses occupations, la prière du matin, bretonne comme il se doit ! puis, après avoir fait un brin de toilette, elle met la cafetière sur le gaz. La première goutte, c’est la meilleure, a t’elle l’habitude de dire ! En hiver, vient la corvée du feu : vider les cendres dehors, relancer une nouvelle flambée… Un deuxième café, souvent partagé avec Marthe, sa grande amie et voisine. Puis arrive l’heure des écritures…

Par ses lettres, elle est l’irremplaçable trait d’union au sein de la famille. Certes, le téléphone a pris un peu le relais, mais avec ses problèmes d’élocution, consécutifs à une attaque, la correspondance a pris une nouvelle importance ces deux dernières années.

Pourtant, en cette année 1983, le courrier du Nouvel An se révèle être un souci de plus en plus lancinant : elle éprouve le besoin de cocher des listes “à répondre”, “répondu” avec des dates, des noms, chose qu’elle ne fait jamais. Et au lieu de la centaine de courriers envoyés d’habitude, elle atteint difficilement les 60, ce qui augmente son désarroi car elle pense à toutes celles et ceux qui se sentiront oubliés. Car elle est comme ça, Jeanne… elle a le coeur sur la main et elle pense toujours bien plus aux autres qu’à elle-même

Mais rien à faire : tout lui semble laborieux cette année. Elle pour qui la devise tient en 3 C (Courage, Confiance et… Culot !), elle traîne les pieds et s’assied un peu plus souvent que de coutume. Elle a beau se dire, mue par une formidable énergie, “allez, debout la vieille ! redresse-toi ! marche bien ! ne fais pas pitié !” ; elle a beau écrire dans ses courriers “je porte bien mes 88 ans et je remercie le Bon Dieu de pouvoir me suffire, entretenir la maison et recevoir les amis”, elle sait déjà que les voeux qu’elle formule seront ceux du dernier Nouvel An de son existence…

Voici d’ailleurs ce qu’elle écrit de manière spontanée sur une feuille volante fin janvier : “le coeur est un organe qui nous crée beaucoup d’obligations. Le renoncement aussi ; il reste l’indifférence. Le Seigneur ne nous a pas mis une carapace sur le dos. C’est qu’il a voulu que nous restions sensibles à tous les heurts que nous rencontrons et aux peines et soucis de tous les jours. Même à 88 ans, je sens que ce serait lâche de capituler. Il reste encore à se secouer un peu en s’oubliant et en regardant le passé et tout ce qu’il y a de beau dans notre vie. C’est de l’orgueil de croire que tout nous était dû et tout nous serait servi sur un plateau. Beaucoup de joies nous ont été données. Sachons accepter ce que le Ciel nous envoie pour nous faire réfléchir et dire merci quand même”.

Et aussi, sur un 2ème papier : “quand je pense à notre vie, notre forme d’apostolat voulant aimer sans sermon, sans dire : regardez-nous ! ayant les yeux et le coeur ouverts pour sentir si l’on avait besoin de nos coeurs et de nos bras, en partageant le nécessaire, en restant petits, à notre vraie place ; ce sont toujours plus riches que nous que nous avons aidés”. Mais à ce moment-là, elle admet aussi aller “comme sur des roulettes carrées” et être “dans le wagon de queue”.

Et de fait : après avoir transmis ses voeux de bonheur et de longue vie à la famille et aux nombreux amis, Jeanne GICQUEL s’éteint tranquillement chez elle, dans les Landes, le 3 février 1983 en présence de deux de ses enfants et de son petit-fils, laissant derrière elle un nombre impressionnant d’écrits -lettres, journaux- dont je m’aide aujourd’hui pour rédiger cette chronique…

GICQUEL Jeanne, née en 1894 à Plémy (22), dcd en 1983 à Banos (40), fille de Mathurin François et de AGAR Victorine Anne , Conjoint : MORIN Louis, né en 1891 à Ploeuc-sur-Lié (22), dcd en 1973 à Banos (40), mariés le 15 décembre 1918 à Plémy (22), 3 enfants.  




Une vie de filature (1)

Nous avons quitté notre jeune Louis MORIN alors qu’il se remettait tout juste d’une blessure causée à la jambe gauche par une grenade, blessure assez sérieuse puisqu’il est hospitalisé près du Mans pendant 3 mois 1/2. Le 12 décembre 1918, il bénéficie d’une permission exceptionnelle d’un mois pour se reposer et accessoirement… se marier !  Nous le retrouvons donc le 15 décembre 1918 pour le mariage civil, à Ploeuc, dans les Côtes du Nord (appelés à présent Côtes d’Armor). Certes, comme vous n’avez pas manqué de le remarquer, c’était un dimanche, mais le maire qui est agriculteur impose son rythme : il officie un seul jour par semaine et c’est celui où il n’est pas aux champs !  

Le mariage religieux a lieu 2 jours plus tard, Louis tout pimpant dans son uniforme avec des galons neufs, Jeanne sur son 31 avec sa coiffe, son beau châle brodé à Paris pour la circonstance et son tablier en soie brochée avec une jolie dentelle. (Photo couple au mariage).

Louis MORIN et Jeanne GICQUEL à leur mariage en 1918

Il a 27 ans, Jeanne en a 24. Il aura passé 7 ans de sa vie à « servir son pays » comme on dit. Oui vous avez bien lu : SEPT !!!  deux ans de service militaire « classique », puis quatre appelé à batifoler avec la mort en Champagne, dans la Somme et à Verdun. Et enfin, comme si cela ne suffisait pas, une démobilisation qui tarde à arriver : tout frais marié qu’il est, on l’envoie en effet après sa permission à Limoges pour aider au recensement du blé et du bétail auprès d’agriculteurs qui, échaudés par l’occupation allemande, cachent tout … Le 18 août 1919, Louis est enfin libéré de ses obligations militaires mais pour une obscure raison, il est envoyé à Lille pour superviser la distribution du matériel en provenance des Etats-Unis qui doit servir à redémarrer les usines du Nord.

C’est là qu’un industriel lillois, M. Lefèbvre,  le remarque et lui propose un poste comme agent de maîtrise dans sa filature à Loos (59). On peut imaginer que c’est aussi à cette période que Jeanne, son épouse, le rejoint dans le Nord puisqu’en juillet 1920 a lieu la naissance de leur premier enfant, une fille : Marie-Louise.

Le couple habite alors 298 Rue Solférino, à Lille et ils ont dû y rester plus d’un an,  jusqu’à ce que Louis MORIN change d’employeur : le 1er février 1922, il  est en effet embauché par la prestigieuse entreprise THIRIEZ qui entre autres avantages sociaux, a la particularité de fournir un logement à ses employés.




Une vie de filature (2)



Louis MORIN chez THIRIEZ par Anne-Catherine Mouchet

Pour aller plus loin :

L’évolution des «Établissements J. Thiriez père et fils et Cartier-Bresson». In: L’information géographique, volume 24, n°1, 1960. pp. 33-36. – DOI : https://doi.org/10.3406/ingeo.1960.1962

CANDIANI, C. (journaliste en 1948). (diffusion : 3 avril 2021). Des taudis lillois aux filatures modernistes de Roubaix : reportage dans le nord de la France en 1948. Dans GARBIT, P. (réalisateur). Les Nuits de France Culture. France Culture https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/ainsi-va-le-monde-visite-dans-le-nord-de-la-france-1ere-diffusion-18111948-chaine-parisienne-0

PELLISSIER, Y. (journaliste). (diffusion : 12 juillet 1978). Reportage sur le textile chez DMC Lille et Loos. Dans JT FR3 Nord Pas de Calais.  France Régions 3 Lille – https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/rcc99006602/reportage-sur-le-textile-chez-dmc-lille-et-loos

Musée Filatures Thiriez-DMC (2017). Les filatures de Coton dans le Nord de la France, par le Musée TCB. https://vimeo.com/216470576




Une vie de filature (3)

Et qui pourrait le mieux parler de cette maison que Thérèse MORIN elle-même ? Laissons lui donc la parole (cette présentation étant extraite de quelques pages de souvenirs écrites par Thérèse en 2004) :

Dans une maison à 2 étages sans eau au robinet mais avec une pompe à actionner dehors avec des brocs que l’on montait dans les chambres pour qua la toilette se fasse dans une cuvette où, durant l’hiver, on cassait la glace pour se laver !!! Si on voulait prendre un bain, on chauffait l’eau qu’on vidait dans une jolie cuve en bois comme étaient les tonneaux. Cette cuve était alors mise dehors, c’était un régal !

J’ai le souvenir qu’un jour des rats sont passés par la bouche de la pompe à eau… on n’a pas été empoisonné ; la preuve : j’ai 77 ans !!!

Nous avons eu le bonheur d’habiter une maison avec un jardin. C’était un jardin ouvrier où quelque 10 parcelles étaient distribuées entre plusieurs personnes mais nous avions la possibilité d’en profiter au maximum, notamment des allées pour faire du vélo.

On n’avait ni électricité, ni radio, ni téléphone. On était éclairé par un bec de gaz qui était au centre de la salle à manger ; un bec de gaz qu’on allumait avec des allumettes lorsque le jour baissait, alors on était obligés de rester ensemble dans la même pièce.  […]

Exemples de bec de type Argand, Papillon et Manchester.
Source photos :  site Lumiara

Nous avions la chance d’avoir un jardin très bien entretenu par notre papa. Nous avions énormément de bons légumes sans aucun engrais, si ce n’est l’utilisation du purin que papa prélevait dans la fosse sous le WC qui, lui, se trouvait en dehors de la maison. Même avec moins 15°, on y allait (BRRR !!!) , il n’y avait pas de chasse d’eau. On utilisait des morceaux de journaux comme papier cul !!! On allait pomper de l’eau pour nettoyer le WC.

Nous n’avions comme chauffage qu’un fourneau au charbon qui était dans une pièce. Mais il était assez important pour diffuser un peu de chaleur dans les 3 pièces en enfilade. Par contre, dans l’arrière-cuisine où on faisait la vaisselle, pas question de chauffage ! l’eau était chauffée sur le feu et transportée dans une bassine dans cet endroit. Pas de produits à vaisselle ! mais du savon de Marseille.

Pour aller dans nos chambres, nous n’avions que des bougies et pas de chauffage. Nos devoirs étaient faits dans la pièce commune mais sans difficultés ; on sentait les bonnes odeurs des repas préparés par maman. […] j’ai connu aussi, à la place des bougies, des lampes pigeon : il y avait un réservoir d’huile, une mèche, un verre et cela tenait plus longtemps que les bougies. C’était du luxe !

Nous avions une maison très agréable […] elle comportait beaucoup d’avantages : une verrière sur la salle habituelle de rassemblement, très claire avec une porte vitrée qu’on ouvrait dès que la température le permettait. Dans cette pièce, il y avait le fourneau très important, très apprécié, en hiver surtout. Du carrelage par terre, une grande table où l’on se retrouvait tous. Au centre une salle à manger peu utilisée à cause de sa place sans fenêtre, sans luminosité. A la suite il y avait pour nous la salle de jeux. Il y avait dans notre enfance des coffres qui nous appartenaient, lesquels étaient recouverts de coussin où on pouvait s’asseoir au sol. C’était un plancher bien entretenu, sur lequel on a beaucoup joué avec aux pieds des chaussettes (trouées), on pouvait y glisser, c’était formidable. Maintenant je me dis que maman devait choisir de nous laisser glisser pour nettoyer le paquet !!!

Au 1er étage, il y avait 2 chambres et au 2ème, il y avait 1 chambre et un genre de grenier. Par contre, les escaliers étaient aussi bien cirés que les salles du bas et notre joie était de les descendre sur le derrière ! ça glissait tellement bien ! notre papa faisait comme nous. Les plus audacieux comme Jean et Marie-Louise descendaient sur la rampe !

Il y avait un sous-sol, une cave où se gardait le tonneau de bière que nos parents confectionnaient avec les légumes du jardin, par exemple les chicons ou endives ou barbes de capuçon qui poussaient en cave l’hiver dans un compost sable et terre. Dans l’autre partie de cave était le charbon, seul combustible à ce temps là ; il nous était livré par un soupirail.

Dans le jardin dont papa était un expert, nous avions de très bons légumes mais aussi de ces jolies fleurs violettes, pois de senteur, roses, dahlias. De ce côté-là, notre papa faisait plaisir à maman amoureuse de fleurs (j’ai hérité d’elle !!!). Il y avait des seringhas très odorants dans notre petite cour derrière la maison. Il y avait aussi un poulailler, donc des œufs frais, des poules et poulets à déguster ! Dans ce jardin dont nous pouvions profiter, il y avait un tel espace que nous faisions du vélo et nous pouvions nous installer où bon nous semblait. Je me revois vers 10 ans installée avec ma grand amie Mimie sur un tas de fumier taillé au carré jouant à la recherche de mots sur le dictionnaire !!!




L’évolution de l’espérance de vie

De temps en temps, j’aime bien me pencher sur les statistiques liées aux données généalogiques que je saisis dans mon logiciel sinon préféré, du moins attitré (je pense en changer bientôt). Outre le fait que je peux ainsi apprendre que j’ai à présent une base de données contenant 4186 individus et 1080 noms de famille différents, répartis sur 360 lieux, j’ai aussi accès (via Geneanet cette fois) à des informations plus exotiques, comme : la fréquence des signes du zodiaque dans mon arbre familial ou l’influence de la lune sur les naissances (en l’occurrence, dans notre cas, il n’y en a pas, les 4 phases lunaires étant également réparties).

Mais je peux aussi extraire des informations selon des critères très précis. Aujourd’hui, j’ai choisi de m’intéresser à l’âge que pouvait avoir nos ascendants au moment de leur décès.

L’extraction effectuée via Geneanet à partir de mon propre arbre généalogique (plus exactement : celui de mes enfants) donne le résultat suivant :

âge moyen au décès – données issues de Geneanet à partir de l’arbre généalogique familial – 2021

Quelques commentaires concernant ce graphique : tout d’abord, les individus ayant vécu au 17ème siècle sont trop peu nombreux dans mon arbre pour s’attarder sur les résultats obtenus à cette période.

Par contre, à partir du 18ème siècle, les données commencent à être assez fiables : ainsi, l’âge au décès se situe pendant une longue période autour de 40-50 ans, avec des variations importantes selon le sexe. On peut l’expliquer bien sûr par le fait que les causes de mortalité sont différentes (très caricaturalement, on évoquera les épisodes de guerre pour les hommes et les risques liés à l’accouchement pour les femmes). Cependant, j’ai voulu en savoir plus sur la surmortalité féminine de 1775 qui apparait nettement sur le graphique : d’après un article d’Alfred Perrenoud qui a mené des investigations sur la population genevoise aux XVIIIème et XIXème siècles (1) , “l’aggravation de la situation des femmes au XVIIIème siècle est certainement à mettre en rapport avec le développement du travail féminin“. Etant plus faibles, celles-ci meurent plus facilement d’affections pulmonaires ou des suites de couches.

Dans les années 1850, on constate un net décrochement cette fois plus marqué pour les hommes. De manière générale, on peut l’expliquer par les deux grands épisodes cholériques qui ont affecté la population française en 1832 et 1854, et également par les conséquences de la guerre franco-prussienne en 1870. Il n’en reste pas moins qu’à partir de 1860, la mortalité diminue, plus rapidement pour les femmes que pour les hommes, et la différence entre l’espérance de vie des femmes et celle des hommes commence à croître. 

Les conséquences de la guerre 14-18 et de la grippe espagnole sont encore visibles sur le graphique, mais dans une moindre mesure (peut être dû à la spécificité de mon arbre qui contient peu de poilus). Puis, l’âge moyen au décès croit régulièrement jusqu’à atteindre 75 à 85 ans dans les années 2000, avec toutefois une évolution différente suivant le sexe des individus. Si l’on en croit l’INED (Institut National des Etudes Démographiques) : “Au début des années 1990, le risque de mortalité des hommes entre 15 et 70 ans est 2,5 fois plus fort que celui des femmes du même âge, la surmortalité masculine atteignant 3,3 entre 20 et 25 ans. Depuis le milieu des années 1990, la surmortalité des hommes diminue, en France comme dans la plupart des pays industrialisés”.

Pour finir, relevons que ce graphique est assez représentatif des tendances constatées en France et dans la plupart des pays européens au fil des siècles passés, comme le montrent l’infographie et le graphique ci-dessous : une espérance de vie proche de 30-35 ans jusqu’en 1750, puis 50 ans jusqu’en 1935 et enfin 70-75 ans dans les années 60. On sait que depuis, l’âge moyen au décès ne cesse d’augmenter : en 2020, l’espérance de vie pour une femme est ainsi de 85,1 ans et pour un homme de 79,1 ans.

(1) Perrenoud Alfred. Surmortalité féminine et condition de la femme (XVIIIe – XIXe siècles). Une vérification empirique. In: Annales de démographie historique, 1981. Démographie historique et condition féminine. pp. 89-104.

Pour aller plus loin :

Eggerickx, Thierry. Léger, Jean-François. Sanderson, Jean-Paul. Vandeschrick, Christophe. (2018) Inégalités sociales et spatiales de mortalité dans les pays occidentaux. Les exemples de la France et de la Belgique. Espace populations sociétés. DOI: 10.4000/eps.7800




Dans la famille MORIN-GICQUEL, je voudrais…

Et si je vous invitais à découvrir avec moi les cartes qui composent notre jeu des 7 familles ? En initiant ce blog, je n’avais pas l’intention de livrer des données généalogiques brutes de peur de perdre l’attention du lecteur. Néanmoins, à partir du moment où j’ai pu le reconstituer, il me semble important de parler du groupe familial qui a participé à la construction de la personnalité de nos ancêtres.

Nous commençons aujourd’hui avec la grand-mère… que nous connaissons déjà : Jeanne GICQUEL est l’épouse de Louis MORIN. Le couple a eu 3 enfants : Marie-Louise, Jean et … Thérèse, bien sûr !

Le père de la grand-mère : il s’appelle Mathurin, il est issu d’une famille de meuniers et il travaille au moulin de Cohorno à Plémy. Il a deux frères, l’un est aussi meunier et l’autre cultivateur ; les frères GICQUEL sont tous réunis dans le même hameau.

La mère de la grand-mère : Victorine AGAR est la dernière d’une famille de 12 enfants (!). Quelques uns de ses frères et soeurs se sont exilés à Paris pour trouver un travail mais elle, est restée au pays. Elle participe certainement activement au bon fonctionnement du moulin.

Ensemble, ils ont eu 8 enfants :





Mathurin était le meilleur ami de notre grand-père. Il est malheureusement mort à la guerre.

Victorine quand elle était jeune a aussi été placée comme gouvernante dans une famille d’industriels lillois, les DELCOURT. Elle y est restée 3 ans. Puis elle s’est mariée avec Jacques PELLAN, un garçon du pays qui était aussi son cousin éloigné. Le couple tenait un commerce de tissus dans la Manche. Ils n’ont pas eu d’enfants et sont revenus vivre à Moncontour au moment de la retraite.

Marie Sainte n°1 est décédée alors qu’elle n’avait que 3 ans.

Jeanne est donc la 4ème de la famille.

Pierre est resté au pays. Il était cultivateur et a épousé Angélique LENORMAND de Plémy également. En principe, leur mariage devait avoir lieu en même temps que celui de nos grands-parents, mais ce dernier a été retardé parce que notre grand-père était encore hospitalisé suite à une blessure de guerre. Pierre et Angélique ont eu 2 enfants.

Marie Sainte n° 2 était bonne du curé. Pour des raisons qui restent obscures, elle a été internée à l’hôpital psychiatrique de Bégard (Côtes d’Armor). Elle y est décédée à l’âge de 40 ans. Notre grand-mère n’en a jamais parlé…

Jacques est né en 1900, il a épousé une MORIN qui -a priori- n’a rien à voir avec ceux de notre famille. Ils ont eu une fille, Gisèle qui est la maman des 3 enfants BURLOT.

Virginie, la petite dernière, est restée longtemps célibataire. Au début de sa vie professionnelle, elle était employée de maison à Rambouillet. C’est elle qui s’est occupée de sa maman jusqu’à la fin de sa vie (1940). Elle a ensuite épousé Jean Baptiste GALLAY et ils ont eu 2 enfants.

On notera que seule Jeanne est partie définitivement des Côtes d’Armor. Dans sa famille, elle avait de ce fait un statut un peu particulier. D’après ce que m’a expliqué une des cousines de notre maman, les rares retours au pays de la famille MORIN-GICQUEL étaient très remarqués : les enfants MORIN impressionnaient par leur tenues toujours impeccables et leurs manières venant de la ville 🙂