La pêche aux souvenirs et ses bienfaits

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L’avez-vous remarqué ? Quand il n’est pas ailleurs, notre esprit peut se révéler farceur et pas toujours à l’écoute de nos priorités, ni du programme que l’on pu se fixer… Ainsi, le mien aime particulièrement s’adonner à la pêche… la pêche aux souvenirs s’entend ! A la faveur d’un détail désespérément insignifiant et au moment le plus inopportun pour moi, le voilà qui commence à hameçonner mon attention et à l’attirer sournoisement vers la berge des souvenirs… Le parcours n’a rien de linéaire, l’attention ayant la fâcheuse habitude de sauter du coq à l’âne, en l’occurrence, du saumon à la grenouille, de disparaître dans des trous de mémoire ou encore de se réfugier dans la volupté d’un souvenir d’enfance, pour rejaillir l’instant d’après dans un geyser de réminiscences. Un processus qui, en onomatopées, donne à peu près cela : oh bah ? ha ? hum hum ! ha ha ! zip ! plouf ! hop ! et re-hop ! plouf gloup ! glou glou glou ! hummmm ! waouh ! flatsch flatsch flatsch ! yeah ! Car oui, il me faut le préciser : pour moi, cette opération se termine toujours bien, avec de belles prises à la clé.

Aujourd’hui, je vous propose de revenir sur une de mes récentes expériences de pêche aux souvenirs, avec l’espoir que cela vous donne envie de vous y essayer à votre tour. Mais pour ce faire, reprenons la chronologie onomatopéienne :

Le oh bah ? qui marque le début du processus, concerne la découverte d’une signature de notre grand-mère au bas d’une lettre qu’elle écrivait en 1980 : JLM pour Jeanne Louis MORIN. Si son prénom et son nom d’épouse étaient respectivement Jeanne et MORIN, pourquoi avoir intercalé les initiales du prénom de notre grand-père, Louis, décédé en 1973 ?

ha ? hum hum ! Voilà qui est étrange… peut être un cas isolé ? eh bien non : après le décès de son mari, Jeanne signait toutes ses lettres -et Dieu sait qu’elles furent nombreuses!- de la même manière… Mais tout bien réfléchi, cela me rappelle quelque chose… voyons, voyons…

ha ha !, mais oui, il me semble bien que notre grand-mère a toujours affirmé que son “p’tit Lou” continuait à l’accompagner dans les moindres gestes du quotidien ; elle s’adressait d’ailleurs régulièrement à lui sans que cette étrangeté ne remette en question sa santé mentale aux yeux de son entourage.

et zip !, à la faveur de cette évocation, me voilà embarquée au pays de notre enfance (commune à mon frère et à ma soeur) ! La glissade pour y arriver est jubilatoire, le parcours se révélant délicieusement familier, empreint d’odeurs de vacances et de promesses de fulgurances. Sous-bois verdoyants, sols ocrés, chemins profonds, bourdonnante obscurité, temps joliment inconsistant, exaltations partagées, instants d’exception…

plouf ! Je plonge avec délectation dans un lac de souvenirs, vaporeux par endroit, lumineux ailleurs, mais jamais limpide. On est quand même à 50 ans de profondeur, il ne faut pas l’oublier ! Quelques visages se dessinent, des regards, des gestes, des bruits… Le fil est à ma portée, je n’ai plus qu’à le tirer… mais ce faisant…

hop ! me voilà happée par le souvenir de l’Amour qui unissait mes grands-parents : fondé sur une admiration et un respect mutuels, c’était un Amour assez exceptionnel. Il y avait peu de paroles, l’essentiel passait dans les regards, l’attention à l’autre et les gestes tendres. Je dois le dire : je n’ai jamais plus croisé ailleurs une telle entente implicite.

et re-hop ! un souvenir en appelant un autre, il me revient de manière assez précise en mémoire l’image de Jeanne, à la fois épouse, mère et grand-mère, maîtresse de maison, cuisinière généreuse et tricoteuse hors pair, veillant au bien être de tous et chacun, sans jamais paraître ni soumise, ni inconsistante, ni aigrie. Elle avait une vraie personnalité, ainsi qu’une vraie présence aux autres. Et, qualité assez rare, mais ô combien précieuse : elle savait écouter.

Louis, quant à lui, était un taiseux. Comme le sont ceux qui ont vécu des choses qui ne peuvent pas ou plus être mis en mots. Sa présence était donc silencieuse, mais toute aussi authentique et bienveillante. Même si, je dois le dire, un simple regard de sa part suffisait à stopper une parole ou un comportement déplacés. Il passait du temps dans son jardin, bricolait un peu, lisait des journaux et -souvenir olfactif ô combien prégnant!- il fumait la pipe.

Mais, plouf gloup ! force m’est de constater que le concernant, beaucoup de souvenirs sont flous. Il est décédé en 1973, à 82 ans, j’avais alors 11 ans. Tout ce que je peux dire, c’est que je ressentais une connexion assez forte avec lui, qui est de l’ordre de ce qu’on appellerait aujourd’hui une proximité émotionnelle. Et glou glou glou ! c’est à ce moment précis que mon petit inconscient me dit qu’il faut revenir à la surface, sous peine de sombrer dans un mélo sans nom. J’entame donc la remontée, mais…

C’est sans compter sur le Hummm de la fin, puisque me voilà en train de me remémorer quelques chouettes moments qui ont marqué l’enfant que j’étais : l’observation des étoiles avec notre père, tous allongés dans l’herbe, les balades en toute liberté sans la présence d’un adulte, la légèreté de tous les instants et l’humour qui régnaient dans cette maison, les soirées feu de camp organisées à l’improviste, les baignades quotidiennes dans l’Adour, la fabrication d’un bateau…

Et là, waouh ! flatsch flatsch flatsch ! yeah ! à force de me triturer la cervelle, c’est une myriade de souvenirs qui jaillissent à la manière d’un bouquet final. Les fougères, le soleil après la pluie, l’odeur du pot-au-feu ou de la garbure, le caquètement des poules, un béret, des voix familières et bienveillantes, les farces de potache, les parties de crapette et de scrabble, Q dans l’O, la messe à domicile… Et j’en passe, de manière d’autant plus expéditive dans cette chronique que ces souvenirs ne font du bien qu’à celui ou celle qui les a vécus…

Certes. Mais au delà du fait de raconter encore un peu de la vie de Jeanne et Louis (dont nous avons quelques photos ci-dessous), le message que je voulais faire passer est le suivant : il ne faut pas hésiter à revisiter le pays de notre enfance, de peur de se laisser happer par la tristesse et les regrets. Croyez-moi, c’est tout le contraire : cela fait un bien fou ! Des études très sérieuses ont montré que, loin d’être un ressenti négatif, la nostalgie a des bienfaits insoupçonnés sur notre équilibre personnel. Elle permettrait de donner un sens à sa vie et à se sentir moins seul. Rien de moins !

Alors, qu’est qu’on attend pour retomber tous en enfance ? Je vous le demande !

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