De la disparition d’un patronyme…

Aujourd’hui on va parler patronyme. En particulier, d’un de ceux qui a disparu des radars en moins de temps qu’il ne faut pour le dire… enfin, en le disant lentement car cela a quand même pris 2 siècles ! Mais une paille à l’échelle d’une généalogie qui s’inscrit dans la durée…

Ainsi, Marie Joséphine, notre arrière-grand-mère maternelle, était la dernière porteuse d’un nom qui n’existe plus aujourd’hui, celui des TOURLAQUE (orthographié aussi TORLAC au XVIème et XVIIème siècle).

Alors d’où vient ce nom ? Selon un traité sur la toponymie normande, ce patronyme pourrait venir du vieux danois latinisé torlacus, qui se retrouve dans certains noms de villes comme Tourlaville dans la Manche ou Tourlamesnil, ancienne appellation de Tous-les-Mesnil, en Seine-Maritime.

Si aujourd’hui, je tape Tourlaque dans mon moteur de recherche sinon préféré, du moins imposé, tous les résultats pointent vers la rue du même nom –pour ne pas dire éponyme-  à Paris, célèbre pour avoir accueilli des ateliers de peintres renommés comme Toulouse-Lautrec, Bonnard ou Miro. Wikipedia nous apprend en outre que la Rue Tourlaque située dans le 18ème arrondissement  tire son nom du patronyme porté par l’ancien propriétaire du terrain, François TOURLAQUE (1767-1844).

(n.b. : il y a encore quelques jours, je pensais que François, établi à Paris,  n’avait rien à voir avec notre famille TOURLAQUE de Purgerot en Haute-Saône, mais c’était sans compter sur une découverte que j’ai faite entre temps. Mais là n’est pas l’objet de l’article du jour, nous en reparlerons plus tard)

Dans les pages blanches, rien ne ressort non plus sur une personne portant de nos jours ce patronyme. Geopatronyme, basé sur les données de l’INSEE n’est pas plus disert : « le Nom de Famille TOURLAQUE est introuvable dans notre fichier des porteurs nés entre 1891 et 1990 ».

Enfin, les résultats de Filae, même s’ils ne sont pas exhaustifs, finissent d’enfoncer le clou : après 1900, la base de données ne trouve plus aucune occurrence sur les naissances alors qu’entre 1650 et 1850, leur nombre n’avait cessé d’augmenter passant de 4 à 74 (naissances quasiment toutes situées à Purgerot, en Haute-Saône).

Pas de doute :  on a bien affaire à l’un des nombreux patronymes qui disparaissent chaque décennie.  Une statistique globale montre en effet que près du tiers des patronymes relevés entre 1891 et 1915 ne se retrouvent pas dans la période suivante, entre 1916 et 1940, c’est dire !  En contrepartie, lorsque 100 patronymes disparaissent, il en surgit 177 totalement nouveaux [1].

Partant de là, il m’a semblé intéressant d’examiner le phénomène à l’échelle de notre propre famille. Je vous invite donc à participer avec moi à un petit jeu, dont les règles sont les suivantes au titre du patriarcat patronymique (et seulement à ce titre, bien évidemment !!!) : dès lors qu’il y a des filles dans la fratrie, elles sont éliminées puisque même si elles arrivent à l’âge adulte, elles perdent leur nom de famille au profit de celui de leur époux ; seront également éliminés les garçons sans descendance (s.d.), a fortiori s’ils sont décédés en bas âge ce qui était fréquent.  

Les registres de Purgerot étant disponible seulement à partir de 1700, nous sommes astreints à prendre comme point de départ le couple Pierre TOURLAQUE et Jeanne TUBIN, uni par le mariage le 28/08/1668 à Purgerot (70), nos ascendants de 9ème génération. Manifestement, à cette époque, il n’y a déjà pas beaucoup de concurrence sur ce patronyme car le couple est le seul présent dans le registre.

Pierre et Jeanne ont 7 enfants, dont 3 filles et 2 garçons décédés en bas âge, donc sans descendance. Selon les règles édictées ci-dessus, 5 enfants sont éliminés d’office. Restent donc deux garçons, qui se marient tour à tour : Louis, notre ancêtre et François, l’ancêtre dudit François de la Rue Tourlaque

Louis (Génération 8), marié avec Françoise LALLEMAND en 1713  aura 3 enfants, dont 1 fille. François (G8, également)  aura 2 filles et un garçon.

A partir de la 7ème génération, 2 lignées se forment. L’une avec les deux fils du susnommé Louis (G8) qui perpétuent le nom, à savoir : Louis et Claude. Le premier, notre ascendant direct, se marie avec Anne LACHASSINE en 1741. Le deuxième avec Marguerite COUDRY en 1756.

Dans l’autre lignée, toujours à la 7ème génération, nous avons François, fils du susnommé François (G8), qui épouse Jeanne GALMICHE en 1762.

A la 6ème génération, le couple TOURLAQUE/LACHASSINE a 6 enfants dont 2 filles et 3 garçons sans descendance (soit décédés, soit sans enfants). Un seul reste en lice pour le patronyme : il s’agit de Claude, notre ascendant direct. Le couple TOURLAQUE/COUDRY est quant à lui éliminé, puisqu’il a 2 filles (mauvaise pioche). Pour le ménage TOURLAQUE/GALMICHE, le jeu continue puisque parmi ses 4 enfants, il aura 1 garçon nommé comme il se doit… François (fils de François, lui-même fils de François), celui-là même qui a donné son nom à la Rue Tourlaque

On voit donc qu’à la 6ème génération, ça commence à se gâter sérieusement pour notre patronyme : seuls deux garçons, un pour chaque lignée portent encore le nom… Claude, épouse Jeanne GELINOTTE en 1782 à Gésincourt (70), ils ont 6 enfants, dont 1 fille et 4 garçons sans descendance. Un seul garçon, Pierre, se marie en 1813.

Pour l’autre lignée… essayé pas pu, comme on dit :  mariés à Paris, François TOURLAQUE et Anne LHUILLIER ont 3 enfants : 2 filles (éliminées) et 1 garçon, Pierre Alexandre, qui fera pourtant une belle carrière comme expert de tableaux, mais n’aura pas de descendance. Bing ! le voilà hors course !  

Reste donc à la 5ème génération notre unique survivant –masculin !-  TOURLAQUEPierre de son prénom,  qui se mariera avec Louise DUNOD. Avant de mourir du choléra (cf article les concernant : ici) le couple donnera naissance à 4 enfants dont une (future vieille) fille,  un garçon qui décèdera en bas âge et un autre qui restera vieux garçon histoire de tenir compagnie à sa sœur (c’est d’ailleurs ce qu’ils feront en habitant tous deux sous le même toit à Aboncourt, Haute-Saône). Seul Gaspard se mariera en 1858 et quittera Aboncourt, après avoir été mis en faillite,  pour s’installer avec sa femme et… son unique fille (argh ! les jeux sont faits, rien ne va plus !) à Fertans (25).

La boucle est bouclée : Marie Joséphine TOURLAQUE s’éteindra en 1934 et emportera dans sa tombe son nom de jeune fille, qui avait déjà été mis en veilleuse après son mariage avec Stéphane AYMONIER en 1888. On connait la suite : l’une de leur fille, Rose, épousera en secondes noces Raymond MAÎTRE, notre grand-père paternel.

Pour celles et ceux qui auraient eu du mal à suivre, voilà ce que donne de manière schématique la disparition d’un patronyme sur 5 générations.

Infographie réalisée sous l’impulsion de Canva

Et vous savez quoi ? (histoire de boucler une énième boucle…) : la Rue Tourlaque, à Paris, débute au 47, Rue Lepic et se termine au 42, Rue-Joseph-de-Maistre… D’aucuns diront qu’il n’y a pas de hasards et/ou qu’on est en plein dans la psychogénéalogie… Pour ma part, je préfère parler de charmants clins d’œil de la vie comme il en existe dès lors que nous sommes prêts à les accueillir…

TOURLAQUE Marie Joséphine (AGMP) née en 1860 à Aboncourt-Gésincourt (70), dcd en 1934 à Fertans (25), fille de Gaspard et de LAILLET Marie Adélaïde – conjoint : AYMONIER Marie Honoré Stéphane, 2 enfants


[1] Darlu, P., Degioanni, A., & Ruffié, J. (1997). Quelques statistiques sur la distribution des patronymes en France. Population (French Edition), 52(3), 607-634. doi:10.2307/1534434




Un ancêtre encombrant

Joseph Amand MAÎTRE nait le 18 octobre 1840 à Brainans (39). C’est le fils aîné de la famille MAÎTRE Félix-SANTONNAS Clarisse, Deux frères lui succéderont, l’un décède à l’âge de 13 ans et l’autre, Aldegrin, deviendra plus tard le père de notre grand-père paternel. On peut imaginer -sans avoir pu encore le vérifier- que Joseph Amand a effectué son service militaire (d’une durée de 7 ans à l’époque) car c’est seulement en 1868 qu’il se marie avec Ernestine VALDOIS, une jeune fille originaire d’un village proche de Brainans (39). Elle n’a que 19 ans quand elle se marie, ce qui signifie qu’elle a dû obtenir l’autorisation de ses parents pour le faire, car la majorité matrimoniale était de 21 ans pour les filles. Elle exerce le métier de couturière.

Le couple “monte” vraisemblablement très vite à Paris pour trouver du travail comme le font beaucoup de jeunes jurassiens qui fuient la misère. Joseph est peintre en bâtiment. Il a peut être un penchant marqué pour l’alcool, ce qui peut le rendre violent… C’est en tout cas mon hypothèse. Toujours est-il qu’en ce lundi 18 février 1889 on le retrouve au Tribunal de Paris pour s’entendre signifier un jugement sans appel : le divorce prononcé à ses torts à la requête d’Ernestine pour le motif suivant : s’est livré sur sa femme à des voies de fait et à des mauvais traitements qui constituent des sévices graves. (source : Acte de divorce reporté le 30 juillet 1889 sur les registres d’état-civil de Montholier). Aïe., voilà qui fait mal… non seulement à sa femme, mais aussi à nous, les descendants… Nous voilà affublés à présent d’un grand-oncle violent et qui pour le coup ne fait pas honneur à son patronyme : chez les Maître, en effet on se maîtrise… Pour cela, nous pourrions l’oublier aussi vite que nous l’avons exhumé du passé… mais c’est sans compter sur le fait que lui aussi fait partie de notre famille, qu’on le veuille ou non. Et surtout qu’il fait partie d’une époque où ce que nous jugeons intolérable aujourd’hui était encore timidement sanctionné… Profitons-en pour faire un petit retour en arrière.

Histoire du divorce (voir l’original ici)
Infographie créée à partir des outils du génial site Canva

En 1889, cela fait seulement 5 ans que le droit au divorce a été rétabli, après une période de 68 ans pendant laquelle il était tout bonnement interdit. C’est en 1884 que la Loi Naquet réintroduit le divorce dans le Code Civil, mais elle le conditionne encore à la notion de faute, celle-ci pouvant être constituée par l’adultère, par la condamnation d’un des époux à une peine afflictive et infamante ou par des excès, sévices et injures graves. Encore fallait-il en fournir la preuve…

J’ignore quelle preuve Ernestine a dû apporter pour que sa demande soit prise en compte, et combien de fois elle a dû se présenter devant les représentants de la loi pour ce faire, mais ce qui est sûr c’est que 16 longs mois se sont écoulés entre la demande initiale d’Ernestine (12/10/1887) et le jugement. Cela laisse le temps de recevoir encore pas mal de coups…

Après le jugement, Ernestine repart sans doute dans le Jura où elle épousera en 1890 un jeune homme du pays. Joseph Amand quant à lui reste à Paris. Il est très difficile de retracer le parcours de Joseph après son divorce. On sait qu’il habite passage Brunoy 24, qui est une rue très mal famée, théâtre de nombreux crimes et délits, et qu’il se remarie le 11 novembre 1889 -il ne perd pas de temps!- avec une certaine Elisabeth COUMEIG qui est journalière et vient des Pyrénées-Atlantiques. L’histoire ne dit pas s’il bat sa nouvelle femme… Toujours est-il qu’ils restent ensemble jusqu’au décès d’Elisabeth en 1909, On perd ensuite la trace de Joseph Amand jusqu’à son propre décès le 23 janvier 1912, à l’âge de 71 ans, au 45 rue Gide à Levallois-Perret. Manifestement, cette adresse correspond à un ancien hospice pour personnes âgées et infirmes. Ceux qui viennent déclarer son décès sont de simples voisins. On peut donc imaginer que Joseph est mort comme il avait vécu : seul, sans famille et loin de son pays natal…

MAITRE Joseph Amand né en 1840 à Brainans (39), dcd en 1912, fils de Félix et de SANTONNAS Clarisse) – conjoint : VALDOIS Ernestine, puis COUMEIG Elisabeth, pas d’enfants




La mobilité avant l’heure…

Il a 21 ans et vient tout juste de terminer ses études à l’école nationale professionnelle d’horlogerie de Besançon (spécialité : petite mécanique de précision). Il a aussi mis fin à 9 ans de scoutisme durant lesquels sa persévérance et sa rigueur lui ont permis de gravir les échelons, louveteau, éclaireur, puis routier. Pour autant, il s’est déjà forgé une très haute et noble opinion de la liberté individuelle, qui comprend celle de penser par soi-même, de s’exprimer et d’agir sans contrainte. C’est aussi pour lui de se déplacer librement et de choisir ses activités et son mode de vie en toute indépendance… C’est ce qui va l’amener dans les dix années qui vont suivre à changer chaque année de lieu d’habitation et presque autant de travail…



MAÎTRE Bernard, né en 1927 à Besançon, dcd en 2014, fils de Raymond (GPP) et AYMONIER Rose – Conjointe : MORIN Thérèse, 3 enfants

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