Palsembleu ne saurait mentir (Partie II)

… au pirate écarlate !

Jean François est donc le fils aîné de Laurent, celui qui n’a pas trop mal tourné en devenant exacteur (soit : percepteur de taxes) à Thonon-les-Bains… Il en est tout autre du fils cadet, Joseph DANTAL, le seul enfant à ne pas être né à Nice mais à Thonon-les-Bains, après l’arrivée de ses parents dans le Chablais en 1671. Relation de cause à effet ? Toujours est-il que Joseph a suivi un chemin bien moins conventionnel que celui de son frère. On le dit en effet « fort remuant et de réputation douteuse » (1)… A tel point qu’en 1704, quand le climat politique se détériore et que les troupes françaises atteignent le Chablais savoyard, engagées dans une lutte sans merci contre les huguenots et les résistants au régime, Joseph DANTAL, qui a alors 33 ans, décide de se rallier aux camisards et d’entrer en guerre contre les français. Et il le fera d’une manière très personnelle en devenant pirate (2) et en attaquant les convois maritimes ou terrestres affrétés par les banquiers genevois. Son principal -et ultime!- fait d’armes a été de dérober en 1705 pas moins de 20’000 louis d’or aux troupes françaises ! Il s’agissait en fait de l’or destiné à payer la solde des troupes de Vendôme qui étaient sorties victorieuses de la bataille de Cassano contre les troupes savoyardes. L’opération n’a pas été simple à mener, comme nous l’explique plus en détail Olivier Gonet sur son blog. Mais on sait qu’après cet exploit, DANTAL et ses acolytes regagnent les côtes suisses, où ils seront vus quelques jours plus tard en train de fêter leur victoire dans une auberge. Et « chose extraordinaire et malgré les protestations véhémentes des représentants français, les auteurs de ces méfaits ne furent jamais inquiétés par la police bernoise ».

Qu’advint-il du trésor de Vendôme ? Nul ne le sait car après cela, le pirate disparut purement et simplement du paysage chablaisien…

En guise de conclusion, voilà le chemin le plus court, généalogiquement parlant, reliant les BETEMPS et les DANTAL :

(1) Olivier Gonet – cf source dans « pour en savoir plus… »
(2) pour autant, il n’était ni le premier, ni le dernier
!

Pour en savoir plus sur les pirates du Léman :

Ce thème a aussi inspiré quelques fictions, dont :

  • May, O. (2023). Les Pirates du Léman : La prisonnière de Chillon. Flammarion jeunesse.
  • Vellas, C. (2016). Légendes et histoires du Léman
  • Knobil, B. (2016). Petchi et les pirates du Léman



Palsembleu ne saurait mentir ! (Partie I)

(Sang bleu signifie noble. Cette locution désigne quelqu’un appartenant à la noblesse ou à l’aristocratie par sa filiation)

Introduction

En des temps anciens et résolument moyenâgeux se tramaient sur notre beau Léman (1) des scènes qu’on ne sauraient imaginer, bien éloignées en tout cas de celles en usage de nos jours, essentiellement dédiées à la trempette, bronzette ou guinguette. Il faut savoir qu’à cette époque, les chemins étaient de piètres sentiers, très mal entretenus et peu praticables, si bien qu’on leur préférait la voie du lac, plus directe. Les principaux transports s’effectuaient donc sur les eaux du Léman qui étaient la seule vraie grande route commerciale. Ainsi, des barques partaient du pays de Vaud pour acheminer vers Genève du vin et des farines d’Allemagne, des fromages et des viandes de Fribourg, ou en sens inverse des draps, des velours et des toiles en provenance des très réputées foires de Genève. Autant dire qu’il y avait beaucoup de monde et de trafics sur le lac, sans compter les combats maritimes acharnés qui pouvaient intervenir à tout moment entre princes, seigneurs et califes à la place du calife de tous bords (du lac)… Tout cela créait une effervescence bien industrieuse autour de cette gouille de quelque 580 km2 et ne manquait pas d’attirer aussi la convoitise de brigands, malfrats et coquins en tout genre…

Dans ce contexte et dans le cadre très précis de ma recherche des ancêtres savoyards, une famille de la branche GREFFIER/BETEMPS (en l’occurrence plus BETEMPS que GREFFIER) retient plus particulièrement mon attention. Il s’agit des DENTAL (ou DANTAL) dont plusieurs membres, intimement liés à l’activité du lac, ont fait parler d’eux, en (très) bien comme en (très) mal…

L’histoire -du moins celle du Chablais- commence avec Lorenzo DENTALE, un charpentier naval niçois (savoyard à l’époque!) appelé en 1671 par le Duc de Savoie, Charles-Emmanuel II, pour construire à Thonon-les-Bains un tout nouveau modèle de barque marchande, potentiellement affrétable pour la guerre. En effet, le Duc dont le royaume s’étend jusqu’à la côte méditerranéenne (cf carte ci-dessous) vient de lancer un projet d’envergure : attirer sur le territoire savoyard tout le commerce entre le midi de la France et l’Allemagne, qui, jusqu’alors, passait par la ville de Genève.

(1) qu’on évitera de nommer “Lac Léman”, car il parait que ça revient à dire “Lac Lac” et que cela constitue un délit de tautologie !

De l’Amiral génial…

Pour atteindre cet objectif quelque peu mégalomane, le Duc fait réaménager plusieurs routes servant au commerce, dont celle des Echelles qui permet de rallier plus facilement Lyon. Puis il fait construire à [Collonge-]Bellerive, qui à l’époque était encore en Savoie (1), un port fermé par des digues, ainsi que de grands entrepôts. C’est donc pour mieux servir son ambition démesurée qu’il fait venir Lorenzo DENTALE. A 37 ans, ce dernier a déjà passé une bonne partie de sa vie en tant qu’armateur et amiral à Nice, où il a d’ailleurs eu ses 5 premiers enfants avec la bien nommée Dorotea DENICIA, dont Jean François (né Gian Franco, à Nice en 1658), ancêtre direct des GREFFIER/BETEMPS …en 10ème génération quand même !
Sitôt arrivé à Thonon, Lorenzo, rebaptisé Laurent, se met tout de suite au travail et développe deux prototypes de barques très prometteuses, le Saint-Charles et le Saint-Jean-Baptiste, inspirées des barques latines méditerranéennes. Faisant preuve d’un esprit d’innovation hors du commun, DANTAL décide de construire une carène à fond plat, il allonge et élargit la coque pour adapter l’embarcation aux conditions particulières du Léman, sans utiliser aucun plan (2). Encensé par les experts et les marins, Laurent DANTAL est dès lors nommé Patron des galiotes de Son Altesse Royale. En 1689, il réalise deux barques supplémentaires. La flotte savoyarde est donc constituée de 4 bâtiments et de 800 marins, ce qui est plutôt important pour le Léman.

Mais les choses se gâtent en 1690, quand Louis XIV déclare la guerre à la Savoie. Laurent DANTAL décide alors d’amener ses 4 bateaux sur la côte suisse, à Villeneuve, puis à Chillon, pour les placer sous la protection de Berne et les soustraire à l’envahisseur des terres savoyardes. Trop contents de « récupérer » un amiral aussi talentueux, les bernois confient à DANTAL le soin de parfaire le projet de créer un port à Morges, une mission dont il s’acquitte parfaitement avec l’aide des experts qui lui sont adjoints. Par ailleurs, durant son exil en Suisse, il fait la connaissance de Jean François PANCHAUD, un homme d’affaires ambitieux qui lui commande un bateau pouvant satisfaire à ses ambitions commerciales et répondant également aux exigences de Berne (qui étaient de pouvoir réquisitionner et utiliser les barques en cas de guerre).

En 1691, DANTAL réalise un nouveau modèle de barque, la Gaillarde, qui est la toute première « barque du Léman » telle qu’on la connaît aujourd’hui. Le bateau se révèle excellent, il n’est pas trop cher et parfaitement adapté à l’usage commercial, si bien qu’en une décennie, dix barques similaires sont construites autour du Léman.

Carte postale d’une barque du Léman vers 1900

Les anciennes barques genevoises disparaissent supplantées par l’invention géniale de DANTAL, qui passe alors allègrement à une postérité de longue durée (3) avant de mourir en 1696 à Thonon-les-Bains. C’est donc le fils aîné, Jean François, qui rendra les galiotes à la Savoie après le décès du père.

La suite : Palsembleu ne saurait mentir ! (Partie 2)

(1) Collonge-Bellerive fait partie des communes réunies qui ont été cédées à Genève en 1816
(2) Le génie reconnu de Laurent DENTAL –qui ne savait ni lire ni écrire– réside dans le fait d’avoir conçu des bateaux parfaitement adaptés aux conditions lémaniques
(3) Aujourd’hui encore, Laurent DANTAL est donné comme l’inventeur incontesté des Barques du Léman, j’ai pu le constater de mes propres oreilles en embarquant sur la Savoie à l’occasion des Journées du Patrimoine 2023

Pour en savoir plus sur Laurent DANTAL et sur ses barques :




Recherches croisées franco-genevoises – Partie III

Ce sujet (recherches franco-genevoises croisées) est divisé en plusieurs parties : 4 articles sont consacrés à la contextualisation, traitant chacun d’une période-clé de l’histoire locale. On trouvera néanmoins  à la fin de l’article, une rapide évocation des sources généalogiques relatives à la période donnée. Le dernier article (partie V) est un récapitulatif -sous forme de tableau- des différentes sources pouvant être utiles dans le cadre de recherches croisées Savoie/Canton de Genève.

L’occupation espagnole et son système de capitation (1742-1749)

Suite à l’alliance entre le Roi Charles Emmanuel III et l’impératrice Marie Thérèse d’Autriche, la Savoie sera occupée par les troupes espagnoles, qui s’en serviront de base de ravitaillement et de zone de repos.
Les occupants vont avec rigueur et méthode taxer lourdement tous les foyers en plus de la taille habituelle. Les réquisitions seront également nombreuses pour subvenir aux besoins des troupes : logement, nourriture, main d’œuvre, chevaux, paille et fourrage…

La capitation (impôt par tête) est aussi mise en œuvre. Cela implique de dénombrer avec exactitude la population par paroisse, village, feu (foyer) et  tête. Sont répertoriées toutes les couches de la société : les nobles, les notables, le clergé, les artisans, les commerçants, les paysans (laboureurs), les absents, les mendiants et les pauvres. Ce recensement, bien qu’établi de manière non uniforme, est une source précieuse pour les généalogistes qui s’intéressent à cette période.

L’occupation espagnole prendra fin en 1748, date à laquelle, par le Traité d’Aix-La-Chapelle, le Roi Charles Emmanuel III recouvrera la totalité de ses Provinces.

Survol des sources généalogiques

Les rôles de la capitation pour les communes qui faisaient partie de la Savoie se trouvent principalement dans les archives anciennes des AD73, en série C. Les documents ne sont pas numérisés mais plusieurs inventaires ont été établis.

Pour les communes du Faucigny (selon délimitations de l’époque), il faudra se tourner vers les AD 74, en série 4C. Documents non numérisés.

Sources bibliographiques (contexte historique)

Wikipedia (Etats de Savoie, Comté de Genève, Diocèse de Genève, bailliage de Ternier, Province de Carouge) / Dictionnaire Historique de la Suisse / Sources du site généalogique de la famille Mégard, notamment sur le bailliage de Ternier.




Recherches croisées franco-genevoises – Partie II

Ce sujet (Recherches franco-genevoises croisées) est divisé en plusieurs parties : 4 articles sont consacrés à la contextualisation, traitant chacun d’une période-clé de l’histoire locale. On trouvera néanmoins  à la fin de l’article, une rapide évocation des sources généalogiques relatives à la période donnée. Le dernier article (partie V) est un récapitulatif -sous forme de tableau- des différentes sources pouvant être utiles dans le cadre de recherches croisées Savoie/Canton de Genève.

L’occupation bernoise et les bailliages de Gex, Ternier-Gaillard et Thonon (1536-1567)

Début 1536, les Bernois, alliés de Genève, envahissent le Pays de Vaud, le Pays de Gex, les mandements de Ternier et Gaillard, et le Chablais (Thonon). Une nouvelle organisation s’instaure dans les pays nouvellement conquis : une trésorerie bernoise autonome est notamment créée. L’administration centrale s’installe à Lausanne et les territoires sont divisés en bailliages, dont ceux de Gex, Ternier-Gaillard et du Chablais (appelé aussi bailliage de Thonon). Pour celui de Ternier-Gaillard, une commission est nommée pour établir le nouveau régime. Un tribunal des moeurs appelé consistoire est établi aux portes de Genève, à Compesières, dont le château accueillera les 7 baillis qui se sont succédés durant cette période.

Guerres et occupations de 1536 à 1569

Source : Atlas historique du Pays de Genève : des Celtes au Grand Genève / Claude Barbier, Pierre-François Schwarz – La Salévienne, 2014

Situation après 1601

Source :  Atlas historique du Pays de Genève : des Celtes au Grand Genève / Claude Barbier, Pierre-François Schwarz – La Salévienne, 2014

Les baillis rendaient annuellement des comptes détaillés, comprenant les “censes et directes” (impôts), les “lods” (droits de mutation), les “amodiations” (locations), les appellations et amendes, le vin et le blé reçus, l’argent et le blé délivrés (aux ministres du culte et aux pauvres). (1)

Les bailliages de Gex, Ternier-Gaillard et du Chablais (Thonon) sont restitués à la Savoie en août 1567, suite à l’ultime ratification du traité de Lausanne signé le 30 octobre 1564 entre Berne et le duc (assorti d’une délimitation entre Gex et Vaud).

Non loin de là, la partie orientale du bailliage du Chablais (Evian) conquise en 1536 par les Valaisans est restituée en grande partie au duc par le traité de Thonon du 4 mars 1569.

Survol des sources généalogiques

On trouve aux AD 73 les dénombrements de la population en lien avec la gabelle du sel et le don gratuit (1561-1564) pour les bailliages de Gex, Ternier-Gaillard et du Chablais (rubrique Recensements de population). Des recensements de certaines communes du Canton de Genève se trouvent donc aussi dans ces documents (anciennes communes réunies)

Une source d’information très utile sur ces sources fiscales est à consulter sur Sabaudia

Sources bibliographiques (contexte historique)

Wikipedia (Etats de Savoie, Comté de Genève, Diocèse de Genève, bailliage de Ternier, Province de Carouge) / Dictionnaire Historique de la Suisse / Sources du site généalogique de la famille Mégard, notamment sur le bailliage de Ternier.


(1) Source : http://www.megard.ch/famille/public/sources_MM/EcritsBaillivaux.pdf




Recherches croisées franco-genevoises – Partie I

Ce sujet (recherches franco-genevoises croisées) est divisé en plusieurs parties : 4 articles sont consacrés à la contextualisation, traitant chacun d’une période-clé de l’histoire locale. On trouvera néanmoins  à la fin de l’article, une rapide évocation des sources généalogiques relatives à la période donnée. Le dernier article (partie V) est un récapitulatif -sous forme de tableau- des différentes sources pouvant être utiles dans le cadre de recherches croisées Savoie/Canton de Genève.

Diocèse de Genève et châtellenies de Savoie  (XIe-XVe s.) 

Du Vème siècle à l’an 1801, le diocèse de Genève dépend de l’archidiocèse de Vienne. Son territoire est vaste : il jouxte au nord les terres de l’abbaye de Saint-Claude, à l’ouest l’archidiocèse de Lyon, au sud, le diocèse de Grenoble et l’archidiocèse de Tarentaise, ainsi que les diocèses d’Aoste et de Sion.  A cela s’ajoutent la ville épiscopale (7 paroisses), son chapitre cathédral et ses couvents.

Sources: Helvetia Sacra, I/3, 1980; Encyclopédie de Genève, 5, 1986, p. 103 © 2005 DHS et Kohli cartographie, Berne.

Outre le pouvoir politique exercé par l’évêque de Genève, le diocèse de Genève développe une véritable emprise territoriale. Au XIème et au XIIème siècle, il fonde les monastères clunisiens de Saint-Victor et de Contamine-sur-Arve, les abbayes d’Abondance, de Peillonnex, Satigny, Sixt et d’Entremont, les couvents cisterciens de Bonmont, Hautecombe, Chézery, Saint-Jean-d’Aulps et Bellerive, et enfin les chartreuses d’Arvières, d’Oujon, de Vallon, du Reposoir, de Pomier et d’Aillon.

Le domaine propre (appelé aussi « temporel »)  de l’évêché s’étend également : construction au 13ème siècle du Château de l’Ile à Genève –repris peu de temps après par la Maison de Savoie- et des mandements de Jussy, Peney et Thiez.

La Maison de Savoie possède quant à elle un grand nombre de châtellenies, appelées aussi mandements, qui se regroupent en bailliages. En 1416, on compte pour la partie qui nous intéresse : les bailliages du Chablais (16 châtellenies, siège : Château de Chillon), du Faucigny (11 châtellenies, château de Chatillon), du Pays de Gex et du Genevois (Comté de Genève, château d’Annecy).

En 1439, le duc de Savoie Amédée VIII est élu pape et il en profite pour se réserver l’évêché de Genève en 1444 et en assurer le droit de présentation à ses descendants. L’évêché de Genève reste dans la dépendance de la maison de Savoie jusqu’à la Révolution, mais la réforme religieuse et politique de Genève conduit au départ de l’évêque en 1533 et à l’institution de la nouvelle Eglise réformée en mai 1536 par le Conseil général. Une réorganisation de l’ancien diocèse de Genève est entreprise dès la fin du 16ème siècle et Annecy prend peu à peu le rôle de nouvelle ville épiscopale.

Survol des sources généalogiques 

Pour la période du 12ème au 16ème siècle et pour les comptes de châtellenies, y compris pour le Comté de Genève, les archives sont divisées, en fonction du territoire, entre les Archives de la Savoie (AD73) et de la Haute-Savoie (AD74). Aux Archives de l’Etat de Genève, on peut trouver des reconnaissances de fiefs (y compris pour la Savoie) dans la série « Titres et droits ».

Sources bibliographiques (contexte historique)

Wikipedia (Etats de Savoie, Comté de Genève, Diocèse de Genève, bailliage de Ternier, Province de Carouge) / Dictionnaire Historique de la Suisse / Sources du site généalogique de la famille Mégard, notamment sur le bailliage de Ternier.