Une fois n’est pas coutume : j’ai décidé aujourd’hui de vous parler de moi. Et notamment de ma fâcheuse propension à perdre du temps dans des activités qui ne rapportent rien, n’intéressent personne et n’engendrent aucune forme de notoriété (si tant est que j’en revendique). Trier des vieux papiers, établir des inventaires à la Prévert, faire des recherches sur des personnes disparues, suivre des formations sur des sujets improbables, écrire sur tout et n’importe quoi… autant de marottes qui, aux yeux du commun des mortels, font perdre beaucoup de temps pour pas grand chose…
Pire ! je le sais et … je persévère pourtant dans cette perte sévère de temps…
Pourquoi ?
Parce qu’avec les années, j’en suis arrivée à constater que la perte de temps se mesure bien souvent de manière positive en somme de connaissances acquises.
Sentiment conforté par mon expérimentation toute récente autour d’une très bête opération de tri de fiches de recettes ayant appartenu à notre maman, Thérèse MORIN, qui possédait plus de 6000 fiches issues du magazine “Elle”. Un lot que j’ai récupéré au moment où nous avons vidé la maison de nos parents en 2014 et que je devais en toute logique détruire ou donner à Emmaüs rapidement, histoire de n’encombrer ni mon espace, ni mon emploi du temps. Mais comme on le sait, (pres)sentiments et logique ne font pas bon ménage. Je ne m’attarderai pas ici sur les raisons qui m’ont poussé à conserver pendant 7 ans ces fiches, pour finalement les trier, ni sur l’aspect technico-statistique de l’opération qui est décrit en détail sur mes carnets de recherche. Ce qui est intéressant, c’est ce que j’ai pu retenir de cette opération qui a quand même occupé 10 à 12 heures de mes vacances !
Le plus grand apport de ce type d’activité est sans conteste la reviviscence de souvenirs, qui aurait sans doute mérité d’être partagée avec d’autres membres de la famille : les moments où nous aidions tour à tour notre maman à classer et à catégoriser ses fiches (j’ai en effet retrouvé sur les étiquettes l’écriture de ma soeur, de mon frère et la mienne), les recettes que nous avons testées (en les confectionnant ou en les dégustant), etc. Je me suis souvenue aussi de cette façon si particulière qu’avait notre maman d’utiliser ses fiches recettes : ainsi, je ne l’ai jamais vue en suivre une à la lettre, ni même en garder une sous les yeux. C’était souvent en lisant son magazine qu’elle repérait une manière originale d’apprêter ou d’utiliser tel ou tel ingrédient et hop ! le lendemain, ou le WE suivant, le résultat -hautement comestible- se retrouvait dans notre assiette. Elle prenait des bouts d’idées par ci, par là, ajoutait de la poudre de perlinpimpin, quelques zestes de fantaisie, higitus figitus et… à la manière de Merlin l’Enchanteur, l’affaire était dans la casserole à une rapidité déconcertante.
En y repensant, je crois que sa parfaite maîtrise des techniques culinaires de base l’autorisait à utiliser ses fiches de recettes comme une formidable base de données venant enrichir ses connaissances.
L’autre apport de cette activité de tri réside dans une meilleure connaissance de la personnalité de Thérèse. Certes, il y avait toujours beaucoup de fantaisie et d’originalité dans sa manière de faire les repas (comme de les commencer par le dessert et finir par l’entrée), de composer les menus (sous forme d’énigmes ou de devinettes) et de disposer la table (en testant par exemple une à une toutes les pièces du chalet, à l’exception de la salle de bains et des WC). Mais je perçois aussi dans sa façon de classer ses recettes d’autres qualités insoupçonnées et moins visibles alliant minutie, rigueur et logique.
J’ai aussi admis qu’on ne pouvait pas TOUT garder et qu’il fallait privilégier avant tout les archives familiales, constituées des preuves de l’activité des personnes disparues. Les collections, en tant que telles, n’en font pas partie, mais comme elles sont souvent révélatrices de traits de personnalité de la personne qui l’a constituée, il s’avère tout à fait judicieux avant une éventuelle élimination d’établir une fiche descriptive de la collection (quantité, dates extrêmes, identité du collectionneur’ etc.), en adjoignant des photos et des commentaires personnels, comme ceux qui figurent ci-dessus. Ainsi, une trace de cette collection restera dans la mémoire familiale.
Donc, pour moi, le temps soi-disant perdu n’existe pas. Et en tout état de cause, je me refuse de juger de la pertinence d’une activité à l’aune du temps que je suis susceptible d’y passer, même si, je ne peux le cacher, la question existentielle du chat ne me laisse pas complètement indifférente…