Les souvenirs de Thérèse (1)

Ces écrits ont été rédigés par Thérèse MORIN en 2004 (date estimée). Ils sont fidèlement retranscrits ici. Les photos, extraites des albums de famille, ont été rajoutées pour illustrer le propos. Il s’agit ici de la première partie (pages 1 à 4 des écrits manuscrits). Cet article est à mettre en relation avec ceux de la série Une vie de filature, qui complète utilement l’histoire de la famille MORIN GICQUEL

Pêle-mêle meli mélo
Ce que j’ai découvert dans ma vie… je parle de l’évolution
Dans une maison à deux étages, sans eau au robinet mais avec une pompe à actionner dehors, avec des brocs que l’on montait dans les chambres pour que la toilette se fasse dans une cuvette où durant l’hiver on cassait la glace pour se laver !!! Si on voulait prendre un bain, on chauffait l’eau qu’on vidait dans une jolie cuve en bois comme étaient les tonneaux. Cette cuve était alors mise dehors, c’était un régal ! J’ai le souvenir qu’un jour des rats sont passés par la « bouche » de la pompe à eaux… on n’a pas été empoisonnés, la preuve : j’ai 77 ans !

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n.b. on voit la pompe et le baquet derrière Thérèse

Nous avons eu le bonheur d’habiter une maison avec un jardin (c’était un jardin ouvrier où quelques 10 parcelles étaient distribuées à plusieurs personnes) mais nous avions la possibilité de profiter au maximum des allées pour y faire du vélo.

Loos_jardin

On n’avait ni électricité, ni radio, ni téléphone. On était éclairés par un bec de gaz qui était au centre de la salle à manger, un bec de gaz qu’on allumait avec des allumettes lorsque le jour baissait. Alors on était obligés de rester ensemble dans la même pièce ! Dans les rues, il n’y avait que des becs de gaz pour éclairer ! Radio : on l’a eue ; c’était un poste à galène. Une aiguille était placée sur une surface de plomb… on avait un seul écouteur et chacun notre tour nous pouvions écouter quelque chose. Je me souviens avoir entendu quelque chose qui m’a choquée : il a pété dans le Nord… Traduction : ici PTT nord !!! je devais avoir 6 ans.
On écrivait avec des porte-plumes. Les plumes étaient Gauloise ou Sergent Major, nous avions des encriers, des crayons… et si peu de crayons de couleurs que ça devenait un luxe !

Nous avions la chance d’avoir un jardin très bien entretenu par notre papa, nous avions énormément de bons légumes sans aucun engrais si ce n’est l’utilisation de purin que papa prélevait dans la fosse sous le WC qui lui se trouvait en dehors de la maison. Même avec moins 15°C, on y allait -brrr!!!- il n’y avait pas de chasse d’eau. On utilisait des morceaux de journaux comme papier cul !!! On allait pomper de l’eau pour nettoyer le WC.

Nous n’avions comme chauffage qu’un fourneau au charbon qui était dans une pièce mais il était assez important pour diffuser un peu de chaleur dans les 3 pièces en enfilade. Par contre, dans l’arrière-cuisine où on faisait la vaisselle, pas question de chauffage ! L’eau était chauffée sur ce feu et transportée dans une bassine dans cet endroit. Pas de produit à vaisselle mais du savon de Marseille.

Pour aller dans nos chambres, nous n’avions que des bougies et pas de chauffage. Nos devoirs étaient faits dans la pièce commune mais sans difficultés. On sentait les bonnes odeurs du repas préparé avec amour par maman. Pas de soucis de bactéries, pas question de mauvais engrais sur les légumes. Pas question de viande dangereuse, surtout qu’on n’en mangeait que deux fois par semaine (c’était trop cher!). J’ai connu aussi à la place des bougies des lampes « pigeons » : il y avait un réservoir d’huile, une mèche, un verre et cela tenait plus longtemps que les bougies… c’était du luxe !

Nous avions une maison très agréable. La peinture grise était offerte par l’usine Thiriez où travaillait papa. Je n’ai jamais apprécié cette peinture que j’ai retrouvée en 1966 à Saint-Cergues !!! Cette maison comportait beaucoup d’avantages : une verrière sur la salle habituelle de rassemblement, très claire avec une porte vitrée qu’on ouvrait dès que la température le permettait. Dans cette pièce, il y avait le fourneau très important, très apprécié en hiver surtout. Du carrelage par terre, une grande table où l’on se retrouvait tous.

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n.b. on devine la verrière attenante à la maison
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n.b. Derrière le groupe on voit la porte vitrée dont parle Thérèse et qui donne “sur la salle habituelle de rassemblement”

Au centre, une salle à manger peu utilisée à cause de sa place, sans fenêtre, sans luminosité ! À la suite, il y avait « pour nous » la salle de jeux. Il y avait dans notre enfance des coffres qui nous appartenaient, lesquels étaient recouverts de coussins où on pouvait s’asseoir au sol. C’était un plancher bien entretenu, sur lequel on a beaucoup joué : avec aux pieds des chaussettes (trouées), on pouvait y glisser. C’était formidable. Maintenant, je me dis que maman devait choisir de nous faire glisser pour nettoyer le parquet !

Au 1er étage, il y avait deux chambres et au 2ème il y avait une chambre et un genre de grenier. Par contre, les escaliers étaient aussi bien cirés que les salle du bas et notre joie était de les descendre sur le derrière ! Ça glissait tellement bien ! Notre papa faisant comme nous. Les plus audacieux comme Jean et Marie-Louise descendaient sur la rampe !

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maison côté rue

Il y avait un sous-sol, une cave où se gardaient le tonneau de bière que nos parents confectionnaient et les légumes du jardin, par exemple les chicons ou endives ou barbes de capuçon qui poussaient en cave l’hiver dans un compost sable et terre. Dans l’autre partie de cave était le charbon seul combustible à ce temps-là. Il nous était livré par un soupirail.

Dans le jardin, dont papa était un expert, nous avions de très bons légumes, mais aussi de si jolies fleurs, violettes, pois de senteur, roses, dahlias. De ce côté là, notre papa faisait plaisir à maman, amoureuse des fleurs (j’ai hérité d’elle!). Il y avait du seringha très odorant dans notre petite cour derrière la maison. Il y avait aussi un poulailler -donc des œufs frais-, des poules et des poulets à déguster !

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1937_MORIN_Louis_Loos

Dans ce jardin dont nous pouvions profiter, il y avait un tel espace que nous faisions du vélo, que nous pouvions aussi nous installer où bon nous semblait. Je me revois vers 10 ans installée avec ma grande amie Mimie sur un tas de fumier taillé au carré, jouant à la recherche de mots dans le dictionnaire !

1933_MORIN_Thérèse_et_Mimie



Les fêtes (partie II) : nos héros de Noël

C’est une machine. Une machine à fabriquer des rêves et des étoiles dans les yeux, des cocottes en toile cirée et des fleurs en gobelets, des distributeurs de radis et des arbres à homards,

C’est une machine qui fabrique aussi des souvenirs et qui les met en réserve pour plus tard… Mais ça, nul ne le sait encore… Nul ne sait que le moment venu, le temps fera ce qu’il a toujours su faire : prendre les rêves, les étoiles, les souvenirs, et bien d’autres choses, et les enchevêtrer pour les placer dans une mémoire familiale commune…

C’est une machine qui reprend du service avec l’arrivée des petits-enfants, Elle est diablement efficace dans son fonctionnement et délicieusement non lucrative dans ses résultats, le retour sur investissement se mesurant au nombre des “ho!” et “ha!” exprimés et au volume de paillettes dans les yeux des enfants,

Mais on le sait bien : une machine ne saurait fonctionner sans ses opérateurs. Dans ce cas précis, ce sont même ces derniers –dotés chacun de leur personnalité propre et travaillant ensemble pour le bien commun–  qui sont les garants de la réussite de l’entreprise.  Car ces deux-là sont complémentaires jusqu’au bout des orteils. Chacun sait ce qu’il a à faire et dans quel pré (pas vraiment) carré il va pouvoir tirer le meilleur de lui-même, et de l’autre : à elle, l’élégance, le raffinement, la fantaisie ; à lui, l’inventivité, le pragmatisme et le gros oeuvre. Ils ont expérimenté avec succès cette complicité créative pour le plus grand bonheur de leurs enfants (cf partie I), ils la réactiveront à l’identique pour les petits-enfants. 

C’est donc elle qui, à l’approche de Noël, mais pas trop à l’avance non plus,  appuie subrepticement sur le bouton «marche» en avançant quelques idées : une ambiance, un thème, une couleur, une matière, ou juste un petit détail, la touche d’élégance qui fera toute la différence… Lui, toujours à l’affût de nouveaux challenges inventifs, commence alors à imaginer des échafaudages, des mouvements,  des mécanismes hautement improbables… relevant d’emblée le défi non exprimé du : cap’ ? ou pas cap’ ?…

A cette étape, vu de l’extérieur, le processus est encore complètement opaque. Ni les enfants, encore moins les petits-enfants,  ne sont mis dans le secret des d(i)eux. On sent pourtant que quelque chose se passe à l’intérieur du Mini-Chalet, comme un bruissement d’ailes, un fourmillement inhabituel, une effervescence de connivences…

Ce qui est certain c’est qu’à partir de là,  chacun cogite dans son coin. Quelques jours plus tard, ils  se retrouvent autour de la machine ; le prototype obtenu est disséqué, revisité et affiné, à la lumière des nouvelles représentations que chacun s’en fait : j’ai pensé que… on pourrait faire ceci… avec une mise en abîme entre ce qu’elle aimerait obtenir et ce qui lui est techniquement possible de faire. Cela passe par des croquis, des mesures, des tests…

On rabote, on sifflote, on combine, on peaufine, on bichonne, on chantonne, on jubile, on rempile, souvent tard dans la nuit, sans jamais une pointe de lassitude ni d’énervement. La machine fume, bouillonne, cliquette, foufoudindonne, cacatoème…  accueillant avec un cliquetis de plaisir le moindre grain de fantaisie qu’on veut bien lui glisser dans le mécanisme. L’objectif poursuivi est de surprendre et de ravir toujours un peu plus enfants et petits-enfants.

Et le résultat est toujours au rendez-vous car en plus d’une imagination débordante, ces deux-là ont de l’or dans les mains et sont pleins de ressources, transformant des citrouilles en carrosse et sortant de leurs besaces, à grand renfort de Supercalifragilisticexpialidocious des objets improbables qui seront aussitôt détournés de leur usage initial.

C’est ainsi que durant 20 ans les noëls familiaux ont fait l’objet de performances scénographiques époustouflantes,  sans qu’aucun sapin ni bonhomme rouge n’y soient jamais conviés !

La preuve en images…

MAITRE Bernard né en 1929 à Besançon (25), dcd en 2014 , fils de Raymond et de AYMONIER Rose et MORIN Thérèse née en 1927 à Lille (59), dcd en 2009, fille de Louis et de GICQUEL Jeanne – 3 enfants

D’autres pistes aux étoiles :

  • à voir : “Mes héros“, film d’Eric Besnard (2012), avec Clovis Cornillac, Josiane Balasko, Gérard Jugnot
  • à lire : En attendant Bojangles / Olivier Bourdeaut – éd. Gallimard



Les fêtes (partie I) : nos héros de Noël

Nous sommes en 1960. Depuis quelques mois, ils sont à nouveau des heureux parents ; c’est le premier Noël qu’ils préparent avec la conscience d’être une famille.

Au risque de me tromper, je peux imaginer qu’ils se sont maintes fois interrogés, sur le sens qu’ils veulent donner à cette fête, qui est, pour eux, avant tout religieuse. Ainsi que sur les valeurs qu’ils souhaitent transmettre de manière générale à leurs enfants. En revanche -là encore, au risque de me tromper-, je n’arrive pas à imaginer que la teneur de leurs réflexions soit complètement dissociée de leur foi chrétienne.

En 1960, Noël est en train de muter et de devenir ce qu’on connait trop bien actuellement : une grande fête de famille, associée à une opération commerciale très rentable. Les cadeaux aux enfants se sont généralisés, le Père Noël fait son entrée dans les magasins et dans les foyers pour recueillir les souhaits de ces mêmes enfants qui, pour le coup, deviennent le centre des préoccupations selon le modèle américain. On ne peut plus échapper au sapin décoré de guirlandes et de boules. Le repas de Noël devient également très normé et copieux : dinde ou chapon, saumon, bûche. On est loin de l’orange, seul cadeau offert aux enfants, comme symbole de lumière et d’opulence ! 

Il n’y a pas si longtemps, en 1951, l’église a même tenté en vain de résister à cette perte de sens en brûlant l’effigie du Père Noël devant le parvis de la cathédrale de Dijon et en dénonçant « le mensonge [qui] ne peut éveiller le sentiment religieux chez l’enfant et n’est en aucune façon une méthode d’éducation ». L’ethnologue Claude Lévi-Strauss, alors directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études y trouve d’ailleurs l’occasion d’observer la croissance subite d’un rite.

Pour revenir à nos deux tourtereaux, il ne faut pas oublier qu’ils sont catholiques, pratiquants convaincus et engagés dans des mouvements chrétiens (groupes de réflexion notamment). Pour autant, ils  vivent leur foi de manière intelligente, ouverte et responsable. Et c’est justement –à mon avis- ce qui les poussent à résister à la pression, qu’ils perçoivent plus économique que sociale. Même si on ne peut éluder le fait que tout au long de leur vie, ils n’ont jamais vraiment agi ni pensé « comme tout le monde » et qu’une grande place a été laissée à la fantaisie et à l’inattendu. On parlerait de nos jours d’une faculté à penser « hors de la boîte » J.

Ainsi,  pour ce Noël 1960 –comme pour tous les autres à venir-, il n’y aura ni bonhomme rouge, ni sapin,  ni repas « traditionnel ».

Mais de la magie, oui ! de la fantaisie oui ! du renouvellement permanent,  oui, 1000 fois oui !!!

Mon frère, ma sœur et moi-même n’avons donc jamais eu à croire –puis à ne plus croire- au Père Noël   puisqu’il n’a jamais eu droit de cité dans la famille. Il n’était ni rejeté, ni diabolisé. Il était juste ignoré. Il existait bel et bien pour les autres, pas pour nous.

Pour autant, les cadeaux empruntaient toujours des circuits très mystérieux pour arriver jusqu’à nous. Ils n’étaient pas donnés de la main à la main, ils apparaissaient comme par magie aux endroits et moments où on les attendait le moins.

Pas de sapin non plus à la maison, mais des décors et des costumes dignes de Roger Harth et Donald Cardwell (une référence à l’émission « Au théâtre ce soir » que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître). Une féérie toujours renouvelée, des décorations raffinées,  toujours préparées en secret et que nous découvrions à un moment donné, moment qui était lui aussi minutieusement choisi. Rien n’était laissé au hasard en terme d’effet surprise !  Nous avons ainsi eu droit à des pistes aux étoiles, des Noëls citrouilles, un « sapin » fabriqué avec de vieux skis, etc.

Voici quelques exemples de décorations imaginées et mises en œuvre par nos parents dans les années 1960, pendant que nous dormions :

Source : photos famille

Pour ce qui est de repas, jamais de dinde aux marrons (il a fallu attendre l’âge adulte pour voir à quoi cela ressemblait, et vouloir l’oublier tout aussi vite !). Dans ce domaine aussi, le renouvellement était permanent, ainsi que la fantaisie… A Noël (comme à tout autre moment de l’année), on pouvait tout aussi bien manger des frites (faites maison et dans un cornet comme dans le Nord !), que des crêpes. Ou bien faire un repas à l’envers, à savoir : commencer par le dessert et finir par l’entrée. Ou encore : installer la table dans chacune des pièces de la maison (sauf dans les WC !). Ou encore : changer de place à chaque plat, etc.

A côté de cela, jusqu’à notre adolescence, la prière était de mise, ainsi que la messe du soir, du lendemain ou de minuit, selon la programmation du moment… Ajoutant d’ailleurs un peu d’inhabituel et de magie à l’évènement (même si parfois cela pouvait paraître long et barbant !).

Il y avait vraiment un mélange des genres, une vision moderne de la vie et de l’éducation qui cohabitait avec un attachement sincère à des valeurs religieuses familiales. En y repensant, je crois vraiment qu’au départ le choix de nos parents de ne pas donner crédit aux symboles classiques de Noël était motivé par la manière dont ils voulaient vivre leur foi avec leurs enfants. Mais je crois aussi qu’ils se sont laissés prendre à leur propre jeu, chacun trouvant sa place dans un rôle qui lui allait à merveille : elle comme créatrice-modiste, lui comme inventeur-bricoleur de l’impossible. Et enfin, en tant que couple, comme super-parents, puis super-grands-parents (comme nous le verrons dans la 2ème partie) faisant d’eux nos héros de Noël

MAITRE Bernard né en 1929 à Besançon (25), dcd en 2014 , fils de Raymond et de AYMONIER Rose et MORIN Thérèse née en 1927 à Lille (59), dcd en 2009, fille de Louis et de GICQUEL Jeanne – 3 enfants