Un fieffé Greffier !

(fieffé est à prendre ici dans son sens littéral, à savoir : qui tenait quelque chose en fief)

Il a 60 ans. Un bel âge pour qui a la chance de vivre au 21ème siècle, mais en 1874, alors que l’espérance de vie est seulement de 45 ans, c’est un fait suffisamment rare pour être apprécié… J’ignore si c’est ainsi que Jean Pierre GREFFIER, l’arrière-arrière-grand-père maternel de mon conjoint, voit les choses, mais il doit en tout cas considérer ces quelques années supplémentaires qui lui sont octroyées comme un heureux sursis…

Sa vie passée dans le village de Veigy-Foncenex a été jusque là relativement satisfaisante , si ce n’est un environnement géopolitique passablement mouvant dans cette région qui aujourd’hui fait partie de l’actuelle Haute-Savoie et de la France. Mais cela n’a pas toujours été le cas…

VEIGY-FONCENEX, une commune à la frontière franco-suisse

De quoi y perdre son latin en vérité : en 1815, deux ans avant la naissance de Jean Pierre, la Savoie, à laquelle appartient Veigy-Foncenex, était rattachée au Royaume Piémont Sardaigne. C’était le cas des communes voisines comme Collonge-Bellerive (d’où est originaire Nicolarde FALQUET, l’épouse de Jean Pierre), Meinier, Anières, Corsier, etc, qui depuis des siècles ont suivi la même trajectoire que Veigy-Foncenex, à savoir : une grande période savoyarde entrecoupée d’occupations tour à tour bernoises, françaises puis espagnoles. Or, en 1816, ces communes jouxtant Veigy-Foncenex, et où la famille GREFFIER avait certainement des amis, des voisins et de la famille, sont séparées de la Savoie, pour se trouver rattachées à la Suisse. C’est ce qu’on appelle les communes réunies.

Puis comme on le sait, en 1860, la Savoie est annexée à la France, et Veigy aussi… bien qu’un grand nombre d’habitants se soient alors déclarés en faveur d’un rattachement à la Suisse.

Pas facile donc de s’y retrouver avec ces changements majeurs qui occasionnent certainement de nombreuses tracasseries administratives au quotidien… Certaines personnes d’une même famille ou qui ont été voisins se réveillent un beau jour savoyards et sardes, tandis que d’autres ne sont plus savoyards mais suisses. Sans parler de cette annexion 45 ans plus tard à une France qui ne recueille pas toute leur sympathie !

Mais bon, dans l’ensemble, Jean Pierre traverse cette période bon an mal an, en s’adaptant vraisemblablement à la situation du moment…. Avait-il bien le choix ?

Il n’empêche qu’à 60 ans, la question de sa succession le taraude… Il a beau avoir tout ce qu’il faut pour vivre et être déjà propriétaire d’une maison avec grange, cour et jardin, d’une vigne, de quelques champs et d’un petit chenevier (pour la culture du chanvre), ainsi que de plusieurs têtes de bétail. Il a beau avoir 5 fils, tous avec une bonne situation, même si deux d’entre eux ont dû s’exiler temporairement à Paris pour y être cochers, un phénomène très courant dans le Chablais… Rien n’y fait, il faut qu’il continue à faire fructifier son patrimoine.

Alors de 1874 à 1880, il multiplie les transactions. Un emprunt sous forme d’obligation auprès d’un notaire, puis des achats de terrains à Veigy, suivi à nouveau d’un emprunt, et encore des achats de terrains à Veigy, mais aussi dans la commune proche de Loisin.

Mais d’où peut-il donc tirer sa fortune ? La réponse se trouve dans le statut très particulier de la zone dans laquelle la famille évolue… Comme quoi, les changements évoqués plus haut n’ont pas présenté que des inconvénients…

Depuis 1816, Veigy-Foncenex se trouve en effet dans la petite zone franche instituée au delà de la limite du Canton de Genève en vertu du Traité de Turin. Entre cette zone et la Suisse, il n’y a pas de contrôles douaniers et les taxes sont inexistantes. Il est donc plus que probable que Jean Pierre comme de nombreux autres agriculteurs “zoniens” écoulait sans difficulté ses produits agricoles et laitiers sur le marché genevois.

Et c’est ainsi que grâce à une politique d’achats en dernière partie de sa vie, Jean Pierre GREFFIER lègue après sa mort (1884) à ses 4 fils encore vivants un fort beau pactole : 18 ha de terrains (dont maison, vigne et chenevier) à Veigy-Foncenex, 1,94 ha à Chens/Léman et 0,28 ha à Loisin…

De quoi transmettre à la postérité son appellation bien méritée de fieffé Greffier !

Jean Pierre GREFFIER né en 1817 à Veigy-Foncenex (74), dcd en 1884, fils de Jean Pierre GREFFIER et Catherine LACORBIERE – conjoint : Nicolarde FALQUET, 5 enfants




Recherches croisées franco-genevoises : introduction

Dans le cadre de ma formation à l’Université de Nîmes (D.U. Généalogie et Histoire des familles à distance – année 2019-2020), j’ai choisi d’étudier une des lignées de la  branche maternelle de mon conjoint. La particularité du couple auquel je me suis intéressée est qu’il était franco-suisse (selon les critères géographiques contemporains). Mais historiquement les ascendants du couple faisaient partie d’un même territoire : le Royaume de Piémont-Sardaigne.

Les résultats de mes recherches sont réunis dans le mémoire  Jean Pierre Greffier et Nicolarde Falquet : sentiers de la vie quotidienne en zone frontalière. J’ai souhaité prendre la frontière comme fil rouge car je voulais essayer de comprendre comment chaque génération avait composé avec cette réalité territoriale très prégnante. Les lieux étudiés sont principalement Veigy-Foncenex, commune située en Haute-Savoie et lieu de vie des GREFFIER et Collonge-Bellerive, qui faisait partie de la Savoie mais qui a été rattachée à la Suisse en 1816 par le Traité de Turin, au même titre que  22 autres communes du Canton de Genève (appelées « communes réunies »). C’est aussi la commune d’origine des FALQUET.  

A cette occasion et malgré un contexte compliqué (début de l’épidémie COVID), j’ai pu identifier les principales sources utiles en généalogie, aussi bien dans le canton de Genève qu’en France voisine. Je me suis aussi bien cassé le nez pour trouver le bon dépôt d’archives (Etat de Genève ? Haute-Savoie ? de Savoie ?) en fonction de la période dans laquelle je me situais. Cela implique de naviguer en permanence entre chronologie historique et inventaire d’archives. Je me propose donc de partager prochainement cette expérience, et de livrer ce que j’ai appris,  en espérant que cela puisse être utile à d’autres. J’ai découpé cette présentation en plusieurs parties correspondant à des périodes-clés de l’histoire régionale et induisant plus ou moins les dépôts d’archives qu’on peut  explorer.  

Mais vous l’aurez compris : avant d’entamer des recherches dans le canton de Genève et la zone frontalière de la Haute-Savoie, il est indispensable de bien situer le contexte historique du lieu qui nous intéresse. Particulièrement dans cette région, l’environnement politico-historique est très mouvant et extrêmement complexe : enchevêtrements de fiefs et de juridictions, communes limitrophes dépendant de deux administrations différentes, etc. Ainsi, du début du 16ème siècle à la moitié du 18ème siècle, le territoire a connu une occupation bernoise, cinq occupations françaises et une occupation espagnole. Sans compter les guerres franco-savoyardes, franco-genevoises, etc.