Les voeux du dernier Nouvel An de sa vie

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Elle a 88 ans… oh pas depuis bien longtemps ! depuis quelques jours, le 26 décembre 1982 très exactement… Pour la toute première fois de sa vie, elle se demande où elle va trouver le courage pour mener à bien une activité qu’elle apprécie pourtant et où elle excelle : le courrier du Nouvel An. Répondre aux nombreux voeux qu’elle reçoit, mais surtout écrire, non des cartes, mais des courriers de plusieurs pages, sur “un papier à lettres, bien glacé, avec des lignes larges”, comme elle a l’habitude de le faire chaque année.

Car oui, elle aime écrire, et elle écrit bien, avec un style remarquable et une graphie certes généreuse, mais mal à l’aise dans l’intervalle de lignes trop rapprochées. En temps normal, ce ne sont pas moins de 2 à 3 lettres qui partent chaque jour, adressées à ses nombreux enfants de sang, mais aussi de coeur. A l’occasion du Nouvel An, on est plutôt sur un rythme de 5 par jour… A la fin du mois, la centaine de lettres est vite atteinte.

C’est toujours le même rituel : levée entre 7 et 8h, elle récite, tout en vaquant à ses occupations, la prière du matin, bretonne comme il se doit ! puis, après avoir fait un brin de toilette, elle met la cafetière sur le gaz. La première goutte, c’est la meilleure, a t’elle l’habitude de dire ! En hiver, vient la corvée du feu : vider les cendres dehors, relancer une nouvelle flambée… Un deuxième café, souvent partagé avec Marthe, sa grande amie et voisine. Puis arrive l’heure des écritures…

Par ses lettres, elle est l’irremplaçable trait d’union au sein de la famille. Certes, le téléphone a pris un peu le relais, mais avec ses problèmes d’élocution, consécutifs à une attaque, la correspondance a pris une nouvelle importance ces deux dernières années.

Pourtant, en cette année 1983, le courrier du Nouvel An se révèle être un souci de plus en plus lancinant : elle éprouve le besoin de cocher des listes “à répondre”, “répondu” avec des dates, des noms, chose qu’elle ne fait jamais. Et au lieu de la centaine de courriers envoyés d’habitude, elle atteint difficilement les 60, ce qui augmente son désarroi car elle pense à toutes celles et ceux qui se sentiront oubliés. Car elle est comme ça, Jeanne… elle a le coeur sur la main et elle pense toujours bien plus aux autres qu’à elle-même

Mais rien à faire : tout lui semble laborieux cette année. Elle pour qui la devise tient en 3 C (Courage, Confiance et… Culot !), elle traîne les pieds et s’assied un peu plus souvent que de coutume. Elle a beau se dire, mue par une formidable énergie, “allez, debout la vieille ! redresse-toi ! marche bien ! ne fais pas pitié !” ; elle a beau écrire dans ses courriers “je porte bien mes 88 ans et je remercie le Bon Dieu de pouvoir me suffire, entretenir la maison et recevoir les amis”, elle sait déjà que les voeux qu’elle formule seront ceux du dernier Nouvel An de son existence…

Voici d’ailleurs ce qu’elle écrit de manière spontanée sur une feuille volante fin janvier : “le coeur est un organe qui nous crée beaucoup d’obligations. Le renoncement aussi ; il reste l’indifférence. Le Seigneur ne nous a pas mis une carapace sur le dos. C’est qu’il a voulu que nous restions sensibles à tous les heurts que nous rencontrons et aux peines et soucis de tous les jours. Même à 88 ans, je sens que ce serait lâche de capituler. Il reste encore à se secouer un peu en s’oubliant et en regardant le passé et tout ce qu’il y a de beau dans notre vie. C’est de l’orgueil de croire que tout nous était dû et tout nous serait servi sur un plateau. Beaucoup de joies nous ont été données. Sachons accepter ce que le Ciel nous envoie pour nous faire réfléchir et dire merci quand même”.

Et aussi, sur un 2ème papier : “quand je pense à notre vie, notre forme d’apostolat voulant aimer sans sermon, sans dire : regardez-nous ! ayant les yeux et le coeur ouverts pour sentir si l’on avait besoin de nos coeurs et de nos bras, en partageant le nécessaire, en restant petits, à notre vraie place ; ce sont toujours plus riches que nous que nous avons aidés”. Mais à ce moment-là, elle admet aussi aller “comme sur des roulettes carrées” et être “dans le wagon de queue”.

Et de fait : après avoir transmis ses voeux de bonheur et de longue vie à la famille et aux nombreux amis, Jeanne GICQUEL s’éteint tranquillement chez elle, dans les Landes, le 3 février 1983 en présence de deux de ses enfants et de son petit-fils, laissant derrière elle un nombre impressionnant d’écrits -lettres, journaux- dont je m’aide aujourd’hui pour rédiger cette chronique…

GICQUEL Jeanne, née en 1894 à Plémy (22), dcd en 1983 à Banos (40), fille de Mathurin François et de AGAR Victorine Anne , Conjoint : MORIN Louis, né en 1891 à Ploeuc-sur-Lié (22), dcd en 1973 à Banos (40), mariés le 15 décembre 1918 à Plémy (22), 3 enfants.  

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