Les souvenirs de Thérèse (1)

Ces écrits ont été rédigés par Thérèse MORIN en 2004 (date estimée). Ils sont fidèlement retranscrits ici. Les photos, extraites des albums de famille, ont été rajoutées pour illustrer le propos. Il s’agit ici de la première partie (pages 1 à 4 des écrits manuscrits). Cet article est à mettre en relation avec ceux de la série Une vie de filature, qui complète utilement l’histoire de la famille MORIN GICQUEL

Pêle-mêle meli mélo
Ce que j’ai découvert dans ma vie… je parle de l’évolution
Dans une maison à deux étages, sans eau au robinet mais avec une pompe à actionner dehors, avec des brocs que l’on montait dans les chambres pour que la toilette se fasse dans une cuvette où durant l’hiver on cassait la glace pour se laver !!! Si on voulait prendre un bain, on chauffait l’eau qu’on vidait dans une jolie cuve en bois comme étaient les tonneaux. Cette cuve était alors mise dehors, c’était un régal ! J’ai le souvenir qu’un jour des rats sont passés par la « bouche » de la pompe à eaux… on n’a pas été empoisonnés, la preuve : j’ai 77 ans !

1948_MORIN_Thérèse_Loos
n.b. on voit la pompe et le baquet derrière Thérèse

Nous avons eu le bonheur d’habiter une maison avec un jardin (c’était un jardin ouvrier où quelques 10 parcelles étaient distribuées à plusieurs personnes) mais nous avions la possibilité de profiter au maximum des allées pour y faire du vélo.

Loos_jardin

On n’avait ni électricité, ni radio, ni téléphone. On était éclairés par un bec de gaz qui était au centre de la salle à manger, un bec de gaz qu’on allumait avec des allumettes lorsque le jour baissait. Alors on était obligés de rester ensemble dans la même pièce ! Dans les rues, il n’y avait que des becs de gaz pour éclairer ! Radio : on l’a eue ; c’était un poste à galène. Une aiguille était placée sur une surface de plomb… on avait un seul écouteur et chacun notre tour nous pouvions écouter quelque chose. Je me souviens avoir entendu quelque chose qui m’a choquée : il a pété dans le Nord… Traduction : ici PTT nord !!! je devais avoir 6 ans.
On écrivait avec des porte-plumes. Les plumes étaient Gauloise ou Sergent Major, nous avions des encriers, des crayons… et si peu de crayons de couleurs que ça devenait un luxe !

Nous avions la chance d’avoir un jardin très bien entretenu par notre papa, nous avions énormément de bons légumes sans aucun engrais si ce n’est l’utilisation de purin que papa prélevait dans la fosse sous le WC qui lui se trouvait en dehors de la maison. Même avec moins 15°C, on y allait -brrr!!!- il n’y avait pas de chasse d’eau. On utilisait des morceaux de journaux comme papier cul !!! On allait pomper de l’eau pour nettoyer le WC.

Nous n’avions comme chauffage qu’un fourneau au charbon qui était dans une pièce mais il était assez important pour diffuser un peu de chaleur dans les 3 pièces en enfilade. Par contre, dans l’arrière-cuisine où on faisait la vaisselle, pas question de chauffage ! L’eau était chauffée sur ce feu et transportée dans une bassine dans cet endroit. Pas de produit à vaisselle mais du savon de Marseille.

Pour aller dans nos chambres, nous n’avions que des bougies et pas de chauffage. Nos devoirs étaient faits dans la pièce commune mais sans difficultés. On sentait les bonnes odeurs du repas préparé avec amour par maman. Pas de soucis de bactéries, pas question de mauvais engrais sur les légumes. Pas question de viande dangereuse, surtout qu’on n’en mangeait que deux fois par semaine (c’était trop cher!). J’ai connu aussi à la place des bougies des lampes « pigeons » : il y avait un réservoir d’huile, une mèche, un verre et cela tenait plus longtemps que les bougies… c’était du luxe !

Nous avions une maison très agréable. La peinture grise était offerte par l’usine Thiriez où travaillait papa. Je n’ai jamais apprécié cette peinture que j’ai retrouvée en 1966 à Saint-Cergues !!! Cette maison comportait beaucoup d’avantages : une verrière sur la salle habituelle de rassemblement, très claire avec une porte vitrée qu’on ouvrait dès que la température le permettait. Dans cette pièce, il y avait le fourneau très important, très apprécié en hiver surtout. Du carrelage par terre, une grande table où l’on se retrouvait tous.

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n.b. on devine la verrière attenante à la maison
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n.b. Derrière le groupe on voit la porte vitrée dont parle Thérèse et qui donne “sur la salle habituelle de rassemblement”

Au centre, une salle à manger peu utilisée à cause de sa place, sans fenêtre, sans luminosité ! À la suite, il y avait « pour nous » la salle de jeux. Il y avait dans notre enfance des coffres qui nous appartenaient, lesquels étaient recouverts de coussins où on pouvait s’asseoir au sol. C’était un plancher bien entretenu, sur lequel on a beaucoup joué : avec aux pieds des chaussettes (trouées), on pouvait y glisser. C’était formidable. Maintenant, je me dis que maman devait choisir de nous faire glisser pour nettoyer le parquet !

Au 1er étage, il y avait deux chambres et au 2ème il y avait une chambre et un genre de grenier. Par contre, les escaliers étaient aussi bien cirés que les salle du bas et notre joie était de les descendre sur le derrière ! Ça glissait tellement bien ! Notre papa faisant comme nous. Les plus audacieux comme Jean et Marie-Louise descendaient sur la rampe !

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maison côté rue

Il y avait un sous-sol, une cave où se gardaient le tonneau de bière que nos parents confectionnaient et les légumes du jardin, par exemple les chicons ou endives ou barbes de capuçon qui poussaient en cave l’hiver dans un compost sable et terre. Dans l’autre partie de cave était le charbon seul combustible à ce temps-là. Il nous était livré par un soupirail.

Dans le jardin, dont papa était un expert, nous avions de très bons légumes, mais aussi de si jolies fleurs, violettes, pois de senteur, roses, dahlias. De ce côté là, notre papa faisait plaisir à maman, amoureuse des fleurs (j’ai hérité d’elle!). Il y avait du seringha très odorant dans notre petite cour derrière la maison. Il y avait aussi un poulailler -donc des œufs frais-, des poules et des poulets à déguster !

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1937_MORIN_Louis_Loos

Dans ce jardin dont nous pouvions profiter, il y avait un tel espace que nous faisions du vélo, que nous pouvions aussi nous installer où bon nous semblait. Je me revois vers 10 ans installée avec ma grande amie Mimie sur un tas de fumier taillé au carré, jouant à la recherche de mots dans le dictionnaire !

1933_MORIN_Thérèse_et_Mimie



Les souvenirs de Thérèse (présentation)

La période d’été se prêtant bien à ce format, je vous propose de lire (ou relire), sous forme de feuilleton, les souvenirs que Thérèse MORIN a retenus de son enfance et qu’elle a consignés de manière manuscrite et totalement libre (*) en 2004… J’en ai retranscrit la première partie consacrée essentiellement à la configuration et à la “philosophie” de la maison de Loos et j’ai choisi d’y associer des photos trouvées dans les albums de famille. Je vous souhaite de trouver autant de plaisir que moi-même dans la lecture de ces écrits et reste bien sûr à disposition pour de plus amples informations…

(*) je précise toutefois que cela faisait suite à une énième invitation de ma part d’écrire sur sa vie passée, mais j’ignorais qu’elle l’avait fait… Ces écrits ont en effet été mis à jour après son décès 🙂




Misère et boule de gomme

Misère, misère ! C’est toujours sur les pauvres gens Que tu t’acharnes obstinément (chanson de Coluche)

Dernièrement, j’ai eu l’occasion de retourner aux archives départementales du Jura, à Lons-le-Saunier, histoire de sonder un peu plus l’histoire, en l’occurrence celle de notre grand-père paternel, Raymond MAÎTRE. Souvenez-vous : c’est celui qui n’a pas eu de chance dans sa vie (à part celle d’avoir été notre ancêtre !), à tel point qu’il y a mis fin, de manière aussi délibérée que soudaine… Dans un précédent article intitulé La poisse…, je décris comment il s’est retrouvé orphelin de père en 1902, alors qu’il n’avait que 9 ans. A l’époque, il avait encore un frère et deux soeurs (3 étaient déjà morts à la naissance). Six ans après, en 1908, sa soeur aînée meurt, suivie du grand frère et de la petite soeur en 1910. Raymond est alors âgé de 17 ans. Comme famille proche, il ne lui reste plus que sa mère et sa grand-mère, ainsi qu’un oncle disparu à Paris, après avoir été condamné dans le Jura pour avoir battu son ex-femme (cf l’article Un ancêtre encombrant)… Qui plus est, le jeune Raymond est affecté depuis la naissance d’une paralysie de la hanche, ce qui l’empêche de sauter comme un cabri et accessoirement de participer aux travaux de la ferme… On imagine bien la frustration pour lui, si ce n’est l’humiliation, en tant que seul homme survivant, de ne pouvoir subvenir aux besoins des siens. La seule chose qu’il pouvait faire, c’était de mettre toute son application dans les études. Ce qu’il a fait et bien fait puisqu’il est devenu professeur de lettres à Besançon à l’âge de 20 ans.

Une des questions est de savoir comment, venant d’un milieu si modeste, il a pu payer ses études ? Eh bien, croyez-moi si vous voulez, mais loin de me fournir la réponse, mes investigations dans les archives notariales de la famille n’ont fait qu’épaissir un peu plus le mystère, qui s’est transformé en : misère, misère ! Mais voyons ça de plus près…

Il convient tout d’abord de faire un rapide retour en arrière… Nous sommes en 1886 : Aldegrin MAÎTRE et Julie MARTINEZ, futurs parents de Raymond, s’apprêtent à convoler en justes noces à Brainans, dans le Jura. Auparavant, ils passent devant le notaire pour établir un contrat de mariage. Celui-ci met en scène les futurs époux, mais également Philomène MAÎTRE (eh oui, les MAÎTRE sont légion dans ce petit village), la mère de Julie, car c’est elle qui a les pépettes ! Ou tout au moins une maison dont elle fait don à sa fille dans le cadre d’une communauté réduite aux acquêts. Ces trois-là (le couple et la belle-maman) sont donc unis par un dispositif qui implique la mise en commun des biens et revenus acquis pendant le mariage, mais aussi des éventuelles dettes qui en découlent… A ce moment, la situation semble relativement saine du côté de l’épouse qui apporte à la communauté un trousseau estimé à 50 francs. Outre la donation de la maison, sa mère déclare un apport mobilier d’une valeur de 1800 francs dans la communauté. Du côté du mari, c’est déjà moins brillant : certes, il apporte un petit mobilier, quelques outils, du fourrage et du bétail, le tout estimé à la somme de 800 francs, mais il est aussi dit dans le contrat qu’il est grevé d’une dette de 800 francs… Ce qui fait match nul et sent déjà un peu le roussi… Mais bref ! tout ce joli monde se marie (à l’exception de la belle-mère qui elle, tiendra la chandelle) et poursuit sa destinée dans la maison commune… Le 1er enfant naît en 1887, les 6 autres suivent, à raison d’un tous les deux ans à peu près. Deux seront non viables et le dernier enfant, une fille qui nait le 30 mai 1901, décède deux semaines plus tard. Au moment où le père, Aldegrin, passe l’arme à gauche, le 7 novembre 1902, il y a donc encore 4 enfants en vie, ainsi que la mère et la grand-mère. Comme il est d’usage dans ce cas, et plus particulièrement en présence d’enfants, on procède à un inventaire des biens de la communauté. Il s’agit d’un acte qui constate en détail la nature et le nombre des effets mobiliers, titres et papiers. Le but d’une telle opération est d’estimer au mieux la valeur vénale d’une succession ou du moins d’en assurer la transmission intégrale aux héritiers.

C’est précisément cet acte que j’ai pu trouver aux archives la semaine dernière (inventaire après décès du 23/12/1902). Alors, bien sûr, je n’ai pas tout compris… déjà parce que le notaire écrit comme un cochon, mais surtout parce que ce document est plein de circonvolutions et d’expressions notariales autant absconses qu’abstruses (ça veut dire à peu près la même chose mais on n’insistera jamais assez !). Je vous en donne ci-dessous un exemple, avant d’essayer de vous en livrer la substantifique moelle.

A la conservation des droits et intérêts des parties et de tous autres qu’il appartiendra sans que les qualités ci-dessus puissent nuire ou préjudicier à qui que ce soit, mais au contraire sous toutes réserves, il va être, par Maître Armand Groz, notaire soussigné, procédé à l’inventaire fidèle et à la description exacte du mobilier de toute nature, titres, etc.

L’inventaire du mobilier s’élève à 750 francs, sachant que ce qui a le plus de valeur se trouve dans la grange et l’écurie : 3 malheureuses vaches estimées respectivement à 170, 100 et 70 francs, quelques poules pour 9 francs, deux voitures (à chevaux) en très mauvais état pour 35 francs… Dans le reste du mobilier, on compte des armoires, des lits, des tables, des chaises, une horloge, des farinières (?) pour une valeur allant de 0,50 (sic!) à 20 francs… A la lecture de cet inventaire, on peut en tout cas se dire que la famille n’avait pas grand chose pour vivre…

17. un lit d’enfant 18. une farinière de vingt doubles décalitres 19. une horloge 3 francs 20. une petite farinière de quatre double décalitres 1 francs 50 21. une table, etc.

L’inventaire des titres et papiers consiste à exhumer les documents officiels. En l’occurrence, le contrat de mariage dont j’ai parlé plus haut et un testament qui institue la grand-mère légataire universelle des biens d’une vieille tante décédée dans un village voisin (mais je suppose que cet acte ne peut être pris en compte dans la succession du défunt car il s’agit des biens propres de la belle-mère).

Le dernier inventaire s’intéresse au passif, soit en gros, les dettes contractées par la communauté, et là -misère, misère !!!- celles-ci s’élèvent à 5734 francs ! Suit une liste de 21 créanciers qui attendent tous d’être payés, certains avec intérêts… Et si encore c’était pour des futilités, comme le dernier smartphone Apple ou un robot ménager dernier cri… mais pas du tout ! On parle là de biens de subsistance dont le paiement n’aurait pas été honoré : des fermages (loyers), du bois de chauffage, l’intervention d’une sage-femme, d’un paiement au recteur (sans doute des frais de scolarité, le recteur désignant à l’époque le maître d’école), des frais de deuil pour la veuve, etc. Autant de postes qui dénotent à nouveau l’extrême dénuement dans lequel se trouvait la famille.

5. Par M. Dumont de Poligny quarante francs 6. Par M. Antoine Armand vingt francs 7. Par M. Paris pour bois de chauffage quarante deux francs cinquante

Sans compter les nombreux usuriers sollicités sans doute pour rembourser des dettes antérieures : 680 francs dus à M. Picsou, créancier hypothécaire, 1560 francs à Melle Picblé, créancière, 1214 francs à M. Cresus, aussi créancier… Bref, une spirale infernale telle qu’en connaissent encore certaines personnes aujourd’hui.

Par M. Bailly créancier hypothécaire, etc.

La suite de l’histoire ? Qu’on se rassure : TOUS les créanciers ont pu être payés (ouf !). Mais ceci ne s’est pas fait sans peine supplémentaire pour la famille, avec un dépouillement encore plus grand à l’arrivée : très vite après cette formalité, Julie MARTINEZ vend en effet une partie de son mobilier aux enchères publiques (acte notarié du 27/01/1903) ce qui rapporte la modique somme de 88 francs (une lampe pour 0,25 francs, une horloge pour 5 francs, un buffet pour 44 francs, etc.). Puis la mère et sa fille procèdent à la vente aux enchères d’une partie des terrains, prés, vignes en leur possession, ce qui rapporte 3250 francs (acte notarié du 01/02/1903).

Est-ce ces conditions encore plus précaires qui ont entraîné le décès rapide des 3 autres enfants ? Misère et boule de gomme. Pour ma part, j’émets l’hypothèse que c’est la tuberculose qui a décimé la famille. En effet, au moment où le fils aîné est censé faire son service militaire, en 1908, il est exempté à cause d’une bronchite bacillaire du côté gauche. C’est peut être aussi la cause du décès du père, mais pour le moment, rien ne permet de l’affirmer.

Histoire de boucler la boucle, on ajoutera qu’en 1922, après le décès de sa grand-mère, puis de sa mère, à quelques mois d’intervalle, Raymond MAÎTRE, qui exerçait comme professeur à Besançon, procédera à son tour à la vente aux enchères des derniers biens de la famille, dont la maison. Il effacera ainsi les dernières traces de la présence séculaire de cette branche MAÎTRE dans le petit village de Brainans.

Des traces que j’ai eu quant à moi la chance de suivre le temps d’une consultation aux archives, me procurant l’immense satisfaction d’avoir fait un petit pas de plus vers l’homme qu’il était, ainsi qu’un grand pas vers son humanité si bien cachée…




La pêche aux souvenirs et ses bienfaits

L’avez-vous remarqué ? Quand il n’est pas ailleurs, notre esprit peut se révéler farceur et pas toujours à l’écoute de nos priorités, ni du programme que l’on pu se fixer… Ainsi, le mien aime particulièrement s’adonner à la pêche… la pêche aux souvenirs s’entend ! A la faveur d’un détail désespérément insignifiant et au moment le plus inopportun pour moi, le voilà qui commence à hameçonner mon attention et à l’attirer sournoisement vers la berge des souvenirs… Le parcours n’a rien de linéaire, l’attention ayant la fâcheuse habitude de sauter du coq à l’âne, en l’occurrence, du saumon à la grenouille, de disparaître dans des trous de mémoire ou encore de se réfugier dans la volupté d’un souvenir d’enfance, pour rejaillir l’instant d’après dans un geyser de réminiscences. Un processus qui, en onomatopées, donne à peu près cela : oh bah ? ha ? hum hum ! ha ha ! zip ! plouf ! hop ! et re-hop ! plouf gloup ! glou glou glou ! hummmm ! waouh ! flatsch flatsch flatsch ! yeah ! Car oui, il me faut le préciser : pour moi, cette opération se termine toujours bien, avec de belles prises à la clé.

Aujourd’hui, je vous propose de revenir sur une de mes récentes expériences de pêche aux souvenirs, avec l’espoir que cela vous donne envie de vous y essayer à votre tour. Mais pour ce faire, reprenons la chronologie onomatopéienne :

Le oh bah ? qui marque le début du processus, concerne la découverte d’une signature de notre grand-mère au bas d’une lettre qu’elle écrivait en 1980 : JLM pour Jeanne Louis MORIN. Si son prénom et son nom d’épouse étaient respectivement Jeanne et MORIN, pourquoi avoir intercalé les initiales du prénom de notre grand-père, Louis, décédé en 1973 ?

ha ? hum hum ! Voilà qui est étrange… peut être un cas isolé ? eh bien non : après le décès de son mari, Jeanne signait toutes ses lettres -et Dieu sait qu’elles furent nombreuses!- de la même manière… Mais tout bien réfléchi, cela me rappelle quelque chose… voyons, voyons…

ha ha !, mais oui, il me semble bien que notre grand-mère a toujours affirmé que son “p’tit Lou” continuait à l’accompagner dans les moindres gestes du quotidien ; elle s’adressait d’ailleurs régulièrement à lui sans que cette étrangeté ne remette en question sa santé mentale aux yeux de son entourage.

et zip !, à la faveur de cette évocation, me voilà embarquée au pays de notre enfance (commune à mon frère et à ma soeur) ! La glissade pour y arriver est jubilatoire, le parcours se révélant délicieusement familier, empreint d’odeurs de vacances et de promesses de fulgurances. Sous-bois verdoyants, sols ocrés, chemins profonds, bourdonnante obscurité, temps joliment inconsistant, exaltations partagées, instants d’exception…

plouf ! Je plonge avec délectation dans un lac de souvenirs, vaporeux par endroit, lumineux ailleurs, mais jamais limpide. On est quand même à 50 ans de profondeur, il ne faut pas l’oublier ! Quelques visages se dessinent, des regards, des gestes, des bruits… Le fil est à ma portée, je n’ai plus qu’à le tirer… mais ce faisant…

hop ! me voilà happée par le souvenir de l’Amour qui unissait mes grands-parents : fondé sur une admiration et un respect mutuels, c’était un Amour assez exceptionnel. Il y avait peu de paroles, l’essentiel passait dans les regards, l’attention à l’autre et les gestes tendres. Je dois le dire : je n’ai jamais plus croisé ailleurs une telle entente implicite.

et re-hop ! un souvenir en appelant un autre, il me revient de manière assez précise en mémoire l’image de Jeanne, à la fois épouse, mère et grand-mère, maîtresse de maison, cuisinière généreuse et tricoteuse hors pair, veillant au bien être de tous et chacun, sans jamais paraître ni soumise, ni inconsistante, ni aigrie. Elle avait une vraie personnalité, ainsi qu’une vraie présence aux autres. Et, qualité assez rare, mais ô combien précieuse : elle savait écouter.

Louis, quant à lui, était un taiseux. Comme le sont ceux qui ont vécu des choses qui ne peuvent pas ou plus être mis en mots. Sa présence était donc silencieuse, mais toute aussi authentique et bienveillante. Même si, je dois le dire, un simple regard de sa part suffisait à stopper une parole ou un comportement déplacés. Il passait du temps dans son jardin, bricolait un peu, lisait des journaux et -souvenir olfactif ô combien prégnant!- il fumait la pipe.

Mais, plouf gloup ! force m’est de constater que le concernant, beaucoup de souvenirs sont flous. Il est décédé en 1973, à 82 ans, j’avais alors 11 ans. Tout ce que je peux dire, c’est que je ressentais une connexion assez forte avec lui, qui est de l’ordre de ce qu’on appellerait aujourd’hui une proximité émotionnelle. Et glou glou glou ! c’est à ce moment précis que mon petit inconscient me dit qu’il faut revenir à la surface, sous peine de sombrer dans un mélo sans nom. J’entame donc la remontée, mais…

C’est sans compter sur le Hummm de la fin, puisque me voilà en train de me remémorer quelques chouettes moments qui ont marqué l’enfant que j’étais : l’observation des étoiles avec notre père, tous allongés dans l’herbe, les balades en toute liberté sans la présence d’un adulte, la légèreté de tous les instants et l’humour qui régnaient dans cette maison, les soirées feu de camp organisées à l’improviste, les baignades quotidiennes dans l’Adour, la fabrication d’un bateau…

Et là, waouh ! flatsch flatsch flatsch ! yeah ! à force de me triturer la cervelle, c’est une myriade de souvenirs qui jaillissent à la manière d’un bouquet final. Les fougères, le soleil après la pluie, l’odeur du pot-au-feu ou de la garbure, le caquètement des poules, un béret, des voix familières et bienveillantes, les farces de potache, les parties de crapette et de scrabble, Q dans l’O, la messe à domicile… Et j’en passe, de manière d’autant plus expéditive dans cette chronique que ces souvenirs ne font du bien qu’à celui ou celle qui les a vécus…

Certes. Mais au delà du fait de raconter encore un peu de la vie de Jeanne et Louis (dont nous avons quelques photos ci-dessous), le message que je voulais faire passer est le suivant : il ne faut pas hésiter à revisiter le pays de notre enfance, de peur de se laisser happer par la tristesse et les regrets. Croyez-moi, c’est tout le contraire : cela fait un bien fou ! Des études très sérieuses ont montré que, loin d’être un ressenti négatif, la nostalgie a des bienfaits insoupçonnés sur notre équilibre personnel. Elle permettrait de donner un sens à sa vie et à se sentir moins seul. Rien de moins !

Alors, qu’est qu’on attend pour retomber tous en enfance ? Je vous le demande !




On ne choisit pas sa famille (3)

On termine cette série de mise en lumière des “stars” issues de nos lignées respectives, avec la branche des MORIN/GICQUEL de Bretagne, qui comporte un peu plus de personnalités (re)connues du côté MORIN que GICQUEL. Parmi elles, on trouve deux sportifs, un célèbre journaliste-rédacteur en chef, un général français qui a reçu un hommage de la nation aux Invalides en 2023 et enfin, un poilu dont les seuls mérites et malheurs posthumes furent d’être présent au mauvais endroit, mais au bon moment…

Branche MORIN/GICQUEL

Auguste Joseph RENAULT (1897-1918)

Pour la famille MORIN, je commence par un cousinage éminemment significatif. Je pense même que cette information va changer la vie d’un grand nombre d’entre nous. Voilà : nous cousinons avec… le dernier soldat français mort lors de la Première Guerre mondiale ! Notez bien que je n’ai rien contre ce pauvre jeune homme qui a perdu la vie sur le champ de bataille, mais j’essaie de comprendre comment interpréter cette donnée… le dernier, tiens donc ! Alors comment décompte t’on les 500 000 soldats morts après 1918 des suites de blessures reçues ou de maladies contractées pendant la guerre, dont on n’a pas retenu les noms ? Les 500 000 plus que derniers ? ou les 500 000 moins que rien ? Et comment s’appelait le 3ème, le 532 015ème, le 786 234ème ou le 1 497 000ème soldat français mort quelques années, quelques mois ou quelques minutes avant le pauvre Auguste RENAULT qui, à tout prendre, aurait certainement préféré être le dernier vivant plutôt que mort ? Le pire, c’est que sur ce funeste podium, notre Auguste s’est fait voler la vedette pendant plusieurs années par un lozérien, Augustin TREBUCHON, dont le nom apparait dans tous les livres d’histoire. C’est seulement en 2017 qu’on rendra à Auguste RENAULT ce qui lui appartient : une mort à 10h58, soit 3 minutes après TREBUCHON et 13 minutes avant le cessez-le-feu décidé par l’armistice du 11 novembre 1918… Ah mais ! quand même !

En conclusion, je ne peux résister à l’envie de vous livrer cette petite anecdote, qui vient conforter finalement l’utilité des statistiques : l’histoire retient que le premier mort au combat de la Grande Guerre s’appelait PEUGEOT (Jules-André) et le dernier, RENAULT (Auguste).

Hubert BEUVE-MÉRY (1902-1989)

Fils d’Hubert (horloger-bijoutier) et de Joséphine TANGUY, couturière, Hubert fils est né à Paris le 5 janvier 1902. Après un doctorat en droit, il est nommé directeur de la section juridique et économique à l’Institut français de Prague en 1928. Il est chargé de cours à l’École des hautes études commerciales de Prague, et également de conférences à l’Institut de droit comparé de l’université de Paris. Hubert Beuve-Méry est, par ailleurs, correspondant de plusieurs quotidiens parisiens, dont Le Temps à partir de 1935. Pendant la guerre, il entre en résistance et il est lieutenant aux Forces françaises de l’intérieur (FFI). En octobre 1944, il est rédacteur en chef de l’hebdomadaire Temps présent, puis, à la demande du général de Gaulle, il est l’un des fondateurs du Monde dont le premier numéro paraît le 19 décembre 1944. Il fonde également Le Monde Diplomatique en 1954. C’est à l’occasion des vingt-cinq ans du Monde qu’il prend sa retraite en 1969. Il a également été membre du conseil d’administration de l’Agence France-Presse (AFP) et de celui de l’Institut Pasteur. Journaliste, c’est souvent, sous le pseudonyme de “Sirius”, qu’il signa de très nombreux articles et éditoriaux. Il décède en 1989.

Quels liens de parenté ?

C’est par la lignée de la mère d’Hubert B-M que nous sommes “cousins”. En prenant comme point de départ notre grand-père, Louis MORIN : son arrière-arrière-arrière-grand-père, Jean François CHOUPAULT, était le frère de l’arrière-arrière-arrière-arrière-grand-père d’Hubert, qui s’appelait Sabin CHOUPAULT (1691-1763) et était des environs de Ploeuc-sur-Lié (22)

Jean-Louis GEORGELIN (1948-2023)

Jean-Louis GEORGELIN, né le 10 août 1948 à Montauban, est un général français. Il a été chef d’état-major des armées de 2006 à 2010 sous les présidences de Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande. En 2019, il a été chargé par le président Emmanuel Macron de superviser la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame de Paris après l’incendie. Jean-Louis GEORGELIN meurt le 18 août 2023 d’une chute en montagne, au cours d’une randonnée au sommet du mont Valier, en Ariège. Sa carrière militaire est notable, et son engagement dans la préservation du patrimoine est également remarquable. Le 25 août 2023, un hommage national lui est porté aux Invalides, présidé par le président de la République.

Quels liens de parenté ?

En prenant comme point de départ notre grand-père, Louis MORIN : son arrière-arrière-grand-mère, Françoise PERRIN, était la soeur de la 7x arrière-grand-mère de Jean-Louis, Marie PERRIN. Une parenté assez lointaine, qui explique que nous n’ayons pas été invités à assister à ses prestigieuses obsèques…

Lucien RAULT (1936- )

Champion breton d’athlétisme et de cross-country de renommée internationale, Lucien RAULT naît à Plouguenast en 1936. Fils de paysans, onzième d’une fratrie de quinze enfants, il a dix ans lorsqu’il participe à ses premières courses dans les fêtes de village du Centre Bretagne, pieds nus et en culottes courtes. Il remporte le titre de champion de Bretagne de cross-country en 1961, à 25 ans, qu’il conservera 15 ans. Pendant 35 ans, Lucien collectionne titres, sélections en équipe de France et même records. Huit fois champion interrégional de cross-country, trois fois champion de France en individuel (sur 10 000 m en 1973 et 20 km en 1973 et 1974), champion du monde de cross country avec l’équipe de France, recordman de France de l’heure et des 20 km en 1973, recordman du monde des vétérans sur 5 000 et 10 000 m en 1976…

Quels liens de parenté ?

Il s’agit de la même lignée que Jean-Louis GEORGELIN, en remontant pareillement jusqu’à Françoise et Marie PERRIN.

Pour la lignée MORIN, je rajoute un cousinage probable, ou du moins des liens proches, avec Amateur Jérôme Le Bras des Forges de Boishardy, 1762-1795, qui s’est fait connaître comme chef des chouans dans la région de Lamballe (22) et dont la tête, après sa mort par décapitation, a été promenée au bout d’une pique dans Lamballe et Moncontour.

De la lignée GICQUEL, on extrait pour l’heure un seul cousin :

Philippe CATTIAU (1892-1962)

Philippe Cattiau, né le 28 juillet 1892 à Saint-Malo et mort le 18 février 1962 dans la même ville, est un ancien escrimeur français. Membre de l’équipe de France d’épée et de fleuret, il est trois fois champion olympique pour un total de huit médailles, ce qui en fait un des athlètes les plus titrés d’avant-guerre, et le plus médaillé du sport français à égalité avec Roger Ducret. Il est également à plusieurs reprises champion du monde. Il fait partie de la liste des sportifs français nommés « Gloire du sport ».

Quels liens de parenté ?

En prenant comme point de départ notre grand-mère, Jeanne GICQUEL : sa 4x arrière-grand-mère, Jacquette LE NOUVEL, née en 1655, était la soeur de la 6x arrière-grand-mère de Philippe CATTIAU, Michelle LE NOUVEL.

Dans cette lignée, je cherche encore les liens familiaux qui doivent unir les GICQUEL de Plémy avec Gilbert DU MOTIER DE LA FAYETTE (1757-1834), Général et homme politique français, plus communément désigné comme le Marquis de LA FAYETTE. Et également avec Pierre Guillaume GICQUEL DES TOUCHES (1770-1824), officier de marine français.




On ne choisit pas sa famille (2)

Faisons à présent une incursion en pays savoyard sur les traces de la dynastie MOUCHET / BETEMPS… Dans cette branche, on a déjà vu qu’il y avait, en ligne directe, un armateur, génial inventeur des barques du Léman, et, en ligne indirecte, un pirate d’eau douce (cf la série Palsembleu ne saurait mentir). Nous allons découvrir ici qu’en matière de cousinage, il y a pire que le pirate. Et là, aïe, aïe, aïe … ça pique un peu, comme on dit.

Cette fois, c’est dans la branche MOUCHET, qu’on trouve ce cousinage quelque peu encombrant. Cela prouve au moins qu’entre famille et vote, même combat : on a beau dire qu’on n’en veut pas, il s’accroche quand même !!!

Nicolas SARKOZY (1955- )

Nicolas SARKOZY, né le 28 janvier 1955 à Paris, est un homme d’État français. Il est Président de la République française de 2007 à 2012. Il est le fils de Pál SARKÖZY DE NAGY-BOCSA (1928-2023), immigré hongrois, et d’Andrée MALLAH (1925-2017), dont la mère, Adèle BOUVIER, est originaire de Lyon.

D’abord maire de Neuilly-sur-Seine, député, ministre du Budget et porte-parole du gouvernement ou encore président par intérim du Rassemblement pour la République (RPR), il devient en 2002, ministre de l’Intérieur, puis ministre de l’Économie et des Finances et président du conseil général des Hauts-de-Seine. De 2004 à 2007, il préside le mouvement populaire (UMP).
Après son départ de la présidence, il reprend la présidence de l’UMP, qu’il fait renommer Les Républicains (LR). Puis il quitte la tête du parti en 2016 pour se présenter, sans succès, à la primaire présidentielle de la droite et du centre.
Il se met ensuite de nouveau en retrait de la vie politique et doit faire face à plusieurs affaires judiciaires, dont l’affaire Sarkozy-Kadhafi, l’affaire Bygmalion, et l’affaire Sarkozy-Azibert.

Comme on peut s’en douter, c’est par la branche maternelle que notre Nicolas national cousine avec les MOUCHET. Ci-dessous, le chemin le plus court entre les deux branches, sachant que : Marie Alphonse MOUCHET est le grand-père de mon conjoint et qu’Adèle BOUVIER est la grand-mère de Nicolas.

Autrement dit, la 3x arrière-grand-mère de mon conjoint, Marie JACQUES, était la demie sœur du 3x arrière-grand-père de Sarkozy, Claude HUDRY. Ces deux ancêtres étaient de Villard-sur-Boëge (74). Il y aurait encore moyen de s’en sortir honorablement en se disant que la mauvaise graine venait du côté HUDRY… sauf qu’il est vraisemblable (mais non encore vérifié) que les MOUCHET soient aussi parents avec les HUDRY ! C’est décidément une mauvaise pioche… mais tout le monde n’a pas la chance d’avoir que des ancêtres agriculteurs 🙂

En ce qui concerne la branche GREFFIER / BETEMPS, malgré que (ou parce que) Geneastar ne donne aucun résultat, j’ai envie de faire passer à la postérité un personnage qui semble oublié dans son propre village, alors qu’il a grandement œuvré pour le bien commun dans le domaine de l’archéologie.

Maurice René Joseph DUNAND (1898-1987)

Maurice DUNAND est un archéologue savoyard né à Loisin (74) en 1898. Son père était Etienne DUNAND de Loisin, et sa mère Jeannette DUNAND de Machilly.
De 1926 à 1977, il dirige les fouilles de Byblos dont il fera le seul site du Proche-Orient à peu près intégralement fouillé, depuis ses origines au VIe millénaire avant JC jusqu’à la période médiévale. Il a été tour à tour Inspecteur et Directeur des Antiquités au Haut Commissariat de France pour la Syrie et le Liban, puis Conservateur en chef des musées nationaux, puis Directeur de la Mission archéologique au Liban. Il a notamment bousculé le monde de l’archéologie avec ses nouvelles méthodes de gestion de fouilles.
La fin de sa vie fut certes moins glorieuse puisqu’il promit à deux pays différents -la France et la Suisse- de leur léguer ses archives, sa bibliothèque et tous les meubles de son bureau, moyennant paiement anticipé… Sans doute peut-on voir là une explication au fait qu’il n’ait pas laissé un souvenir impérissable dans son propre village…
Voici comment May Makarem, un journaliste de L’Orient Le Jour relate les faits le 22/02/2022 :

Une explication qui me semble plus plausible est que Maurice DUNAND n’a pas eu de descendance, ni, selon mes recherches actuelles, de neveux ou de nièces qui auraient pu avoir à cœur de valoriser sa mémoire post mortem… Cet article me donne donc l’occasion de rendre un hommage à ce cousin pas si éloigné (cf schéma ci-dessous, sachant que Marie Joséphine GREFFIER est la grand-mère maternelle de mon conjoint).

Quels liens de parenté ?

Pour en savoir plus sur Maurice DUNAND : sa nécrologie parue en 1987 dans la Revue d’art oriental et d’archéologie Syria et un récent article Quand Byblos retrouve sa mémoire, paru en 2022 dans le Campus de l’Université de Genève à l’occasion de la restitution au Liban d’archives résiduelles de Maurice DUNAND sur les fouilles de Byblos.




On ne choisit pas sa famille… (1)

Et c’est heureux, car on se priverait alors de toute la diversité et de la richesse de tempéraments, d’opinions, de parcours de vie, d’expériences ou de fantaisies qui la composent… Dans la même lignée (c’est le cas de le dire !), on ne choisit ni ses ancêtres, ni leurs descendants, et on peut être surpris après quelques générations de se découvrir des cousins certes éloignés, mais pas forcément désirés !

Le portail en ligne que j’utilise -Geneanet, pour ne pas le nommer- offre une fonctionnalité amusante qui consiste à comparer son arbre généalogique avec celui de personnes prétendues célèbres… même si les critères de célébrité versus Geneastar (c’est son nom) sont hautement discutables. Ayant deux arbres maintenant bien fournis, le mien et celui de mon conjoint, j’ai donc lancé une comparaison dont je vous livre à titre anecdotique les résultats dans cet article et les suivants.

Branche MAÎTRE / AYMONIER

La lignée MAÎTRE est la grande gagnante de cette course à la célébrité, avec pas moins de 6 cousinages identifiés avec des “Genéastars”. Parmi ces dernières, on compte deux politiques, un sportif, un scientifique, un militaire et un peintre. J’aurais sans doute l’occasion d’analyser plus finement l’origine de ces destinées peu communes, mais pour l’heure, j’y vois une belle revanche pour notre grand-père MAÎTRE qui de son vivant n’a pas eu la reconnaissance qu’il méritait !

Charles DUMONT (1867-1939)

Notre premier “cousin”, Charles DUMONT, était un homme politique français, qui a d’abord été Député, puis Sénateur, puis Président du Conseil Général du Jura, Il a ensuite occupé plusieurs postes de ministres, des Travaux Publics, des Postes et Télégraphes en 1911, des Finances en 1913 et en 1930, pour finir Ministre de la Marine Militaire en 1931-32. Bon, à chaque fois, c’était pour quelques mois, voire quelques jours (on était dans l’ère de la IIIème République durant laquelle les gouvernements se sont succédés), mais quand même un ministre !!!

Quels liens de parenté ?

En prenant comme point de départ notre grand-père, Raymond MAÎTRE : son arrière-arrière-arrière grand-père et l’arrière-arrière-arrière grand-père de Charles DUMONT étaient frères, issus de mêmes parents, soit : Antoine JACOT et Denise COLIN, tous deux de Brainans (39)

Anne VIGNOT (1960- )

Exactement de la même lignée -les JACOT / COLIN- est issue Anne VIGNOT, actuelle maire de Besançon et Présidente de Grand Besançon Métropole.

Louis Georges Eleonor ROY (1862-1907)

Nommé plus couramment Louis ROY, ce cousin était un artiste peintre et graveur assez connu, lié au courant impressionniste du groupe de l’école de Pont-Aven. Il a côtoyé Paul Gauguin (qui a d’ailleurs fait son portrait ci-dessous), Charles Laval, Monfreid et Emile Bernard.

Paul Gauguin : Le Peintre Roy, huile sur toile

En 1894, Gauguin lui confie la réalisation d’une trentaine de gravures pour sa revue Noa Noa. En même temps, Louis ROY enseigne au lycée Buffon à Paris et au lycée Voltaire. En tant que graveur et critique d’art, il collabore à différentes revues et sera le premier à découvrir l’œuvre du Douanier Rousseau. Ses œuvres sont exposées à Paris, en Bretagne, aux Etats-Unis et en Suède.

Quels liens de parenté ?

Là, le lien est relativement proche. En prenant comme point de départ notre grand-père, Raymond MAÎTRE : son arrière-grand-mère, Jeanne Marie ROY, femme de Philippe dit Criquet MAÎTRE, était la soeur du grand-père de Louis ROY.

Charles CHAMBERLAND (1851-1908)

Physicien et biologiste, Charles CHAMBERLAND fut l’un des plus anciens collaborateurs de Louis Pasteur. Il fut aussi un inventeur de génie, concevant un autoclave et un filtre à eau qui portent son nom. Après des études à l’École normale supérieure et une agrégation de sciences, il intègre à 24 ans le laboratoire de Louis Pasteur à Paris, dont il devient très vite Directeur adjoint. Il s’implique également dans l’étude de la maladie du charbon chez le mouton qui conduira en 1881 à un vaccin vétérinaire contre cette maladie. Élu député du Jura en 1885, il fut l’un des auteurs du premier projet de loi sur l’hygiène publique. « Celui qui éveillait la sympathie de tous ceux qui entraient en relation avec lui » selon Émile Roux, meurt prématurément, à 57 ans, d’un cancer du poumon.

Quels liens de parenté ?

En prenant comme point de départ notre grand-père, Raymond MAÎTRE : son 3x arrière-grand-père (AAAGP), Anatoile PROST, était frère de la 3x arrière-grand-mère (AAAGM) de Charles CHAMBERLAND.

Adrien BOURGOGNE (1785-1867)

Né dans le département du Nord, Adrien Jean Baptiste François BOURGOGNE est un militaire français des guerres de l’Empire, célèbre surtout pour ses mémoires sur la campagne de Russie, sous le titre Mémoires du Sergent Bourgogne 1812-1813.

Quels liens de parenté ?

Le cousinage est issu de la branche MAÎTRE dévoyée dans l’Aisne grâce à notre militaire napoléonien Augustin SANTONNAS. On parle donc d’un cousinage à la 8ème génération pour notre grand-père, Raymond MAÎTRE. C’est dire si on revient de loin !

Fabrice GUY (1968 – )

Un nom que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître mais qui a vécu son heure de gloire dans les années 1990… Fabrice GUY est un spécialiste français du combiné nordique (concours de saut à skis, puis 15 km de ski de fond) , qui a remporté une médaille d’or aux Jeux olympiques d’Albertville en 1992, puis une médaille de bronze par équipe à Nagano en 1998. A la fin de sa carrière sportive, il a retrouvé son poste de douanier à Mouthe (25), mais il est sollicité en tant qu’expert dans sa discipline par France Télévisions au moment des Jeux Olympiques.

Quels liens de parenté ?

On est là aussi sur un cousinage à la 8ème génération, avec deux COURVOISIER, de Mouthe justement, qui étaient frère et soeur.

J’ajouterais à ce tableau de chasse de la branche MAÎTRE un cousinage probable, mais non encore avéré, avec Claude PROST, dit Capitaine Lacuzon (1607-1681), un personnage haut en couleur désigné comme le “Robin des Bois franc-comtois”, dont on peut découvrir l’histoire ici.

Par la lignée AYMONIER, on ne peut se targuer a priori d’un seul cousinage, mais assez emblématique de l’esprit frondeur de la famille AYMONIER.

Inès/Inessa ARMAND (1874-1920)

Elle était une révolutionnaire russe et une fervente militante féministe. Née le 8 mai 1874, elle s’est engagée dans le Parti ouvrier social-démocrate de Russie (bolcheviks) aux côtés de Lénine. Elle a été une figure clé de la Révolution russe de 1917, contribuant activement à la propagande et aux discours politiques. Défenseure passionnée des droits des femmes, elle a également joué un rôle majeur dans le mouvement féministe russe. Sa relation personnelle avec Lénine a ajouté une dimension complexe à son engagement politique. Inessa Armand est décédée en 1920 à l’âge de 46 ans, laissant un héritage important dans l’histoire de la Russie révolutionnaire.

Quels liens de parenté ?

En prenant comme point de départ notre grand-mère, Rose AYMONIER : son 4 x AGP (AAAAGP), Claude Joseph BOILLOZ de Fertans (25) était le frère du 4 x AGP d’Inès ARMAND.

Je rajouterai également un possible cousinage, encore non avéré, avec Camille AYMONIER (1866-1951), dont le père était originaire des Fourgs (comme nos ancêtres AYMONIER). Il a été professeur agrégé et on lui doit de nombreux ouvrages sur l’espéranto, des études sur Montaigne et Ausone ainsi que des ouvrages régionalistes sur la Franche-Comté.




Palsembleu ne saurait mentir (Partie II)

… au pirate écarlate !

Jean François est donc le fils aîné de Laurent, celui qui n’a pas trop mal tourné en devenant exacteur (soit : percepteur de taxes) à Thonon-les-Bains… Il en est tout autre du fils cadet, Joseph DANTAL, le seul enfant à ne pas être né à Nice mais à Thonon-les-Bains, après l’arrivée de ses parents dans le Chablais en 1671. Relation de cause à effet ? Toujours est-il que Joseph a suivi un chemin bien moins conventionnel que celui de son frère. On le dit en effet « fort remuant et de réputation douteuse » (1)… A tel point qu’en 1704, quand le climat politique se détériore et que les troupes françaises atteignent le Chablais savoyard, engagées dans une lutte sans merci contre les huguenots et les résistants au régime, Joseph DANTAL, qui a alors 33 ans, décide de se rallier aux camisards et d’entrer en guerre contre les français. Et il le fera d’une manière très personnelle en devenant pirate (2) et en attaquant les convois maritimes ou terrestres affrétés par les banquiers genevois. Son principal -et ultime!- fait d’armes a été de dérober en 1705 pas moins de 20’000 louis d’or aux troupes françaises ! Il s’agissait en fait de l’or destiné à payer la solde des troupes de Vendôme qui étaient sorties victorieuses de la bataille de Cassano contre les troupes savoyardes. L’opération n’a pas été simple à mener, comme nous l’explique plus en détail Olivier Gonet sur son blog. Mais on sait qu’après cet exploit, DANTAL et ses acolytes regagnent les côtes suisses, où ils seront vus quelques jours plus tard en train de fêter leur victoire dans une auberge. Et « chose extraordinaire et malgré les protestations véhémentes des représentants français, les auteurs de ces méfaits ne furent jamais inquiétés par la police bernoise ».

Qu’advint-il du trésor de Vendôme ? Nul ne le sait car après cela, le pirate disparut purement et simplement du paysage chablaisien…

En guise de conclusion, voilà le chemin le plus court, généalogiquement parlant, reliant les BETEMPS et les DANTAL :

(1) Olivier Gonet – cf source dans « pour en savoir plus… »
(2) pour autant, il n’était ni le premier, ni le dernier
!

Pour en savoir plus sur les pirates du Léman :

Ce thème a aussi inspiré quelques fictions, dont :

  • May, O. (2023). Les Pirates du Léman : La prisonnière de Chillon. Flammarion jeunesse.
  • Vellas, C. (2016). Légendes et histoires du Léman
  • Knobil, B. (2016). Petchi et les pirates du Léman



Palsembleu ne saurait mentir ! (Partie I)

(Sang bleu signifie noble. Cette locution désigne quelqu’un appartenant à la noblesse ou à l’aristocratie par sa filiation)

Introduction

En des temps anciens et résolument moyenâgeux se tramaient sur notre beau Léman (1) des scènes qu’on ne sauraient imaginer, bien éloignées en tout cas de celles en usage de nos jours, essentiellement dédiées à la trempette, bronzette ou guinguette. Il faut savoir qu’à cette époque, les chemins étaient de piètres sentiers, très mal entretenus et peu praticables, si bien qu’on leur préférait la voie du lac, plus directe. Les principaux transports s’effectuaient donc sur les eaux du Léman qui étaient la seule vraie grande route commerciale. Ainsi, des barques partaient du pays de Vaud pour acheminer vers Genève du vin et des farines d’Allemagne, des fromages et des viandes de Fribourg, ou en sens inverse des draps, des velours et des toiles en provenance des très réputées foires de Genève. Autant dire qu’il y avait beaucoup de monde et de trafics sur le lac, sans compter les combats maritimes acharnés qui pouvaient intervenir à tout moment entre princes, seigneurs et califes à la place du calife de tous bords (du lac)… Tout cela créait une effervescence bien industrieuse autour de cette gouille de quelque 580 km2 et ne manquait pas d’attirer aussi la convoitise de brigands, malfrats et coquins en tout genre…

Dans ce contexte et dans le cadre très précis de ma recherche des ancêtres savoyards, une famille de la branche GREFFIER/BETEMPS (en l’occurrence plus BETEMPS que GREFFIER) retient plus particulièrement mon attention. Il s’agit des DENTAL (ou DANTAL) dont plusieurs membres, intimement liés à l’activité du lac, ont fait parler d’eux, en (très) bien comme en (très) mal…

L’histoire -du moins celle du Chablais- commence avec Lorenzo DENTALE, un charpentier naval niçois (savoyard à l’époque!) appelé en 1671 par le Duc de Savoie, Charles-Emmanuel II, pour construire à Thonon-les-Bains un tout nouveau modèle de barque marchande, potentiellement affrétable pour la guerre. En effet, le Duc dont le royaume s’étend jusqu’à la côte méditerranéenne (cf carte ci-dessous) vient de lancer un projet d’envergure : attirer sur le territoire savoyard tout le commerce entre le midi de la France et l’Allemagne, qui, jusqu’alors, passait par la ville de Genève.

(1) qu’on évitera de nommer “Lac Léman”, car il parait que ça revient à dire “Lac Lac” et que cela constitue un délit de tautologie !

De l’Amiral génial…

Pour atteindre cet objectif quelque peu mégalomane, le Duc fait réaménager plusieurs routes servant au commerce, dont celle des Echelles qui permet de rallier plus facilement Lyon. Puis il fait construire à [Collonge-]Bellerive, qui à l’époque était encore en Savoie (1), un port fermé par des digues, ainsi que de grands entrepôts. C’est donc pour mieux servir son ambition démesurée qu’il fait venir Lorenzo DENTALE. A 37 ans, ce dernier a déjà passé une bonne partie de sa vie en tant qu’armateur et amiral à Nice, où il a d’ailleurs eu ses 5 premiers enfants avec la bien nommée Dorotea DENICIA, dont Jean François (né Gian Franco, à Nice en 1658), ancêtre direct des GREFFIER/BETEMPS …en 10ème génération quand même !
Sitôt arrivé à Thonon, Lorenzo, rebaptisé Laurent, se met tout de suite au travail et développe deux prototypes de barques très prometteuses, le Saint-Charles et le Saint-Jean-Baptiste, inspirées des barques latines méditerranéennes. Faisant preuve d’un esprit d’innovation hors du commun, DANTAL décide de construire une carène à fond plat, il allonge et élargit la coque pour adapter l’embarcation aux conditions particulières du Léman, sans utiliser aucun plan (2). Encensé par les experts et les marins, Laurent DANTAL est dès lors nommé Patron des galiotes de Son Altesse Royale. En 1689, il réalise deux barques supplémentaires. La flotte savoyarde est donc constituée de 4 bâtiments et de 800 marins, ce qui est plutôt important pour le Léman.

Mais les choses se gâtent en 1690, quand Louis XIV déclare la guerre à la Savoie. Laurent DANTAL décide alors d’amener ses 4 bateaux sur la côte suisse, à Villeneuve, puis à Chillon, pour les placer sous la protection de Berne et les soustraire à l’envahisseur des terres savoyardes. Trop contents de « récupérer » un amiral aussi talentueux, les bernois confient à DANTAL le soin de parfaire le projet de créer un port à Morges, une mission dont il s’acquitte parfaitement avec l’aide des experts qui lui sont adjoints. Par ailleurs, durant son exil en Suisse, il fait la connaissance de Jean François PANCHAUD, un homme d’affaires ambitieux qui lui commande un bateau pouvant satisfaire à ses ambitions commerciales et répondant également aux exigences de Berne (qui étaient de pouvoir réquisitionner et utiliser les barques en cas de guerre).

En 1691, DANTAL réalise un nouveau modèle de barque, la Gaillarde, qui est la toute première « barque du Léman » telle qu’on la connaît aujourd’hui. Le bateau se révèle excellent, il n’est pas trop cher et parfaitement adapté à l’usage commercial, si bien qu’en une décennie, dix barques similaires sont construites autour du Léman.

Carte postale d’une barque du Léman vers 1900

Les anciennes barques genevoises disparaissent supplantées par l’invention géniale de DANTAL, qui passe alors allègrement à une postérité de longue durée (3) avant de mourir en 1696 à Thonon-les-Bains. C’est donc le fils aîné, Jean François, qui rendra les galiotes à la Savoie après le décès du père.

La suite : Palsembleu ne saurait mentir ! (Partie 2)

(1) Collonge-Bellerive fait partie des communes réunies qui ont été cédées à Genève en 1816
(2) Le génie reconnu de Laurent DENTAL –qui ne savait ni lire ni écrire– réside dans le fait d’avoir conçu des bateaux parfaitement adaptés aux conditions lémaniques
(3) Aujourd’hui encore, Laurent DANTAL est donné comme l’inventeur incontesté des Barques du Léman, j’ai pu le constater de mes propres oreilles en embarquant sur la Savoie à l’occasion des Journées du Patrimoine 2023

Pour en savoir plus sur Laurent DANTAL et sur ses barques :




En dents de scie

1919… une année qui sonne comme l’an neuf après une guerre meurtrière qui aura duré 4 ans et engendré en France près de 600’000 veuves et 986’000 orphelins. Elle, elle a 27 ans et le regard fier d’une qui ne s’en laissera plus conter, des cheveux noirs -avant qu’ils ne blanchissent prématurément- et le maintien d’une madone avec ce je ne sais quoi d’espagnol, dont l’origine n’a à ce jour pu être identifié généalogiquement parlant. Bon sang ne sachant mentir, ou alors très mal, je trouve également beaucoup de traits communs avec mes cousines et avec ma sœur…



Dans quelques mois, elle se marie et elle s’en réjouit… enfin, c’est ce que je crois. L’élu s’appelle Joseph Maximin REUDET, il a 33 ans et il vient de passer la bagatelle de 5 années sous les drapeaux, d’abord dans l’escadron du train des équipages militaires (1), puis dans l’aérostation (2), une demi-décennie qui s’est rajoutée à un service militaire préalable de 2 ans effectué entre 1907 et 1909… Autant dire qu’en dehors du service à la patrie, il n’a pas fait grand chose, mais au moins il en ressort vivant et entier, un luxe par les temps qui courent ! Qui plus est, avec une qualification de mécanicien qui lui sera bien utile pour la suite…

Il y a seulement 5 mois qu’il est démobilisé mais ce mariage ne peut attendre. Non, non, ça n’est pas ce que vous croyez : pas question de polichinelle dans le tiroir , ni de brioche dans le four, ni de moussaillon dans la cale ! C’est juste que le 16 août 1919, il y aura DEUX mariages pour le prix d’un ! Rose AYMONIER épousera Joseph REUDET, tandis que Maurice AYMONIER, le frère aîné, s’unira avec Cécile REUDET, soeur cadette de Joseph. Même si ce type de mariage croisé était assez fréquent (cela permettait notamment une moindre dissémination du patrimoine familial), l’évènement n’est certainement pas passé inaperçu dans un petit village comme Fertans (Doubs). La famille AYMONIER, qui comporte plusieurs branches, y est en effet implantée depuis des lustres. Stéphane, le père de Rose, y exploite une scierie qu’il a créée initialement avec son frère (mort en 1905). L’activité semble prospère et selon les recensements de population de l’époque, elle fait vivre pas mal de foyers dans le village.



Au moment du mariage, Maurice AYMONIER, le frère unique de Rose, travaille sans doute à la scierie avec son père car, ayant été exempté, il n’a pas participé à la guerre. En tout cas, il a aussi une qualification de mécanicien… Mais surtout, c’est un véritable Géo Trouvetou des temps anciens, toujours à l’affût d’une amélioration à apporter aux objets et outils de la vie quotidienne. Ainsi, entre 1955 et 1959, ce ne sont pas moins de 3 brevets qu’il déposera, dont un sur une machine à écorcer (3). Il ne faut alors pas chercher d’où venait chez notre papa cette inventivité exceptionnelle !

Les REUDET, Joseph et Cécile, font quant à eux partie d’une très grande famille de douze enfants qui réside non loin de Fertans. Le père est instituteur et tous les garçons ont eu une très bonne situation (l’un comme hôtelier-restaurateur renommé à Besançon, un autre, comme employé de commerce, un autre encore reçut la Légion d’Honneur et autres médailles pour sa participation à différents conflits). Et petit détail qui devrait nous interpeller : une des soeurs aînées de Joseph a épousé en 1908 un certain Marius MAÎTRE qui n’est autre que le petit cousin de Raymond.

Mais revenons à ce fameux double mariage. Impossible de savoir si celui-ci est placé sous le sceau d’un amour fou. Ce qui est certain, c’est que côté affaire, les choses se goupillent plutôt bien. Jugez-en plutôt par vous-même :

  • le 14 août 1919 (deux jours avant le mariage), selon un acte passé devant notaire, Rose et Maurice, qui ont respectivement 27 et 30 ans, deviennent propriétaires de la scierie de leur père, AYMONIER Stéphane. Celui-ci décédera d’ailleurs l’année d’après, le 27 octobre 1920
  • le 2 septembre 1919 (quelques semaines après le mariage), les deux couples forment une société en nom collectif ayant pour objet le commerce des bois et de la scierie, nommée AYMONIER-REUDET.



Résultat des opérations : les deux couples, et plus particulièrement, Maurice et Joseph, se retrouvent à la tête d’une affaire déjà bien implantée dans le village et qui ne demande qu’à fructifier. Après la guerre, les besoins en bois sont en effet très importants en France pour la reconstruction des voies de chemins de fer notamment. L’avenir se présente donc sous les meilleurs auspices…

Côté familial, des informations nous manquent pour décrire la vie des deux couples durant les cinq années qui ont suivi le mariage (4) et avant le drame qui a anéanti les deux familles , mais on peut s’appuyer sur le contexte de l’époque pour tenter de l’imaginer : nous sommes au début des années folles, période pendant laquelle la jeunesse enivrée d’espoir souhaite s’amuser, vivre et surtout oublier l’horreur de la guerre. C’est l’avènement du jazz, de la radio, du cinéma. En ville, c’est aussi l’occasion pour la femme de s’émanciper à travers la mode et de goûter à une certaine forme d’indépendance. On pense à Joséphine Baker, Coco Chanel, Louise Brooks… Et à leur pendant masculin, Fred Astaire et au personnage de fiction, Gatsby le magnifique

Certes, le phénomène se cantonne surtout dans la capitale, mais quand même la scierie des AYMONIER REUDET est grande, moderne et elle emploie plusieurs personnes. On peut légitimement penser que les deux couples possèdent une ou deux voitures personnelles, un patrimoine financier qui ne cesse de croître et un train de vie qui n’a pas grand chose à envier aux gens de la ville… Par ailleurs, Rose AYMONIER vient d’un milieu où la liberté individuelle n’est pas un vain mot : son père et au moins un de ses oncles adhéraient au parti radical socialiste (5). Et elle est une des premières femmes du canton à obtenir son permis de conduire. Malgré les nombreuses incertitudes qui subsistent, je n’hésite donc pas à affirmer que jusqu’en 1925, tout avait plutôt bien réussi à notre jeune Rose, bercée qu’elle était par le chant des scies-reines et par un petit vent de liberté qui n’était pas vraiment la norme pour les femmes vivant en province.

Et sans vouloir pousser mémé dans l’uchronie (6), je pense que si Joseph REUDET n’était pas mort accidentellement, la vie aurait continué de la même manière dans un confort prospère, avec, à la clef, une belle entente entre les deux couples, même si, pour une raison que j’ignore, Maurice s’est expatrié à Reims avec sa famille en 1922 tout en continuant à gérer la scierie avec son beau-frère… Ce dernier aurait veillé aux intérêts de l’entreprise familiale sur place, à Fertans, il en aurait peut être relancé une autre en bon industriel qu’il était. En plus de Louis (né en 1920) et Monique (1925), il y aurait peut être eu d’autres enfants mais certainement pas de Bernard, ni de François, ni de Michel… Et je ne serais donc pas là aujourd’hui pour vous en parler…

En lieu et place, il y eut donc ce drame d’un père et mari disparaissant dans la force de l’âge en 1925 et modifiant dans son sillage (ou sciage, c’est selon!) une bonne partie des destinées de ses proches. Pour Rose, commence alors une période en dents de scie : elle se retrouve seule à 34 ans, avec deux enfants dans les bras : Louis, 5 ans, et Monique qui naîtra 5 mois plus tard… avec la responsabilité partagée d’une affaire, qui reste encore à l’époque celle des hommes. Son père n’est plus là pour l’aider et Maurice vit à Reims. Sa mère a alors 65 ans. On n’a pas trop de mal à imaginer la détresse de Rose durant cette période et l’énergie qu’elle a dû déployer pour aller de l’avant, s’obligeant peut être déjà à se remettre à la couture, son premier métier. Sans doute a t’-elle bataillé ferme durant 3 ans pour garder son indépendance avant de “capituler” en acceptant en 1928 l’offre en mariage de Raymond MAÎTRE, notre grand-père, qui ne lui était pas inconnu (cf ci-dessus) : bien qu’unijambiste, ce dernier, alors Professeur de lettres à l’Institution Saint-Jean à Besançon, offrait stabilité et équilibre à notre Rose qui avait certes deux pieds sur terre, mais aussi la charge de deux enfants et d’une mère vieillissante.

Le mariage de Rose et Raymond aura donc lieu le 4 août 1928, marquant le début de l’histoire de notre père, de ses deux frères et de leurs lignées respectives, et sonnant la fin de celle que notre grand-mère aurait pu avoir avec son premier mari et dont la dernière page est définitivement tournée le 2 septembre 1929 avec la dissolution de la société en nom collectif qui avait été formée sous la raison « AYMONIER-REUDET ».

En guise d’épilogue : une fois n’est pas coutume, et parce que la rédaction de cette chronique m’a pris un temps anormalement long (mon logiciel indique… 51 révisions !!!), j’aimerais témoigner de mon état d’esprit au terme de l’exercice. Il s’est avéré en effet bien difficile de raconter un épisode de la vie d’une aïeule en ayant très peu d’informations à disposition, car en plus de trahir l’Histoire (la grande), on craint de trahir la personne elle-même. Pour autant et contre toute attente, grâce à ces questionnements et cogitations solitaires, j’ai l’impression d’avoir fait un grand pas vers une meilleure connaissance de Rose. A l’image d’une grand-mère qui, dans mon souvenir d’enfant, se montrait distante et peu démonstrative se substitue à présent celle de cette même personne, plus jeune, fauchée en pleine ascension par un drame qui a complètement modifié la trajectoire de sa destinée, et je me surprends à trouver des excuses à celle dont la mémoire familiale élargie retient un comportement peu avenant vis-à-vis de ses proches…

(1) L’aérostation étant « la technique qui permet le vol au sein de l’atmosphère terrestre en utilisant des engins plus légers que l’air ». Quand on parle de ballon dirigeable à des fins militaires, cela devient plus clair…
Impossible à ce stade de vérifier cette information ; il n’est même pas certain que le mariage ait eu lieu à l’église
(2) Ce train-là n’est pas celui qui siffle trois fois, mais c’est, en termes militaires, « l’arme qui organise et coordonne la logistique militaire, le transport du matériel, des munitions et du ravitaillement pour l’Armée de terre française » (source : Wikipédia)
(3) les 3 brevets de Maurice Aymonier : Machine perfectionnée à écorcer les bois le 14/09/1955 – Tête de travail perfectionnée pour machine à écorcer les bois le 03/07/1956 – élément profilé en bois à revêtement en matière plastique et son procédé de fabrication le 30/07/1959 (source : base INPI)
(4) de manière générale, j’ai très peu d’informations sur la branche des AYMONIER, encore moins sur celle des REUDET. J’ai pu reconstituer certaines périodes de la vie de ces ancêtres, notamment toutes les opérations et actes notariés liés à la scierie, grâce à des recherches dans la presse anciennes. L’achat de deux factures AYMONIER sur le site Delcampe me permettent aujourd’hui de présenter les logos successifs de leur entreprise. Mais pour le reste du récit, je suis réduite à avancer des hypothèses, avec tout ce que cela comporte comme risques d’erreur.
(5) L’idéal social des radicaux explique leur refus d’accepter l’idée selon laquelle la société française serait divisée en classes et, plus encore, la conception selon laquelle la lutte des classes serait, comme le pensent les marxistes, le moteur de l’histoire. Fondamentalement, ils restent fidèles à la manière dont Maujan définissait, dès le congrès de 1902, la position des radicaux en matière sociale : « Il n’est plus, politiquement parlant, de bourgeois et d’ouvriers, la Révolution et le suffrage universel ont fait de tous des citoyens et des électeurs, et notre doctrine qui vise la fusion des classes et non la division et la lutte des classes, est toute dans la pacification par les réformes : c’est une doctrine de fraternité et de solidarité sociale, car on ne fonde rien avec la haine ». Congrès de 1902 du parti républicain radical et radical-socialiste, p. 88. Source : Berstein, S. 2004. Chapitre 6. La nature du radicalisme dans la France de l’entre-deux-guerres. In Berstein, S., & Ruby, M. (Eds.), Un siècle de radicalisme. Villeneuve d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion.
(6) un récit uchronique consiste à proposer une histoire alternative à partir d’un évènement modifié du passé. Deux mots suffisent à en donner une idée : ET SI… (et si tel événement n’avait pas eu lieu, que se serait-il passé ?)… Ainsi, dans son livre Le maître du Haut-Château, publié en 1962, Philip K. Dick imagine un monde dans lequel l’Allemagne nazie, l’empire du Japon et l’Italie fasciste ont remporté la seconde guerre mondiale. Plus proche de nous, en 2001, Eric-Emmanuel Schmitt décrit dans La Part de l’autre ce qui serait advenu si Adolf Hitler n’avait pas été recalé à l’école des Beaux-arts de Vienne…