Les souvenirs de Thérèse (2)

Ces écrits ont été rédigés par Thérèse MORIN en 2004 (date estimée). Ils sont fidèlement retranscrits ici. Les photos, extraites des albums de famille, ont été rajoutées pour illustrer le propos. Il s’agit ici de la deuxième et dernière partie (pages 5 à 8 des écrits manuscrits). Cet article est à mettre en relation avec ceux de la série Une vie de filature, qui complète utilement l’histoire de la famille MORIN GICQUEL

Nous avons eu deux chats, Noirou et Noireau. Deux chats adoptés par nous au départ de Jean qui rentrait au Séminaire. Il les avait trouvés dans ce fameux jardin. Jean avait 10 ans et partait à 50 km de chez nous en pension (1). Ces chats ont fait partie de notre vie sûrement parce qu’ils avaient été choisis par Jean et ce qui était le plus impressionnant pour nous, c’est que chaque jour, Noirou précédait papa qui partait en vélo au travail et à midi moins 5, il repartait attendre papa au portail et repartait à 17h50 pour attendre et précéder le vélo.

1934_MORIN Jean (11 ans) et sa maman, GICQUEL Jeanne

J’ai peu de souvenirs de ma vie de « petite fille ». Ecole primaire avec Melle Angèle, puis les demoiselles Claie. Filles d’un côté, garçons de l’autre, séparés par un grand mur ! Études sans problème je crois. Je n’en ai plus aucun souvenir. Par contre, je sais que j’ai obtenu mon certificat d’études sans problème avec une mention (laquelle ?) et que je suis revenue à la maison où papa et maman m’attendaient avec impatience et en arrivant j’ai dit « oui, je l’ai mais c’est pas la peine d’en parler à tout le monde ! ». Pour y aller, on prenait le tramway, c’était à 6 km de chez nous.

Oui, car nos seuls déplacements à Lille ne se faisaient qu’en tram. Nous étions à 7 km de Lille. C’était une fête quand on y allait ! Pas trop souvent. Il y avait très peu de voitures. Il y avait des chevaux et voitures (à chevaux).

De ma jeunesse, j’ai énormément de souvenirs qui se mélangent (méli-mélo !). Déjà je peux dire que nos parents ont toujours ouvert leur porte à beaucoup de personnes en difficulté. D’abord depuis 1934 sont arrivés chez nous deux garçons, petits cousins dont la maman était malade. Deux Morin qui sont restés chez nous 3 ans. Nous n’avons que de bons souvenirs ensemble. L’un d’entre eux était mon filleul, l’autre le filleul de maman.

A ce moment-là venait aussi chez nous très souvent un prêtre qu’on appelait l’abbé Jean qui lui était formidable pour nous les très jeunes. Plein d’enthousiasme, de joie de vivre, inventif pour nous distraire, jouant avec nous au ballon, nous apportant des films de Charlot qu’on pouvait voir chez nous, chose très rare à cette époque. Il s’occupait de patronage où nous nous trouvions avec beaucoup de jeunes. Nous allions à ce patronage en vélo et assistions à des séances de cinéma, étant très privilégiés à ce sujet. Peu de jeunes allaient au cinéma, muet en ce temps-là !

1937 famille MORIN avec l’abbé Jean (derrière) et les deux petits neveux, Pierre et Gérard MORIN (devant)

Une autre famille est venue s’accrocher à la nôtre et cette amitié dure encore depuis 1927 ! Il s’agit de la famille Potié Guilbert. Marie-Louise étant attachée à Jacqueline en 1927, nos familles sont restées très unies. Et avant la guerre, nos parents ont soutenu une des familles, séparée à cause d’un divorce (ce qui n’était pas accepté à cette époque), en ouvrant la porte au père qui avait été évincé. Chaque semaine, il passait un après-midi chez nous avec ses enfants.

Toutes nos vacances, tous nos jours de congé (le jeudi), nous les passions ensemble, Marie-Louise et Jacqueline, Georges et Jean ayant le même âge, Mimie et moi ayant 2 ans d’écart, et Jean le petit accepté par l’un ou l’autre. Que de souvenirs ! Que de bons goûters ! Que de bons moments !

1937
(de g. à d. et de haut en bas)
Marie-Louise MORIN, Jean GUILBERT, Jacqueline GUILBERT, l’abbé Jean, Georges GUILBERT, Jean MORIN, Thérèse MORIN, Mimie GUILBERT

Chacun de notre côté, nous partagions nos journées et nos demi-journées. Je repense à nos parents qui ont accepté tant de choses ! Il y avait « Mamade », une vieille fille collet monté, avec un collier de chien, chignon tiré, pointure 42 ! Coincée, sérieuse, surveillante pincée, qui avait la responsabilité des enfants Guilbert et qui était toujours avec nous à nous surveiller. Car dans cette famille plus que bourgeoise, il y avait beaucoup de monde à leur service : bonne (on dirait « employée de maison » maintenant), chauffeur (Richard, superbe!), comptable (Arthur, sérieux!), jardinier qui s’occupait des arbre dans plusieurs propriétés. Leur fortune était énorme. Une rue très longue vers Lille, des fermes (au nombre de 4), un château près de Douai, une maison genre château à Loos (près de la prison).

Ils venaient chez nous, mais nous allions aussi chez eux. Imaginez la famille Morin, dont le père était simple ouvrier à la filature Thiriez, maman étant simplement mère au foyer, reçus dans un milieu plus que riche, avec un grand-père député, maire de Loos, auquel on imposait par notre jeune âge de lui passer entre les jambes quand on jouait à cache-cache dans une maison tenue par des employés !!!

Georges POTIE (1863-1937), maire de Loos et député

Beaucoup de souvenirs tourniquent dans ma tête : joie de vivre ensemble, période où aidée par la bonne j’ai appris à faire du vélo. Et même qu’il y avait une « montagne » (pour nous, à 6 ans, c’était une montagne) dans ce jardin -parc-. Nous grimpions cette montagne qui finalement n’était qu’un monticule qui contenait en dessous une réserve de fruits ramassés dans les différentes propriétés ! J’ai le souvenir pour les avoir accompagnés plusieurs fois que ces gens riches allaient cueillir et ramasser les fruits et partaient les répartir chez leurs locataires, y ajoutant le sucre pour leur permettre de faire leur confiture.

Cette famille était aussi propriétaire d’une briqueterie où nous allions jouer, dans un espace extraordinaire où étaient rangées les briques.
J’ai connu à cette époque les premières voitures plus que confortables, une « hotkich » (orthographe peu sûre) , une voiture avec des strapontins qui tournaient le dos à la route. Conduite faite par un chauffeur en tenue grise avec casquette. J’ai connu d’autres voitures, il y en avait 3, pour Madame, Monsieur et Mademoiselle !!! Il y avait en effet une tante vieille fille qui pour nous a toujours été très proche, nous gâtant beaucoup. Par exemple, elle nous emmenait passer 10 h à la foire de Lille, passant dans tous les manèges, mangeant des frites et des sandwichs sur place, jouant à tous les stands, grands et petits s’en donnaient à cœur joie. Cette foire de Lille était ENORME ! la journée n’était pas suffisante pour la connaître à fond. Même les parents y étaient heureux !!! Souvenirs ! Souvenirs !

A cette période aussi, nous faisions beaucoup de vélo. Maman seule n’en a pas fait : elle ne pouvait accepter que le guidon soit libre… elle aurait préféré qu’il soit fixe !

1936_famille_MORIN_à_vélo

Nous allions pique-niquer au « Mont de tir », petite boursouflure où il y avait le dimanche des exercices de tir. Nous étions fiers et heureux de monter et descendre sur cette « montagne ». Dans le Nord, tout est plat (le plat pays qui est le mien !) ; toutes les routes très droites et plates nous dirigent systématiquement face à un clocher !!! Notre pauvre maman nous rejoignait à pied pour ce merveilleux pique-nique. C’est papa et nous qui avions les paniers sur notre porte-bagages. En vélo, nous partions sur le Boulevard qui n’était qu’un boulevard couvert de nids de poules, mais c’était bien !!!

Toujours dans cette famille (Potié), nous vivions un rêve : imaginez une salle à manger dans laquelle il aurait fallu avoir des patins à roulettes pour servir cette grande table… imaginez aussi des vitraux aux portes vitrées mais aussi au plafond. Des grandes baies vitrées… des tapis, aussi bien dans le salon avec piano que sur les escaliers. Quand on montait à l’étage, il y avait une salle de bains (eh oui !) avec des vasques décorées superbes. Imaginez ce que cela représente pour des jeunes qui ne connaissent que la petite cuvette chaque matin… Chez eux aussi, il y avait le téléphone, un écouteur qu’on collait contre l’oreille !!! et quand on voulait appeler quelqu’un on voyait que le demandeur tournait une manivelle avant d’obtenir le correspondant ! en ayant d’abord passé par la poste via un seul numéro à deux chiffres (il en existait si peu en ce temps-là !).

J’ai un autre souvenir qui me revient : le grand-père était chasseur et il y avait au mois d’octobre une pièce réservée aux « animaux » qui devaient « mûrir ». On ne les cuisait que le jour où une patte lâchait et il fallait qu’ils soient un peu faisandés pour les cuire (lièvres, pigeons ramier, sangliers). Ses pâtés étaient délicieux !

C’est certain que la vie de la famille a été très marquée par cette vie, dans un autre milieu que le nôtre. A table, nous étions servis par la cuisinière en tablier blanc, le vin servi par un homme en habit. Il y avait 3 verres sur la table, des nappes, des chaises en cuir. Seul le goûter était servi à la cuisine, très grande, et lumineuse, avec un « ratelier » qui acceptait la vaisselle lavée et qui s’égouttait.

On nous servait des bonnes tartines avec du beurre et des bonnes confitures maison avec de la cassonade. On repartait à pied chez nous, en longeant la voie ferrée, quand ça n’était pas les Guilbert qui venaient chez nous au Boulevard. Que de fois j’ai reconduit Mimie jusqu’au milieu du trajet et nous repartions dans l’autre sens pour terminer notre conversation ! Cela faisait deux ou trois aller-retours ! C’est fou l’entente que nous avions toutes les deux !!! Même à 77 ans, j’y pense et j’en ris encore !!!

1936 Thérèse MORIN et son amie Mimie
(décédée en 1938)

Nous étions tous dans un milieu catholique, avec des communions, des confirmations, des engagements dans le milieu des « croisés », groupe religieux participant à des processions comme par exemple les enfants de Marie, avec robe blanche, ceinture bleue et voile de tulle. Mes parents très actifs ont toujours participé à ces cérémonies.
A la Fête Dieu, il fallait installer un autel et le fleurir très tôt. Maman partait avec toutes les fleurs du jardin pour préparer cet autel devant lequel la Paroisse s’arrêtait pour prier. Il y avait aussi des processions au lever du jour dans les quartiers du pays. C’était la procession des Rogations où on chantait « Ora pro nobis » après que le prêtre ait imploré les Saints. Mon frère Jean, sérieux (oui ??) a une fois chanté : « que ça pue ici dedans ora pro nobis » car on passait devant l’équarrissage !!!

Nous allions tous les dimanches à la messe et aux vêpres. Mais comme on ne pouvait pas communier comme maintenant à 10 h, on allait à une première messe à 8 h, on communiait et on revenait à la grand-messe !

(1) Thérèse, la petite dernière, avait 6 ans quand son frère est parti au Séminaire




Les souvenirs de Thérèse (1)

Ces écrits ont été rédigés par Thérèse MORIN en 2004 (date estimée). Ils sont fidèlement retranscrits ici. Les photos, extraites des albums de famille, ont été rajoutées pour illustrer le propos. Il s’agit ici de la première partie (pages 1 à 4 des écrits manuscrits). Cet article est à mettre en relation avec ceux de la série Une vie de filature, qui complète utilement l’histoire de la famille MORIN GICQUEL

Pêle-mêle meli mélo
Ce que j’ai découvert dans ma vie… je parle de l’évolution
Dans une maison à deux étages, sans eau au robinet mais avec une pompe à actionner dehors, avec des brocs que l’on montait dans les chambres pour que la toilette se fasse dans une cuvette où durant l’hiver on cassait la glace pour se laver !!! Si on voulait prendre un bain, on chauffait l’eau qu’on vidait dans une jolie cuve en bois comme étaient les tonneaux. Cette cuve était alors mise dehors, c’était un régal ! J’ai le souvenir qu’un jour des rats sont passés par la « bouche » de la pompe à eaux… on n’a pas été empoisonnés, la preuve : j’ai 77 ans !

1948_MORIN_Thérèse_Loos
n.b. on voit la pompe et le baquet derrière Thérèse

Nous avons eu le bonheur d’habiter une maison avec un jardin (c’était un jardin ouvrier où quelques 10 parcelles étaient distribuées à plusieurs personnes) mais nous avions la possibilité de profiter au maximum des allées pour y faire du vélo.

Loos_jardin

On n’avait ni électricité, ni radio, ni téléphone. On était éclairés par un bec de gaz qui était au centre de la salle à manger, un bec de gaz qu’on allumait avec des allumettes lorsque le jour baissait. Alors on était obligés de rester ensemble dans la même pièce ! Dans les rues, il n’y avait que des becs de gaz pour éclairer ! Radio : on l’a eue ; c’était un poste à galène. Une aiguille était placée sur une surface de plomb… on avait un seul écouteur et chacun notre tour nous pouvions écouter quelque chose. Je me souviens avoir entendu quelque chose qui m’a choquée : il a pété dans le Nord… Traduction : ici PTT nord !!! je devais avoir 6 ans.
On écrivait avec des porte-plumes. Les plumes étaient Gauloise ou Sergent Major, nous avions des encriers, des crayons… et si peu de crayons de couleurs que ça devenait un luxe !

Nous avions la chance d’avoir un jardin très bien entretenu par notre papa, nous avions énormément de bons légumes sans aucun engrais si ce n’est l’utilisation de purin que papa prélevait dans la fosse sous le WC qui lui se trouvait en dehors de la maison. Même avec moins 15°C, on y allait -brrr!!!- il n’y avait pas de chasse d’eau. On utilisait des morceaux de journaux comme papier cul !!! On allait pomper de l’eau pour nettoyer le WC.

Nous n’avions comme chauffage qu’un fourneau au charbon qui était dans une pièce mais il était assez important pour diffuser un peu de chaleur dans les 3 pièces en enfilade. Par contre, dans l’arrière-cuisine où on faisait la vaisselle, pas question de chauffage ! L’eau était chauffée sur ce feu et transportée dans une bassine dans cet endroit. Pas de produit à vaisselle mais du savon de Marseille.

Pour aller dans nos chambres, nous n’avions que des bougies et pas de chauffage. Nos devoirs étaient faits dans la pièce commune mais sans difficultés. On sentait les bonnes odeurs du repas préparé avec amour par maman. Pas de soucis de bactéries, pas question de mauvais engrais sur les légumes. Pas question de viande dangereuse, surtout qu’on n’en mangeait que deux fois par semaine (c’était trop cher!). J’ai connu aussi à la place des bougies des lampes « pigeons » : il y avait un réservoir d’huile, une mèche, un verre et cela tenait plus longtemps que les bougies… c’était du luxe !

Nous avions une maison très agréable. La peinture grise était offerte par l’usine Thiriez où travaillait papa. Je n’ai jamais apprécié cette peinture que j’ai retrouvée en 1966 à Saint-Cergues !!! Cette maison comportait beaucoup d’avantages : une verrière sur la salle habituelle de rassemblement, très claire avec une porte vitrée qu’on ouvrait dès que la température le permettait. Dans cette pièce, il y avait le fourneau très important, très apprécié en hiver surtout. Du carrelage par terre, une grande table où l’on se retrouvait tous.

1946_MORIN_Thérèse_retour_Loos_maison
n.b. on devine la verrière attenante à la maison
1932_enfants_MORIN_et_LYS_arrière_Loos
n.b. Derrière le groupe on voit la porte vitrée dont parle Thérèse et qui donne “sur la salle habituelle de rassemblement”

Au centre, une salle à manger peu utilisée à cause de sa place, sans fenêtre, sans luminosité ! À la suite, il y avait « pour nous » la salle de jeux. Il y avait dans notre enfance des coffres qui nous appartenaient, lesquels étaient recouverts de coussins où on pouvait s’asseoir au sol. C’était un plancher bien entretenu, sur lequel on a beaucoup joué : avec aux pieds des chaussettes (trouées), on pouvait y glisser. C’était formidable. Maintenant, je me dis que maman devait choisir de nous faire glisser pour nettoyer le parquet !

Au 1er étage, il y avait deux chambres et au 2ème il y avait une chambre et un genre de grenier. Par contre, les escaliers étaient aussi bien cirés que les salle du bas et notre joie était de les descendre sur le derrière ! Ça glissait tellement bien ! Notre papa faisant comme nous. Les plus audacieux comme Jean et Marie-Louise descendaient sur la rampe !

1930_45Bd_Republique_LOOS
maison côté rue

Il y avait un sous-sol, une cave où se gardaient le tonneau de bière que nos parents confectionnaient et les légumes du jardin, par exemple les chicons ou endives ou barbes de capuçon qui poussaient en cave l’hiver dans un compost sable et terre. Dans l’autre partie de cave était le charbon seul combustible à ce temps-là. Il nous était livré par un soupirail.

Dans le jardin, dont papa était un expert, nous avions de très bons légumes, mais aussi de si jolies fleurs, violettes, pois de senteur, roses, dahlias. De ce côté là, notre papa faisait plaisir à maman, amoureuse des fleurs (j’ai hérité d’elle!). Il y avait du seringha très odorant dans notre petite cour derrière la maison. Il y avait aussi un poulailler -donc des œufs frais-, des poules et des poulets à déguster !

1948_MORIN_Louis_Jardin_Loos
1937_MORIN_Louis_Loos

Dans ce jardin dont nous pouvions profiter, il y avait un tel espace que nous faisions du vélo, que nous pouvions aussi nous installer où bon nous semblait. Je me revois vers 10 ans installée avec ma grande amie Mimie sur un tas de fumier taillé au carré, jouant à la recherche de mots dans le dictionnaire !

1933_MORIN_Thérèse_et_Mimie



Les souvenirs de Thérèse (présentation)

La période d’été se prêtant bien à ce format, je vous propose de lire (ou relire), sous forme de feuilleton, les souvenirs que Thérèse MORIN a retenus de son enfance et qu’elle a consignés de manière manuscrite et totalement libre (*) en 2004… J’en ai retranscrit la première partie consacrée essentiellement à la configuration et à la “philosophie” de la maison de Loos et j’ai choisi d’y associer des photos trouvées dans les albums de famille. Je vous souhaite de trouver autant de plaisir que moi-même dans la lecture de ces écrits et reste bien sûr à disposition pour de plus amples informations…

(*) je précise toutefois que cela faisait suite à une énième invitation de ma part d’écrire sur sa vie passée, mais j’ignorais qu’elle l’avait fait… Ces écrits ont en effet été mis à jour après son décès 🙂




Misère et boule de gomme

Misère, misère ! C’est toujours sur les pauvres gens Que tu t’acharnes obstinément (chanson de Coluche)

Dernièrement, j’ai eu l’occasion de retourner aux archives départementales du Jura, à Lons-le-Saunier, histoire de sonder un peu plus l’histoire, en l’occurrence celle de notre grand-père paternel, Raymond MAÎTRE. Souvenez-vous : c’est celui qui n’a pas eu de chance dans sa vie (à part celle d’avoir été notre ancêtre !), à tel point qu’il y a mis fin, de manière aussi délibérée que soudaine… Dans un précédent article intitulé La poisse…, je décris comment il s’est retrouvé orphelin de père en 1902, alors qu’il n’avait que 9 ans. A l’époque, il avait encore un frère et deux soeurs (3 étaient déjà morts à la naissance). Six ans après, en 1908, sa soeur aînée meurt, suivie du grand frère et de la petite soeur en 1910. Raymond est alors âgé de 17 ans. Comme famille proche, il ne lui reste plus que sa mère et sa grand-mère, ainsi qu’un oncle disparu à Paris, après avoir été condamné dans le Jura pour avoir battu son ex-femme (cf l’article Un ancêtre encombrant)… Qui plus est, le jeune Raymond est affecté depuis la naissance d’une paralysie de la hanche, ce qui l’empêche de sauter comme un cabri et accessoirement de participer aux travaux de la ferme… On imagine bien la frustration pour lui, si ce n’est l’humiliation, en tant que seul homme survivant, de ne pouvoir subvenir aux besoins des siens. La seule chose qu’il pouvait faire, c’était de mettre toute son application dans les études. Ce qu’il a fait et bien fait puisqu’il est devenu professeur de lettres à Besançon à l’âge de 20 ans.

Une des questions est de savoir comment, venant d’un milieu si modeste, il a pu payer ses études ? Eh bien, croyez-moi si vous voulez, mais loin de me fournir la réponse, mes investigations dans les archives notariales de la famille n’ont fait qu’épaissir un peu plus le mystère, qui s’est transformé en : misère, misère ! Mais voyons ça de plus près…

Il convient tout d’abord de faire un rapide retour en arrière… Nous sommes en 1886 : Aldegrin MAÎTRE et Julie MARTINEZ, futurs parents de Raymond, s’apprêtent à convoler en justes noces à Brainans, dans le Jura. Auparavant, ils passent devant le notaire pour établir un contrat de mariage. Celui-ci met en scène les futurs époux, mais également Philomène MAÎTRE (eh oui, les MAÎTRE sont légion dans ce petit village), la mère de Julie, car c’est elle qui a les pépettes ! Ou tout au moins une maison dont elle fait don à sa fille dans le cadre d’une communauté réduite aux acquêts. Ces trois-là (le couple et la belle-maman) sont donc unis par un dispositif qui implique la mise en commun des biens et revenus acquis pendant le mariage, mais aussi des éventuelles dettes qui en découlent… A ce moment, la situation semble relativement saine du côté de l’épouse qui apporte à la communauté un trousseau estimé à 50 francs. Outre la donation de la maison, sa mère déclare un apport mobilier d’une valeur de 1800 francs dans la communauté. Du côté du mari, c’est déjà moins brillant : certes, il apporte un petit mobilier, quelques outils, du fourrage et du bétail, le tout estimé à la somme de 800 francs, mais il est aussi dit dans le contrat qu’il est grevé d’une dette de 800 francs… Ce qui fait match nul et sent déjà un peu le roussi… Mais bref ! tout ce joli monde se marie (à l’exception de la belle-mère qui elle, tiendra la chandelle) et poursuit sa destinée dans la maison commune… Le 1er enfant naît en 1887, les 6 autres suivent, à raison d’un tous les deux ans à peu près. Deux seront non viables et le dernier enfant, une fille qui nait le 30 mai 1901, décède deux semaines plus tard. Au moment où le père, Aldegrin, passe l’arme à gauche, le 7 novembre 1902, il y a donc encore 4 enfants en vie, ainsi que la mère et la grand-mère. Comme il est d’usage dans ce cas, et plus particulièrement en présence d’enfants, on procède à un inventaire des biens de la communauté. Il s’agit d’un acte qui constate en détail la nature et le nombre des effets mobiliers, titres et papiers. Le but d’une telle opération est d’estimer au mieux la valeur vénale d’une succession ou du moins d’en assurer la transmission intégrale aux héritiers.

C’est précisément cet acte que j’ai pu trouver aux archives la semaine dernière (inventaire après décès du 23/12/1902). Alors, bien sûr, je n’ai pas tout compris… déjà parce que le notaire écrit comme un cochon, mais surtout parce que ce document est plein de circonvolutions et d’expressions notariales autant absconses qu’abstruses (ça veut dire à peu près la même chose mais on n’insistera jamais assez !). Je vous en donne ci-dessous un exemple, avant d’essayer de vous en livrer la substantifique moelle.

A la conservation des droits et intérêts des parties et de tous autres qu’il appartiendra sans que les qualités ci-dessus puissent nuire ou préjudicier à qui que ce soit, mais au contraire sous toutes réserves, il va être, par Maître Armand Groz, notaire soussigné, procédé à l’inventaire fidèle et à la description exacte du mobilier de toute nature, titres, etc.

L’inventaire du mobilier s’élève à 750 francs, sachant que ce qui a le plus de valeur se trouve dans la grange et l’écurie : 3 malheureuses vaches estimées respectivement à 170, 100 et 70 francs, quelques poules pour 9 francs, deux voitures (à chevaux) en très mauvais état pour 35 francs… Dans le reste du mobilier, on compte des armoires, des lits, des tables, des chaises, une horloge, des farinières (?) pour une valeur allant de 0,50 (sic!) à 20 francs… A la lecture de cet inventaire, on peut en tout cas se dire que la famille n’avait pas grand chose pour vivre…

17. un lit d’enfant 18. une farinière de vingt doubles décalitres 19. une horloge 3 francs 20. une petite farinière de quatre double décalitres 1 francs 50 21. une table, etc.

L’inventaire des titres et papiers consiste à exhumer les documents officiels. En l’occurrence, le contrat de mariage dont j’ai parlé plus haut et un testament qui institue la grand-mère légataire universelle des biens d’une vieille tante décédée dans un village voisin (mais je suppose que cet acte ne peut être pris en compte dans la succession du défunt car il s’agit des biens propres de la belle-mère).

Le dernier inventaire s’intéresse au passif, soit en gros, les dettes contractées par la communauté, et là -misère, misère !!!- celles-ci s’élèvent à 5734 francs ! Suit une liste de 21 créanciers qui attendent tous d’être payés, certains avec intérêts… Et si encore c’était pour des futilités, comme le dernier smartphone Apple ou un robot ménager dernier cri… mais pas du tout ! On parle là de biens de subsistance dont le paiement n’aurait pas été honoré : des fermages (loyers), du bois de chauffage, l’intervention d’une sage-femme, d’un paiement au recteur (sans doute des frais de scolarité, le recteur désignant à l’époque le maître d’école), des frais de deuil pour la veuve, etc. Autant de postes qui dénotent à nouveau l’extrême dénuement dans lequel se trouvait la famille.

5. Par M. Dumont de Poligny quarante francs 6. Par M. Antoine Armand vingt francs 7. Par M. Paris pour bois de chauffage quarante deux francs cinquante

Sans compter les nombreux usuriers sollicités sans doute pour rembourser des dettes antérieures : 680 francs dus à M. Picsou, créancier hypothécaire, 1560 francs à Melle Picblé, créancière, 1214 francs à M. Cresus, aussi créancier… Bref, une spirale infernale telle qu’en connaissent encore certaines personnes aujourd’hui.

Par M. Bailly créancier hypothécaire, etc.

La suite de l’histoire ? Qu’on se rassure : TOUS les créanciers ont pu être payés (ouf !). Mais ceci ne s’est pas fait sans peine supplémentaire pour la famille, avec un dépouillement encore plus grand à l’arrivée : très vite après cette formalité, Julie MARTINEZ vend en effet une partie de son mobilier aux enchères publiques (acte notarié du 27/01/1903) ce qui rapporte la modique somme de 88 francs (une lampe pour 0,25 francs, une horloge pour 5 francs, un buffet pour 44 francs, etc.). Puis la mère et sa fille procèdent à la vente aux enchères d’une partie des terrains, prés, vignes en leur possession, ce qui rapporte 3250 francs (acte notarié du 01/02/1903).

Est-ce ces conditions encore plus précaires qui ont entraîné le décès rapide des 3 autres enfants ? Misère et boule de gomme. Pour ma part, j’émets l’hypothèse que c’est la tuberculose qui a décimé la famille. En effet, au moment où le fils aîné est censé faire son service militaire, en 1908, il est exempté à cause d’une bronchite bacillaire du côté gauche. C’est peut être aussi la cause du décès du père, mais pour le moment, rien ne permet de l’affirmer.

Histoire de boucler la boucle, on ajoutera qu’en 1922, après le décès de sa grand-mère, puis de sa mère, à quelques mois d’intervalle, Raymond MAÎTRE, qui exerçait comme professeur à Besançon, procédera à son tour à la vente aux enchères des derniers biens de la famille, dont la maison. Il effacera ainsi les dernières traces de la présence séculaire de cette branche MAÎTRE dans le petit village de Brainans.

Des traces que j’ai eu quant à moi la chance de suivre le temps d’une consultation aux archives, me procurant l’immense satisfaction d’avoir fait un petit pas de plus vers l’homme qu’il était, ainsi qu’un grand pas vers son humanité si bien cachée…




En dents de scie

1919… une année qui sonne comme l’an neuf après une guerre meurtrière qui aura duré 4 ans et engendré en France près de 600’000 veuves et 986’000 orphelins. Elle, elle a 27 ans et le regard fier d’une qui ne s’en laissera plus conter, des cheveux noirs -avant qu’ils ne blanchissent prématurément- et le maintien d’une madone avec ce je ne sais quoi d’espagnol, dont l’origine n’a à ce jour pu être identifié généalogiquement parlant. Bon sang ne sachant mentir, ou alors très mal, je trouve également beaucoup de traits communs avec mes cousines et avec ma sœur…



Dans quelques mois, elle se marie et elle s’en réjouit… enfin, c’est ce que je crois. L’élu s’appelle Joseph Maximin REUDET, il a 33 ans et il vient de passer la bagatelle de 5 années sous les drapeaux, d’abord dans l’escadron du train des équipages militaires (1), puis dans l’aérostation (2), une demi-décennie qui s’est rajoutée à un service militaire préalable de 2 ans effectué entre 1907 et 1909… Autant dire qu’en dehors du service à la patrie, il n’a pas fait grand chose, mais au moins il en ressort vivant et entier, un luxe par les temps qui courent ! Qui plus est, avec une qualification de mécanicien qui lui sera bien utile pour la suite…

Il y a seulement 5 mois qu’il est démobilisé mais ce mariage ne peut attendre. Non, non, ça n’est pas ce que vous croyez : pas question de polichinelle dans le tiroir , ni de brioche dans le four, ni de moussaillon dans la cale ! C’est juste que le 16 août 1919, il y aura DEUX mariages pour le prix d’un ! Rose AYMONIER épousera Joseph REUDET, tandis que Maurice AYMONIER, le frère aîné, s’unira avec Cécile REUDET, soeur cadette de Joseph. Même si ce type de mariage croisé était assez fréquent (cela permettait notamment une moindre dissémination du patrimoine familial), l’évènement n’est certainement pas passé inaperçu dans un petit village comme Fertans (Doubs). La famille AYMONIER, qui comporte plusieurs branches, y est en effet implantée depuis des lustres. Stéphane, le père de Rose, y exploite une scierie qu’il a créée initialement avec son frère (mort en 1905). L’activité semble prospère et selon les recensements de population de l’époque, elle fait vivre pas mal de foyers dans le village.



Au moment du mariage, Maurice AYMONIER, le frère unique de Rose, travaille sans doute à la scierie avec son père car, ayant été exempté, il n’a pas participé à la guerre. En tout cas, il a aussi une qualification de mécanicien… Mais surtout, c’est un véritable Géo Trouvetou des temps anciens, toujours à l’affût d’une amélioration à apporter aux objets et outils de la vie quotidienne. Ainsi, entre 1955 et 1959, ce ne sont pas moins de 3 brevets qu’il déposera, dont un sur une machine à écorcer (3). Il ne faut alors pas chercher d’où venait chez notre papa cette inventivité exceptionnelle !

Les REUDET, Joseph et Cécile, font quant à eux partie d’une très grande famille de douze enfants qui réside non loin de Fertans. Le père est instituteur et tous les garçons ont eu une très bonne situation (l’un comme hôtelier-restaurateur renommé à Besançon, un autre, comme employé de commerce, un autre encore reçut la Légion d’Honneur et autres médailles pour sa participation à différents conflits). Et petit détail qui devrait nous interpeller : une des soeurs aînées de Joseph a épousé en 1908 un certain Marius MAÎTRE qui n’est autre que le petit cousin de Raymond.

Mais revenons à ce fameux double mariage. Impossible de savoir si celui-ci est placé sous le sceau d’un amour fou. Ce qui est certain, c’est que côté affaire, les choses se goupillent plutôt bien. Jugez-en plutôt par vous-même :

  • le 14 août 1919 (deux jours avant le mariage), selon un acte passé devant notaire, Rose et Maurice, qui ont respectivement 27 et 30 ans, deviennent propriétaires de la scierie de leur père, AYMONIER Stéphane. Celui-ci décédera d’ailleurs l’année d’après, le 27 octobre 1920
  • le 2 septembre 1919 (quelques semaines après le mariage), les deux couples forment une société en nom collectif ayant pour objet le commerce des bois et de la scierie, nommée AYMONIER-REUDET.



Résultat des opérations : les deux couples, et plus particulièrement, Maurice et Joseph, se retrouvent à la tête d’une affaire déjà bien implantée dans le village et qui ne demande qu’à fructifier. Après la guerre, les besoins en bois sont en effet très importants en France pour la reconstruction des voies de chemins de fer notamment. L’avenir se présente donc sous les meilleurs auspices…

Côté familial, des informations nous manquent pour décrire la vie des deux couples durant les cinq années qui ont suivi le mariage (4) et avant le drame qui a anéanti les deux familles , mais on peut s’appuyer sur le contexte de l’époque pour tenter de l’imaginer : nous sommes au début des années folles, période pendant laquelle la jeunesse enivrée d’espoir souhaite s’amuser, vivre et surtout oublier l’horreur de la guerre. C’est l’avènement du jazz, de la radio, du cinéma. En ville, c’est aussi l’occasion pour la femme de s’émanciper à travers la mode et de goûter à une certaine forme d’indépendance. On pense à Joséphine Baker, Coco Chanel, Louise Brooks… Et à leur pendant masculin, Fred Astaire et au personnage de fiction, Gatsby le magnifique

Certes, le phénomène se cantonne surtout dans la capitale, mais quand même la scierie des AYMONIER REUDET est grande, moderne et elle emploie plusieurs personnes. On peut légitimement penser que les deux couples possèdent une ou deux voitures personnelles, un patrimoine financier qui ne cesse de croître et un train de vie qui n’a pas grand chose à envier aux gens de la ville… Par ailleurs, Rose AYMONIER vient d’un milieu où la liberté individuelle n’est pas un vain mot : son père et au moins un de ses oncles adhéraient au parti radical socialiste (5). Et elle est une des premières femmes du canton à obtenir son permis de conduire. Malgré les nombreuses incertitudes qui subsistent, je n’hésite donc pas à affirmer que jusqu’en 1925, tout avait plutôt bien réussi à notre jeune Rose, bercée qu’elle était par le chant des scies-reines et par un petit vent de liberté qui n’était pas vraiment la norme pour les femmes vivant en province.

Et sans vouloir pousser mémé dans l’uchronie (6), je pense que si Joseph REUDET n’était pas mort accidentellement, la vie aurait continué de la même manière dans un confort prospère, avec, à la clef, une belle entente entre les deux couples, même si, pour une raison que j’ignore, Maurice s’est expatrié à Reims avec sa famille en 1922 tout en continuant à gérer la scierie avec son beau-frère… Ce dernier aurait veillé aux intérêts de l’entreprise familiale sur place, à Fertans, il en aurait peut être relancé une autre en bon industriel qu’il était. En plus de Louis (né en 1920) et Monique (1925), il y aurait peut être eu d’autres enfants mais certainement pas de Bernard, ni de François, ni de Michel… Et je ne serais donc pas là aujourd’hui pour vous en parler…

En lieu et place, il y eut donc ce drame d’un père et mari disparaissant dans la force de l’âge en 1925 et modifiant dans son sillage (ou sciage, c’est selon!) une bonne partie des destinées de ses proches. Pour Rose, commence alors une période en dents de scie : elle se retrouve seule à 34 ans, avec deux enfants dans les bras : Louis, 5 ans, et Monique qui naîtra 5 mois plus tard… avec la responsabilité partagée d’une affaire, qui reste encore à l’époque celle des hommes. Son père n’est plus là pour l’aider et Maurice vit à Reims. Sa mère a alors 65 ans. On n’a pas trop de mal à imaginer la détresse de Rose durant cette période et l’énergie qu’elle a dû déployer pour aller de l’avant, s’obligeant peut être déjà à se remettre à la couture, son premier métier. Sans doute a t’-elle bataillé ferme durant 3 ans pour garder son indépendance avant de “capituler” en acceptant en 1928 l’offre en mariage de Raymond MAÎTRE, notre grand-père, qui ne lui était pas inconnu (cf ci-dessus) : bien qu’unijambiste, ce dernier, alors Professeur de lettres à l’Institution Saint-Jean à Besançon, offrait stabilité et équilibre à notre Rose qui avait certes deux pieds sur terre, mais aussi la charge de deux enfants et d’une mère vieillissante.

Le mariage de Rose et Raymond aura donc lieu le 4 août 1928, marquant le début de l’histoire de notre père, de ses deux frères et de leurs lignées respectives, et sonnant la fin de celle que notre grand-mère aurait pu avoir avec son premier mari et dont la dernière page est définitivement tournée le 2 septembre 1929 avec la dissolution de la société en nom collectif qui avait été formée sous la raison « AYMONIER-REUDET ».

En guise d’épilogue : une fois n’est pas coutume, et parce que la rédaction de cette chronique m’a pris un temps anormalement long (mon logiciel indique… 51 révisions !!!), j’aimerais témoigner de mon état d’esprit au terme de l’exercice. Il s’est avéré en effet bien difficile de raconter un épisode de la vie d’une aïeule en ayant très peu d’informations à disposition, car en plus de trahir l’Histoire (la grande), on craint de trahir la personne elle-même. Pour autant et contre toute attente, grâce à ces questionnements et cogitations solitaires, j’ai l’impression d’avoir fait un grand pas vers une meilleure connaissance de Rose. A l’image d’une grand-mère qui, dans mon souvenir d’enfant, se montrait distante et peu démonstrative se substitue à présent celle de cette même personne, plus jeune, fauchée en pleine ascension par un drame qui a complètement modifié la trajectoire de sa destinée, et je me surprends à trouver des excuses à celle dont la mémoire familiale élargie retient un comportement peu avenant vis-à-vis de ses proches…

(1) L’aérostation étant « la technique qui permet le vol au sein de l’atmosphère terrestre en utilisant des engins plus légers que l’air ». Quand on parle de ballon dirigeable à des fins militaires, cela devient plus clair…
Impossible à ce stade de vérifier cette information ; il n’est même pas certain que le mariage ait eu lieu à l’église
(2) Ce train-là n’est pas celui qui siffle trois fois, mais c’est, en termes militaires, « l’arme qui organise et coordonne la logistique militaire, le transport du matériel, des munitions et du ravitaillement pour l’Armée de terre française » (source : Wikipédia)
(3) les 3 brevets de Maurice Aymonier : Machine perfectionnée à écorcer les bois le 14/09/1955 – Tête de travail perfectionnée pour machine à écorcer les bois le 03/07/1956 – élément profilé en bois à revêtement en matière plastique et son procédé de fabrication le 30/07/1959 (source : base INPI)
(4) de manière générale, j’ai très peu d’informations sur la branche des AYMONIER, encore moins sur celle des REUDET. J’ai pu reconstituer certaines périodes de la vie de ces ancêtres, notamment toutes les opérations et actes notariés liés à la scierie, grâce à des recherches dans la presse anciennes. L’achat de deux factures AYMONIER sur le site Delcampe me permettent aujourd’hui de présenter les logos successifs de leur entreprise. Mais pour le reste du récit, je suis réduite à avancer des hypothèses, avec tout ce que cela comporte comme risques d’erreur.
(5) L’idéal social des radicaux explique leur refus d’accepter l’idée selon laquelle la société française serait divisée en classes et, plus encore, la conception selon laquelle la lutte des classes serait, comme le pensent les marxistes, le moteur de l’histoire. Fondamentalement, ils restent fidèles à la manière dont Maujan définissait, dès le congrès de 1902, la position des radicaux en matière sociale : « Il n’est plus, politiquement parlant, de bourgeois et d’ouvriers, la Révolution et le suffrage universel ont fait de tous des citoyens et des électeurs, et notre doctrine qui vise la fusion des classes et non la division et la lutte des classes, est toute dans la pacification par les réformes : c’est une doctrine de fraternité et de solidarité sociale, car on ne fonde rien avec la haine ». Congrès de 1902 du parti républicain radical et radical-socialiste, p. 88. Source : Berstein, S. 2004. Chapitre 6. La nature du radicalisme dans la France de l’entre-deux-guerres. In Berstein, S., & Ruby, M. (Eds.), Un siècle de radicalisme. Villeneuve d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion.
(6) un récit uchronique consiste à proposer une histoire alternative à partir d’un évènement modifié du passé. Deux mots suffisent à en donner une idée : ET SI… (et si tel événement n’avait pas eu lieu, que se serait-il passé ?)… Ainsi, dans son livre Le maître du Haut-Château, publié en 1962, Philip K. Dick imagine un monde dans lequel l’Allemagne nazie, l’empire du Japon et l’Italie fasciste ont remporté la seconde guerre mondiale. Plus proche de nous, en 2001, Eric-Emmanuel Schmitt décrit dans La Part de l’autre ce qui serait advenu si Adolf Hitler n’avait pas été recalé à l’école des Beaux-arts de Vienne… 




Scripta manent…*

*verba volant, scripta manent… les paroles s’envolent, les écrits restent

Aujourd’hui, je veux vous parler d’écrits familiaux. Quésako ? Ce sont des archives familiales qui présentent la particularité d’être écrites de la mimine -délicate ou velue- de celui ou celle qui les a produites. Donc à titre d’exemple  :

  • des cahiers de recettes (où l’on trouvera suivant la région, celle de la soupe de gaudes, des pêts de nonnes ou du fion du Poiré),
  • des carnets savamment griffonnés et gribouillés de notes, réflexions, extraits, poésies, chansons et croquis, borborygmes en tout genre,
  • des journaux personnels (on les appelle aussi « intimes », une appellation que je trouve rarement adaptée, à moins d’y trouver les affres sentimentales dans lesquelles nous plongent un amour impossible…),
  • des journaux de voyage (voyage qui peut commencer au pas de sa porte, voire même dans sa chambre, comme au moment du confinement),
  • des listes (de films, de livres, d’amants, de destinations, de premières fois, etc.),
  • des cahiers d’écolier (notamment le si fameux cahier de récitations illustré de « jolis » dessins à la main ;-),
  • des courriers entre les membres d’une même famille, voire même une correspondance amoureuse complète, avec les lettres envoyées et celles reçues, si les auteurs ont fini par devenir nos parents…

A l’échelle d’une famille, cela peut représenter une somme importante de vieux papiers, qui ne méritent certes pas d’être tous conservés ad vitam aeternam, mais qu’il est important de feuilleter d’abord, puis d’identifier sous la forme d’un inventaire précis. Pourquoi ? Parce qu’aucune de ces productions manuscrites personnelles n’est dénuée d’intérêt, dans la mesure où elles reflètent un pan de la personnalité ou des centres d’intérêt de leur auteur. On a tendance à sous estimer la capacité de ces documents à nous en apprendre beaucoup sur nos parents ou nos grands-parents.

Prenons deux exemples :

Bernard Maître

Dès son plus jeune âge, Bernard consigne pas mal de choses dans des carnets : les paroles des chants qu’il apprend, les techniques du scoutisme (allumer un feu, faire des nœuds, etc.). A l’âge adulte, il garde toujours un carnet sur lui où il note ses réflexions du moment.

Carnets de Bernard Maître 1939 à 1958

Dans tous les carnets, l’écriture est petite, soignée et la mise en page est maîtrisée. On devine un tempérament calme et posé.
Mais le plus fascinant, ce sont les index et tables des matières qu’il dresse en fin de carnet qui dénote là un esprit rigoureux et méthodique.

Plus tard, il adoptera la même méthode pour ranger son matériel de bricolage : une boîte par item (écrou hexagonal M6 par exemple), un code alphanumérique par boîte et un index alphabétique détaillé qui sert d’outil de recherche… Pour ma part, j’adorais utiliser cet index et évoluer dans cet environnement classifié. C’est certainement là que ma vocation de documentaliste a pris naissance…

Jeanne Gicquel

Nous l’avons déjà évoqué : Jeanne écrit beaucoup… Plusieurs courriers partent chaque jour, à l’attention de sa fille, religieuse à Madagascar, de son autre fille, basée en Haute-Savoie avec sa famille, de son fils, prêtre à Montauban, puis à Bordeaux, de sa famille, restée en Bretagne, de ses amis du Nord, etc. Elle s’adonne à cette activité le matin, entre 7 et 10h, et en tout cas avant le passage du facteur à 11h. Non seulement, elle écrit énormément, mais aussi … de manière… hors NORME ! son écriture ample et généreuse remplit une page A4 en moins de deux (180 à 200 mots suffisent alors qu’avec une écriture classique, on en met facilement le double!)

Lettre de Jeanne GICQUEL (1ère page) – 1978

Or, cette écriture qui se moque de la mise en page et des conventions est révélatrice du tempérament de notre grand-mère, une femme certes très généreuse, mais aussi audacieuse et un brin fantaisiste.

Dans notre famille, nous avons donc hérité d’un grand nombre d’écrits personnels, émanant surtout de la branche maternelle. Plusieurs raisons à cela : tout d’abord, les membres de la famille GICQUEL / MORIN aimaient beaucoup écrire et, il faut l’admettre, ils le faisaient plutôt bien, chacun/e avec un style qui lui était propre. Ensuite, l’éclatement géographique de la famille a joué en faveur d’une correspondance soutenue. Enfin, le fait que deux enfants sur trois n’aient pas eu de descendance (et pour cause !) : à leur décès, l’ensemble de leurs papiers personnels sont donc revenus à la seule qui ne soit pas rentrée dans les ordres, en l’occurrence, notre maman…

Mais on peut s’en douter : ces papiers prennent de la place et les inventorier prend du temps… J’arrive au bout de cette opération. En voilà le résultat, avec ci-dessous la liste des archives manuscrites qui nous ont été léguées :

  • Journal de Jeanne GICQUEL (5 cahiers), écrit dans les années 1980, dans lequel elle raconte ses souvenirs d’enfance en Bretagne (vie quotidienne, sa famille, les fêtes, l’école, le mariage, etc.), puis leur vie de couple dans le Nord et enfin le temps de la retraite dans les Landes. Certains passages sont complétés par Jean MORIN, son fils.
  • Journal de Marie-Louise MORIN écrit en mai-juin 1940 au moment de l’évacuation dans lequel elle raconte l’exode de la famille parti de Lille pour rejoindre le sud-ouest de la France
  • Journal de Marie-Louise MORIN rédigé avant son entrée au couvent où elle fait part de sa vie quotidienne et de ses états d’âme
  • Journal de Jean MORIN (1 cahier), dans lequel il raconte les derniers moments de la vie de Jeanne GICQUEL et rapporte quelques souvenirs de la maison des Landes
  • Journal de Thérèse MORIN (4 feuillets recto-verso écrits un peu sous la torture, à la demande de sa fille 🙂 qui fait part de souvenirs de sa vie à Loos-lez-Lille
  • Lettres envoyées par Jeanne GICQUEL à ses 3 enfants, et inversement, soit : sa fille, Marie-Louise, vivant à Madagascar, Thérèse, et sa famille, en Haute-Savoie, et Jean, qui résidait durant un temps à Bordeaux.
  • Courriers échangés entre les frères et soeurs, Marie-Louise, Thérèse et Jean MORIN
  • Courriers échangés entre Bernard MAITRE et Thérèse MORIN entre le moment de leur première rencontre et leurs fiançailles, de 1957 à 1958. Cela représente environ 300 lettres qui décrivent leur quotidien, ainsi que leurs états d’âme, l’un habitant à Paris et l’autre à Tours. Nous en avons terminé la lecture avec ma sœur.
  • Courriers échangés entre Bernard MAITRE et Thérèse MORIN à l’occasion de voyages effectués par Bernard à Madagascar, respectivement en 1984 et 1987 (3 mois à chaque fois)
  • Cahiers de recettes de Jeanne et de Thérèse MORIN
  • Carnets de croquis de Thérèse MORIN sur les tenues vestimentaires créées pour ses enfants (robes, pantalons, etc.) et sur les décorations faites pour Noël (de 1960 à 2000) – cf article Les fêtes (partie I) : nos héros de Noël
  • Carnets de chants, de techniques scoutes, de réflexions de Bernard MAÎTRE (de 1939 à 1958)
  • Cahiers de cours de Bernard MAÎTRE (non inventoriés à ce jour)

Une fois cet inventaire terminé, il conviendra, selon les méthodes archivistiques, d’évaluer l’intérêt historique -ou plutôt généalogique- de chacun des documents, et de repérer ceux qui méritent d’être gardés en l’état (sous forme papier) et/ou valorisés (et de quelle manière ?) et ceux qui peuvent être éliminés. Un plan de conservation et de gestion de ces archives devra alors être établi, avec la production d’outils, de type index ou plans de classement (tiens, tiens, tiens…) pour en faciliter la recherche. Encore bien du travail sur la planche !




Parcours et trajectoires : le certif’

A l’heure où un certain nombre d’étudiants sont en train de s’arracher les cheveux sur leurs copies d’examen (ou peut être s’y préparent-ils d’arrache-pied, ce qui n’est pas beaucoup plus plaisant), me revoilà avec l’envie de vous parler aujourd’hui du parcours scolaire de nos ancêtres, et plus particulièrement du certificat d’études primaires, communément appelé « certif’ ».

Le certificat d’études primaires élémentaires (CEPE) était un diplôme sanctionnant la fin de l’enseignement primaire élémentaire en France (entre 11 et 14 ans) et attestant de l’acquisition des connaissances de base, ou plutôt qu’on considérait comme telles à l’époque : écriture, lecture, calcul mathématique, histoire-géographie, sciences appliquées.

Mis en place en 1866 pour créer une émulation entre les élèves et vaincre l’indifférence des parents vis-à-vis de l’école, cet examen a perduré sous cette forme jusqu’à la fin des années 50. Pendant longtemps, pour la majorité des lauréats, il a marqué la fin de l’instruction obligatoire et l’entrée dans la vie active. En 1972, le CEP ne s’adresse plus qu’aux adultes, mais ce n’est qu’en 1989 qu’il est définitivement supprimé.

Concernant cet examen, la mémoire retient surtout les cinq fautes éliminatoires à la dictée, certainement à l’origine de moultes échecs, et les problèmes tarabiscotés de trains qui se croisent ou de baignoires qui se vident…

Pour avoir une idée des épreuves du certif’, on pourra consulter le site de Samuel Huet cité en référence au bas de l’article.

Au début, le certificat d’études était « une affaire d’hommes », il apparaissait déjà comme un moyen d’accession de ceux-ci à des études poussées et à des positions plus élevées. Il faut attendre la période de la Première guerre mondiale et de ses séquelles (1916-1922) pour voir les filles être présentées à l’examen un peu plus souvent que les garçons.

La sélection était alors faite par les instituteurs et institutrices qui mettaient un point d’honneur à ne présenter au certificat d’études que les élèves ayant une forte chance de réussir.
Jusqu’en 1900, la proportion d’élèves sortant de l’école primaire avec le certificat d’études est d’environ 25 à 30 %. Cette proportion monte jusqu’à 35 % vers 1920 et atteint 50 % à la veille de la Seconde Guerre mondiale.

Il est donc assez inattendu que nos grands-parents maternels -qui pour rappel étaient respectivement fils de laboureur et fille de meunier dans les Côtes d’Armor- aient obtenu leur certificat d’études.

Louis MORIN a eu son certificat en 1904. Il avait 13 ans. Quand on connaît son histoire (orphelin de mère à 3 ans, élevé par une voisine, etc), on se dit qu’il a eu bien du mérite de l’obtenir. Pour plus de détails, relire : Dans la famille MORIN / GICQUEL, je voudrais…

1904 – Certificat d’études primaires de Louis MORIN obtenu dans les Côtes d’Armor (format 31×30 cm)

Pour l’avoir entendu en parler, je suis certaine que Jeanne GICQUEL a aussi obtenu son certificat d’études primaires, même s’il n’y en a aucune trace dans les archives familiales. Voilà cependant ce qu’elle disait des exploits scolaires de la famille dans son journal intime : « Nous restions à Saint Laurent jusqu’à dix ans. Après, à Ploeuc, où l’on préparait les certificats primaires et supérieurs. Depuis, je me suis rendue compte que la gentillesse et la fantaisie de Melle Guyomar avaient été valables, puisque tous, nous lui avons fait honneur en étant têtes de classe : mes deux aînés furent premiers du canton à tous les examens, et moi, comme Poulidor, deuxième ».

En 1933, c’est au tour de Marie-Louise, leur fille, d’obtenir son certificat d’études. Elle a alors 13 ans. Autre temps, autres mœurs : alors que celui de Louis MORIN correspondait plus ou moins à un A4, celui-ci en fait le double (58 cm x 45 cm) et il est cartonné, car destiné à être encadré et affiché au mur…

1933 – Certificat d’études primaires obtenu par Marie-Louise MORIN obtenu à Lille (59) – format 58×45 cm

Pas de trace de certificat pour Jean MORIN, le frère, mais comme il est entré à l’école apostolique à un âge précoce (11 ans) et qu’il a ensuite été jusqu’à la licence de théologie, on peut imaginer qu’il a brûlé les étapes.

En 1939, à la veille de la guerre, Thérèse, la benjamine, obtient elle aussi son certificat d’études. Doit-on à la désorganisation d’avant-guerre le fait que ce diplôme soit si mal renseigné  ? c’est possible…

1939 – Certificat d’études primaires obtenu par Thérèse MORIN à Lille (59) – format 58×45 cm

Il faut relever que Thérèse a obtenu son certificat à l’âge de 12 ans et que de 1940 à 1945, elle n’a pas été scolarisée (cf récit de l’exode de la famille MORIN du nord vers le sud-ouest). Il faut croire qu’elle avait de réelles prédispositions intellectuelles car cela ne l’a pas empêchée de poursuivre ses études après la guerre et d’obtenir en 1950 un Brevet d’enseignement industriel (BEI), dont nous reparlerons plus tard.

Côté MAITRE / AYMONIER, j’ignore encore qui a obtenu son certificat d’études. Malgré mes recherches, je n’ai pas pu obtenir d’informations sur le parcours scolaire de Raymond MAITRE avant qu’il n’entre à l’Université de Besançon, mais on peut imaginer que son parcours à l’école primaire et au collège a pu être jalonné de quelques diplômes.
De même, je n’ai trouvé aucune trace dans les archives familiales sur l’obtention du CEPE pour Bernard MAÎTRE, mais il est fort probable qu’il l’ait aussi obtenu à l’institution Saint-Jean à Besançon où il a fait ses études primaires. Ce qui est sûr, c’est qu’en 1945 il a obtenu à l’âge de 16 ans le brevet de capacité pour l’enseignement primaire (Instituteurs – brevet élémentaire). Nous en reparlerons aussi plus tard.

Et histoire de terminer sur une note d’humour, voici quelques perles du certificat d’études :

  • Quand Louis XIV meurt en 1715, il quitte Versailles.
  • Un kilo de mercure pèse pratiquement une tonne …
  • La mortalité infantile était très élevée, sauf chez les vieillards…
  • l’allaitement mixte, c’est une fois le père et une fois la mère
  • l’eau potable, c’est celle qui n’a pas servi à faire la vaisselle.
  • Précautions à prendre pour réduire le nombre et la gravité des accidents de la circulation : ne pas dépasser le 90° pour les boissons, s’assurer qu’on ne dort pas avant de partir…

Pour aller plus loin :




Dans la famille MORIN/GICQUEL, je voudrais…

On connait tous le jeu des 7 familles qui consiste à réunir au terme d’une quête inlassable tous les membres d’une même famille, grand-père, grand-mère, père, mère, fille, fils, qui ont la bonne idée de porter le nom de l’endroit où ils passent leurs vacances : famille Alaplage, Deschamps ou Alaferme. Dans ce jeu, rien ne semble jamais aller de travers, on bénéficie d’une éternelle jeunesse, le contrôle des naissances est assuré (jamais plus de 2 enfants par famille), pas de fins de mois difficiles… et jamais personne ne meurt prématurément. L’épuisette sous le bras, ou le filet à papillons, étant sans doute les garants de cette longévité exceptionnelle.
Rien à voir avec la famille qui nous intéresse aujourd’hui, celle de notre ancêtre Louis Marie MORIN, né le 25 mars 1891.

Dans la famille MORIN, le père, Jean, a donc déjà 50 ans à la naissance de son fils Louis. Ne connaissant pas le secret de la longévité, il n’a pas d’épuisette sous le bras mais en sa qualité de cultivateur, il s’épuise bel et bien à la tâche pour tenter de nourrir sa famille. Il cumule les boulots pour joindre les deux bouts, puisqu’il est aussi dit débitant de boissons. Sa femme, Mathurine LECOUTURIER, a 42 ans et –ça elle ne le sait pas- elle n’en a plus pour très longtemps à vivre. Les grands-parents quant à eux sont morts depuis bien longtemps. Le dernier en date, c’était le père de Mathurine, laboureur, décédé à Ploeuc, Côtes d’Armor, il y a une bonne dizaine d’années. Comme on peut le voir, on part donc déjà avec un très mauvais jeu. Et ça n’est pas fini !

En lieu et place des deux enfants réglementaires, il y en a déjà 7 quand Louis voit le jour… Il est donc le 8ème. Avant lui : 2 très grandes sœurs avec lesquelles il a respectivement 19 et 17 ans de différence et à qui on a donné les mêmes prénoms : Françoise Marie. Du coup, la première sera dite « Marie », la deuxième « Anne Marie ».
Ensuite, vient Reine. Puis 2 garçons, Jean François et Pierre (11 et 8 ans de différence avec p’tit Louis). Et enfin, deux autres sœurs avec lesquelles Louis restera le plus proche, à savoir : Rose et enfin Joséphine, qui a seulement 3 ans d’écart avec Louis.
La maman des 8 enfants décède en janvier 1895. Louis n’a pas encore 4 ans. A cette époque, ses grandes sœurs ne sont déjà plus présentes pour prendre soin de lui (ou Louis, ça marche aussi), parties sur les routes comme marchande de chiffons ou placées comme domestiques dans une maison bourgeoise (cf précédent article sur l’émigration costarmoricaine).

D’ailleurs en 1895, la dite Anne Marie (2ème fille aînée) se marie avec un jeune du pays, Jacques COUVRAN qui est aussi marchand de chiffons. Un peu plus tard, ils s’installeront dans l’Eure et fabriqueront du calvados.
En 1896, c’est au tour de Marie (1ère fille) d’épouser Jean François MERCIER, débitant de boissons (décidément !)… Il sera très mobile, résidant entre autres en Normandie et en région parisienne. Il est probable que Marie l’ait suivi la plupart du temps. En revanche, leur premier fils, Joseph, est resté à Ploeuc sous la garde de son grand-père pendant les premières années de sa vie.
Par contre, le règne de Reine, 3ème fille, ne durera malheureusement pas longtemps : elle décède en 1897 à Selles, dans l’Eure (Normandie) où elle travaillait comme domestique. Elle a alors 19 ans.
En fait, le p’tit Louis et ses deux jeunes sœurs ont été élevés par une voisine qui habitait dans le même hameau (ou la même maison ?) que la famille MORIN au lieu-dit la Belle étoile à Ploeuc-sur-Lié.

Jean et Pierre, les frère aînés, avaient respectivement 15 et 12 ans quand leur mère est décédée. On peut imaginer qu’à cette période ils aidaient déjà leur père aux champs. Pas très longtemps pour Pierre, qui lui, décèdera en 1904 à 21 ans.
Rien ne va plus, faites vos jeux ! Vous avouerez qu’on a vu mieux comme mise de départ…

En 1905 –Louis est alors âgé de 14 ans-, Jean se marie avec Fleure LEBOULANGER, une fille du pays. Pourtant, leur mariage a lieu à Anizy-le-Château, dans l’Aisne, où Fleure est domestique. Dans l’acte de mariage, il est dit que Jean MORIN est aussi domestique non loin de là, à Pinon (Aisne). Cela signifie donc qu’il a quitté à son tour le foyer familial, où la vie devenait difficile. Par la suite, le couple s’installera à Envermeu, avec leur fils unique, nommé Jean lui aussi (une fille est décédée en bas âge).

Les interactions entre la famille de Jean MORIN et celle de Louis MORIN seront nombreuses : nos grands-parents recevront dans leur foyer entre 1936 et 1939 deux des fils de Jean MORIN Junior (neveu de Louis) durant la convalescence de son épouse. C’est aussi à Envermeu, chez le frère de Louis, que la famille MORIN / GICQUEL ira se réfugier au moment où la guerre de 39-40 l’oblige à fuir Loos-lez-Lille (cf 18 ans le bel âge ?). C’est enfin Jean junior (neveu de Louis), alors gendarme à Saint-Sever (Landes) qui accueillera la famille, enfin arrivée en zone libre, et qui facilitera son installation.

Mais revenons à notre jeu de famille : en 1911, Rose, sœur de Louis, convole en justes noces à Paris avec Emile CAUDRON, né à Boulogne-sur-Mer. Le couple restera en région parisienne et aura 3 enfants.
En 1912, Louis est en âge d’être incorporé non dans la préparation du gâteau, mais bien sous les drapeaux… C’est beaucoup moins drôle (cf Lui Louis notre poilu). Il y est encore quand la guerre éclate, et il en prend donc pour 4 années supplémentaires dont fort heureusement il sort, certes cabossé et taiseux, mais vivant. Il se marie en 1918 et part aussitôt s’installer avec son épouse dans le Nord.
Joséphine, sa sœur aînée la plus proche, prendra pied, ainsi que le voile, dans la congrégation des sœurs du Saint Esprit à Saint-Brieuc. Elle y gagnera le nom de Sœur Marie des Victoires, mais dans la famille, elle sera surtout connue comme la « tante d’Amérique » puisqu’elle passera 41 ans à Fairfield, dans le Connecticut.

Pour boucler la boucle, notons que Jean MORIN, le père de Louis, eut la mauvaise inspiration de mourir en avril 1914, au moment où il était vraisemblablement tout seul à Ploeuc car si on résume :

  • Une fille et un fils sont décédés à l’âge de 19 ans
  • 3 filles sont mariées et établies hors des Côtes d’Armor (Normandie et région parisienne)
  • Son fils aîné s’est aussi exilé d’abord dans le Nord, puis en Normandie
  • Louis est parti à la guerre ; quand il en est revenu il est parti s’installer avec sa famille dans le Nord
  • Une fille est devenue religieuse

Voilà pour notre jeu de 7 familles qui est bien loin d’évoquer la vie rêvée des membres de la famille Alaplage… mais qui ne dénote pas par rapport au funeste sort de beaucoup de familles de cette époque. Pour autant, la lignée MORIN a donné lieu à une nombreuse descendance qui n’a certainement pas fini de faire parler d’elle, même si à ma connaissance, ni Edgar, ni Hervé n’en font partie…

Ci-dessous quelques photos des frères et soeurs (identifiés pour l’heure) de Louis MORIN, avec de gauche à droite : Jean MORIN, Rose MORIN, Joséphine MORIN et Louis MORIN

Sur la photo de mariage de Louis et Jeanne (ci-dessous), on peut imaginer que d’autres soeurs y apparaissent dans la partie gauche (à droite du marié), mais pour le moment, je n’ai pas pu en tirer grand chose. Je fais appel aux physionomistes dans l’âme pour m’y aider…




A la recherche du temps perdu…

Une fois n’est pas coutume : j’ai décidé aujourd’hui de vous parler de moi. Et notamment de ma fâcheuse propension à perdre du temps dans des activités qui ne rapportent rien, n’intéressent personne et n’engendrent aucune forme de notoriété (si tant est que j’en revendique). Trier des vieux papiers, établir des inventaires à la Prévert, faire des recherches sur des personnes disparues, suivre des formations sur des sujets improbables, écrire sur tout et n’importe quoi… autant de marottes qui, aux yeux du commun des mortels, font perdre beaucoup de temps pour pas grand chose…

Pire ! je le sais et … je persévère pourtant dans cette perte sévère de temps…

Pourquoi ?

Parce qu’avec les années, j’en suis arrivée à constater que la perte de temps se mesure bien souvent de manière positive en somme de connaissances acquises.

Sentiment conforté par mon expérimentation toute récente autour d’une très bête opération de tri de fiches de recettes ayant appartenu à notre maman, Thérèse MORIN, qui possédait plus de 6000 fiches issues du magazine “Elle”. Un lot que j’ai récupéré au moment où nous avons vidé la maison de nos parents en 2014 et que je devais en toute logique détruire ou donner à Emmaüs rapidement, histoire de n’encombrer ni mon espace, ni mon emploi du temps. Mais comme on le sait, (pres)sentiments et logique ne font pas bon ménage. Je ne m’attarderai pas ici sur les raisons qui m’ont poussé à conserver pendant 7 ans ces fiches, pour finalement les trier, ni sur l’aspect technico-statistique de l’opération qui est décrit en détail sur mes carnets de recherche. Ce qui est intéressant, c’est ce que j’ai pu retenir de cette opération qui a quand même occupé 10 à 12 heures de mes vacances !

Le plus grand apport de ce type d’activité est sans conteste la reviviscence de souvenirs, qui aurait sans doute mérité d’être partagée avec d’autres membres de la famille : les moments où nous aidions tour à tour notre maman à classer et à catégoriser ses fiches (j’ai en effet retrouvé sur les étiquettes l’écriture de ma soeur, de mon frère et la mienne), les recettes que nous avons testées (en les confectionnant ou en les dégustant), etc. Je me suis souvenue aussi de cette façon si particulière qu’avait notre maman d’utiliser ses fiches recettes : ainsi, je ne l’ai jamais vue en suivre une à la lettre, ni même en garder une sous les yeux. C’était souvent en lisant son magazine qu’elle repérait une manière originale d’apprêter ou d’utiliser tel ou tel ingrédient et hop ! le lendemain, ou le WE suivant, le résultat -hautement comestible- se retrouvait dans notre assiette. Elle prenait des bouts d’idées par ci, par là, ajoutait de la poudre de perlinpimpin, quelques zestes de fantaisie, higitus figitus et… à la manière de Merlin l’Enchanteur, l’affaire était dans la casserole à une rapidité déconcertante.



En y repensant, je crois que sa parfaite maîtrise des techniques culinaires de base l’autorisait à utiliser ses fiches de recettes comme une formidable base de données venant enrichir ses connaissances.

L’autre apport de cette activité de tri réside dans une meilleure connaissance de la personnalité de Thérèse. Certes, il y avait toujours beaucoup de fantaisie et d’originalité dans sa manière de faire les repas (comme de les commencer par le dessert et finir par l’entrée), de composer les menus (sous forme d’énigmes ou de devinettes) et de disposer la table (en testant par exemple une à une toutes les pièces du chalet, à l’exception de la salle de bains et des WC). Mais je perçois aussi dans sa façon de classer ses recettes d’autres qualités insoupçonnées et moins visibles alliant minutie, rigueur et logique.

J’ai aussi admis qu’on ne pouvait pas TOUT garder et qu’il fallait privilégier avant tout les archives familiales, constituées des preuves de l’activité des personnes disparues. Les collections, en tant que telles, n’en font pas partie, mais comme elles sont souvent révélatrices de traits de personnalité de la personne qui l’a constituée, il s’avère tout à fait judicieux avant une éventuelle élimination d’établir une fiche descriptive de la collection (quantité, dates extrêmes, identité du collectionneur’ etc.), en adjoignant des photos et des commentaires personnels, comme ceux qui figurent ci-dessus. Ainsi, une trace de cette collection restera dans la mémoire familiale.

Donc, pour moi, le temps soi-disant perdu n’existe pas. Et en tout état de cause, je me refuse de juger de la pertinence d’une activité à l’aune du temps que je suis susceptible d’y passer, même si, je ne peux le cacher, la question existentielle du chat ne me laisse pas complètement indifférente…




Dans la famille MORIN-GICQUEL, je voudrais…

Et si je vous invitais à découvrir avec moi les cartes qui composent notre jeu des 7 familles ? En initiant ce blog, je n’avais pas l’intention de livrer des données généalogiques brutes de peur de perdre l’attention du lecteur. Néanmoins, à partir du moment où j’ai pu le reconstituer, il me semble important de parler du groupe familial qui a participé à la construction de la personnalité de nos ancêtres.

Nous commençons aujourd’hui avec la grand-mère… que nous connaissons déjà : Jeanne GICQUEL est l’épouse de Louis MORIN. Le couple a eu 3 enfants : Marie-Louise, Jean et … Thérèse, bien sûr !

Le père de la grand-mère : il s’appelle Mathurin, il est issu d’une famille de meuniers et il travaille au moulin de Cohorno à Plémy. Il a deux frères, l’un est aussi meunier et l’autre cultivateur ; les frères GICQUEL sont tous réunis dans le même hameau.

La mère de la grand-mère : Victorine AGAR est la dernière d’une famille de 12 enfants (!). Quelques uns de ses frères et soeurs se sont exilés à Paris pour trouver un travail mais elle, est restée au pays. Elle participe certainement activement au bon fonctionnement du moulin.

Ensemble, ils ont eu 8 enfants :





Mathurin était le meilleur ami de notre grand-père. Il est malheureusement mort à la guerre.

Victorine quand elle était jeune a aussi été placée comme gouvernante dans une famille d’industriels lillois, les DELCOURT. Elle y est restée 3 ans. Puis elle s’est mariée avec Jacques PELLAN, un garçon du pays qui était aussi son cousin éloigné. Le couple tenait un commerce de tissus dans la Manche. Ils n’ont pas eu d’enfants et sont revenus vivre à Moncontour au moment de la retraite.

Marie Sainte n°1 est décédée alors qu’elle n’avait que 3 ans.

Jeanne est donc la 4ème de la famille.

Pierre est resté au pays. Il était cultivateur et a épousé Angélique LENORMAND de Plémy également. En principe, leur mariage devait avoir lieu en même temps que celui de nos grands-parents, mais ce dernier a été retardé parce que notre grand-père était encore hospitalisé suite à une blessure de guerre. Pierre et Angélique ont eu 2 enfants.

Marie Sainte n° 2 était bonne du curé. Pour des raisons qui restent obscures, elle a été internée à l’hôpital psychiatrique de Bégard (Côtes d’Armor). Elle y est décédée à l’âge de 40 ans. Notre grand-mère n’en a jamais parlé…

Jacques est né en 1900, il a épousé une MORIN qui -a priori- n’a rien à voir avec ceux de notre famille. Ils ont eu une fille, Gisèle qui est la maman des 3 enfants BURLOT.

Virginie, la petite dernière, est restée longtemps célibataire. Au début de sa vie professionnelle, elle était employée de maison à Rambouillet. C’est elle qui s’est occupée de sa maman jusqu’à la fin de sa vie (1940). Elle a ensuite épousé Jean Baptiste GALLAY et ils ont eu 2 enfants.

On notera que seule Jeanne est partie définitivement des Côtes d’Armor. Dans sa famille, elle avait de ce fait un statut un peu particulier. D’après ce que m’a expliqué une des cousines de notre maman, les rares retours au pays de la famille MORIN-GICQUEL étaient très remarqués : les enfants MORIN impressionnaient par leur tenues toujours impeccables et leurs manières venant de la ville 🙂