En dents de scie

1919… une année qui sonne comme l’an neuf après une guerre meurtrière qui aura duré 4 ans et engendré en France près de 600’000 veuves et 986’000 orphelins. Elle, elle a 27 ans et le regard fier d’une qui ne s’en laissera plus conter, des cheveux noirs -avant qu’ils ne blanchissent prématurément- et le maintien d’une madone avec ce je ne sais quoi d’espagnol, dont l’origine n’a à ce jour pu être identifié généalogiquement parlant. Bon sang ne sachant mentir, ou alors très mal, je trouve également beaucoup de traits communs avec mes cousines et avec ma sœur…



Dans quelques mois, elle se marie et elle s’en réjouit… enfin, c’est ce que je crois. L’élu s’appelle Joseph Maximin REUDET, il a 33 ans et il vient de passer la bagatelle de 5 années sous les drapeaux, d’abord dans l’escadron du train des équipages militaires (1), puis dans l’aérostation (2), une demi-décennie qui s’est rajoutée à un service militaire préalable de 2 ans effectué entre 1907 et 1909… Autant dire qu’en dehors du service à la patrie, il n’a pas fait grand chose, mais au moins il en ressort vivant et entier, un luxe par les temps qui courent ! Qui plus est, avec une qualification de mécanicien qui lui sera bien utile pour la suite…

Il y a seulement 5 mois qu’il est démobilisé mais ce mariage ne peut attendre. Non, non, ça n’est pas ce que vous croyez : pas question de polichinelle dans le tiroir , ni de brioche dans le four, ni de moussaillon dans la cale ! C’est juste que le 16 août 1919, il y aura DEUX mariages pour le prix d’un ! Rose AYMONIER épousera Joseph REUDET, tandis que Maurice AYMONIER, le frère aîné, s’unira avec Cécile REUDET, soeur cadette de Joseph. Même si ce type de mariage croisé était assez fréquent (cela permettait notamment une moindre dissémination du patrimoine familial), l’évènement n’est certainement pas passé inaperçu dans un petit village comme Fertans (Doubs). La famille AYMONIER, qui comporte plusieurs branches, y est en effet implantée depuis des lustres. Stéphane, le père de Rose, y exploite une scierie qu’il a créée initialement avec son frère (mort en 1905). L’activité semble prospère et selon les recensements de population de l’époque, elle fait vivre pas mal de foyers dans le village.



Au moment du mariage, Maurice AYMONIER, le frère unique de Rose, travaille sans doute à la scierie avec son père car, ayant été exempté, il n’a pas participé à la guerre. En tout cas, il a aussi une qualification de mécanicien… Mais surtout, c’est un véritable Géo Trouvetou des temps anciens, toujours à l’affût d’une amélioration à apporter aux objets et outils de la vie quotidienne. Ainsi, entre 1955 et 1959, ce ne sont pas moins de 3 brevets qu’il déposera, dont un sur une machine à écorcer (3). Il ne faut alors pas chercher d’où venait chez notre papa cette inventivité exceptionnelle !

Les REUDET, Joseph et Cécile, font quant à eux partie d’une très grande famille de douze enfants qui réside non loin de Fertans. Le père est instituteur et tous les garçons ont eu une très bonne situation (l’un comme hôtelier-restaurateur renommé à Besançon, un autre, comme employé de commerce, un autre encore reçut la Légion d’Honneur et autres médailles pour sa participation à différents conflits). Et petit détail qui devrait nous interpeller : une des soeurs aînées de Joseph a épousé en 1908 un certain Marius MAÎTRE qui n’est autre que le petit cousin de Raymond.

Mais revenons à ce fameux double mariage. Impossible de savoir si celui-ci est placé sous le sceau d’un amour fou. Ce qui est certain, c’est que côté affaire, les choses se goupillent plutôt bien. Jugez-en plutôt par vous-même :

  • le 14 août 1919 (deux jours avant le mariage), selon un acte passé devant notaire, Rose et Maurice, qui ont respectivement 27 et 30 ans, deviennent propriétaires de la scierie de leur père, AYMONIER Stéphane. Celui-ci décédera d’ailleurs l’année d’après, le 27 octobre 1920
  • le 2 septembre 1919 (quelques semaines après le mariage), les deux couples forment une société en nom collectif ayant pour objet le commerce des bois et de la scierie, nommée AYMONIER-REUDET.



Résultat des opérations : les deux couples, et plus particulièrement, Maurice et Joseph, se retrouvent à la tête d’une affaire déjà bien implantée dans le village et qui ne demande qu’à fructifier. Après la guerre, les besoins en bois sont en effet très importants en France pour la reconstruction des voies de chemins de fer notamment. L’avenir se présente donc sous les meilleurs auspices…

Côté familial, des informations nous manquent pour décrire la vie des deux couples durant les cinq années qui ont suivi le mariage (4) et avant le drame qui a anéanti les deux familles , mais on peut s’appuyer sur le contexte de l’époque pour tenter de l’imaginer : nous sommes au début des années folles, période pendant laquelle la jeunesse enivrée d’espoir souhaite s’amuser, vivre et surtout oublier l’horreur de la guerre. C’est l’avènement du jazz, de la radio, du cinéma. En ville, c’est aussi l’occasion pour la femme de s’émanciper à travers la mode et de goûter à une certaine forme d’indépendance. On pense à Joséphine Baker, Coco Chanel, Louise Brooks… Et à leur pendant masculin, Fred Astaire et au personnage de fiction, Gatsby le magnifique

Certes, le phénomène se cantonne surtout dans la capitale, mais quand même la scierie des AYMONIER REUDET est grande, moderne et elle emploie plusieurs personnes. On peut légitimement penser que les deux couples possèdent une ou deux voitures personnelles, un patrimoine financier qui ne cesse de croître et un train de vie qui n’a pas grand chose à envier aux gens de la ville… Par ailleurs, Rose AYMONIER vient d’un milieu où la liberté individuelle n’est pas un vain mot : son père et au moins un de ses oncles adhéraient au parti radical socialiste (5). Et elle est une des premières femmes du canton à obtenir son permis de conduire. Malgré les nombreuses incertitudes qui subsistent, je n’hésite donc pas à affirmer que jusqu’en 1925, tout avait plutôt bien réussi à notre jeune Rose, bercée qu’elle était par le chant des scies-reines et par un petit vent de liberté qui n’était pas vraiment la norme pour les femmes vivant en province.

Et sans vouloir pousser mémé dans l’uchronie (6), je pense que si Joseph REUDET n’était pas mort accidentellement, la vie aurait continué de la même manière dans un confort prospère, avec, à la clef, une belle entente entre les deux couples, même si, pour une raison que j’ignore, Maurice s’est expatrié à Reims avec sa famille en 1922 tout en continuant à gérer la scierie avec son beau-frère… Ce dernier aurait veillé aux intérêts de l’entreprise familiale sur place, à Fertans, il en aurait peut être relancé une autre en bon industriel qu’il était. En plus de Louis (né en 1920) et Monique (1925), il y aurait peut être eu d’autres enfants mais certainement pas de Bernard, ni de François, ni de Michel… Et je ne serais donc pas là aujourd’hui pour vous en parler…

En lieu et place, il y eut donc ce drame d’un père et mari disparaissant dans la force de l’âge en 1925 et modifiant dans son sillage (ou sciage, c’est selon!) une bonne partie des destinées de ses proches. Pour Rose, commence alors une période en dents de scie : elle se retrouve seule à 34 ans, avec deux enfants dans les bras : Louis, 5 ans, et Monique qui naîtra 5 mois plus tard… avec la responsabilité partagée d’une affaire, qui reste encore à l’époque celle des hommes. Son père n’est plus là pour l’aider et Maurice vit à Reims. Sa mère a alors 65 ans. On n’a pas trop de mal à imaginer la détresse de Rose durant cette période et l’énergie qu’elle a dû déployer pour aller de l’avant, s’obligeant peut être déjà à se remettre à la couture, son premier métier. Sans doute a t’-elle bataillé ferme durant 3 ans pour garder son indépendance avant de “capituler” en acceptant en 1928 l’offre en mariage de Raymond MAÎTRE, notre grand-père, qui ne lui était pas inconnu (cf ci-dessus) : bien qu’unijambiste, ce dernier, alors Professeur de lettres à l’Institution Saint-Jean à Besançon, offrait stabilité et équilibre à notre Rose qui avait certes deux pieds sur terre, mais aussi la charge de deux enfants et d’une mère vieillissante.

Le mariage de Rose et Raymond aura donc lieu le 4 août 1928, marquant le début de l’histoire de notre père, de ses deux frères et de leurs lignées respectives, et sonnant la fin de celle que notre grand-mère aurait pu avoir avec son premier mari et dont la dernière page est définitivement tournée le 2 septembre 1929 avec la dissolution de la société en nom collectif qui avait été formée sous la raison « AYMONIER-REUDET ».

En guise d’épilogue : une fois n’est pas coutume, et parce que la rédaction de cette chronique m’a pris un temps anormalement long (mon logiciel indique… 51 révisions !!!), j’aimerais témoigner de mon état d’esprit au terme de l’exercice. Il s’est avéré en effet bien difficile de raconter un épisode de la vie d’une aïeule en ayant très peu d’informations à disposition, car en plus de trahir l’Histoire (la grande), on craint de trahir la personne elle-même. Pour autant et contre toute attente, grâce à ces questionnements et cogitations solitaires, j’ai l’impression d’avoir fait un grand pas vers une meilleure connaissance de Rose. A l’image d’une grand-mère qui, dans mon souvenir d’enfant, se montrait distante et peu démonstrative se substitue à présent celle de cette même personne, plus jeune, fauchée en pleine ascension par un drame qui a complètement modifié la trajectoire de sa destinée, et je me surprends à trouver des excuses à celle dont la mémoire familiale élargie retient un comportement peu avenant vis-à-vis de ses proches…

(1) L’aérostation étant « la technique qui permet le vol au sein de l’atmosphère terrestre en utilisant des engins plus légers que l’air ». Quand on parle de ballon dirigeable à des fins militaires, cela devient plus clair…
Impossible à ce stade de vérifier cette information ; il n’est même pas certain que le mariage ait eu lieu à l’église
(2) Ce train-là n’est pas celui qui siffle trois fois, mais c’est, en termes militaires, « l’arme qui organise et coordonne la logistique militaire, le transport du matériel, des munitions et du ravitaillement pour l’Armée de terre française » (source : Wikipédia)
(3) les 3 brevets de Maurice Aymonier : Machine perfectionnée à écorcer les bois le 14/09/1955 – Tête de travail perfectionnée pour machine à écorcer les bois le 03/07/1956 – élément profilé en bois à revêtement en matière plastique et son procédé de fabrication le 30/07/1959 (source : base INPI)
(4) de manière générale, j’ai très peu d’informations sur la branche des AYMONIER, encore moins sur celle des REUDET. J’ai pu reconstituer certaines périodes de la vie de ces ancêtres, notamment toutes les opérations et actes notariés liés à la scierie, grâce à des recherches dans la presse anciennes. L’achat de deux factures AYMONIER sur le site Delcampe me permettent aujourd’hui de présenter les logos successifs de leur entreprise. Mais pour le reste du récit, je suis réduite à avancer des hypothèses, avec tout ce que cela comporte comme risques d’erreur.
(5) L’idéal social des radicaux explique leur refus d’accepter l’idée selon laquelle la société française serait divisée en classes et, plus encore, la conception selon laquelle la lutte des classes serait, comme le pensent les marxistes, le moteur de l’histoire. Fondamentalement, ils restent fidèles à la manière dont Maujan définissait, dès le congrès de 1902, la position des radicaux en matière sociale : « Il n’est plus, politiquement parlant, de bourgeois et d’ouvriers, la Révolution et le suffrage universel ont fait de tous des citoyens et des électeurs, et notre doctrine qui vise la fusion des classes et non la division et la lutte des classes, est toute dans la pacification par les réformes : c’est une doctrine de fraternité et de solidarité sociale, car on ne fonde rien avec la haine ». Congrès de 1902 du parti républicain radical et radical-socialiste, p. 88. Source : Berstein, S. 2004. Chapitre 6. La nature du radicalisme dans la France de l’entre-deux-guerres. In Berstein, S., & Ruby, M. (Eds.), Un siècle de radicalisme. Villeneuve d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion.
(6) un récit uchronique consiste à proposer une histoire alternative à partir d’un évènement modifié du passé. Deux mots suffisent à en donner une idée : ET SI… (et si tel événement n’avait pas eu lieu, que se serait-il passé ?)… Ainsi, dans son livre Le maître du Haut-Château, publié en 1962, Philip K. Dick imagine un monde dans lequel l’Allemagne nazie, l’empire du Japon et l’Italie fasciste ont remporté la seconde guerre mondiale. Plus proche de nous, en 2001, Eric-Emmanuel Schmitt décrit dans La Part de l’autre ce qui serait advenu si Adolf Hitler n’avait pas été recalé à l’école des Beaux-arts de Vienne… 




Scripta manent…*

*verba volant, scripta manent… les paroles s’envolent, les écrits restent

Aujourd’hui, je veux vous parler d’écrits familiaux. Quésako ? Ce sont des archives familiales qui présentent la particularité d’être écrites de la mimine -délicate ou velue- de celui ou celle qui les a produites. Donc à titre d’exemple  :

  • des cahiers de recettes (où l’on trouvera suivant la région, celle de la soupe de gaudes, des pêts de nonnes ou du fion du Poiré),
  • des carnets savamment griffonnés et gribouillés de notes, réflexions, extraits, poésies, chansons et croquis, borborygmes en tout genre,
  • des journaux personnels (on les appelle aussi « intimes », une appellation que je trouve rarement adaptée, à moins d’y trouver les affres sentimentales dans lesquelles nous plongent un amour impossible…),
  • des journaux de voyage (voyage qui peut commencer au pas de sa porte, voire même dans sa chambre, comme au moment du confinement),
  • des listes (de films, de livres, d’amants, de destinations, de premières fois, etc.),
  • des cahiers d’écolier (notamment le si fameux cahier de récitations illustré de « jolis » dessins à la main ;-),
  • des courriers entre les membres d’une même famille, voire même une correspondance amoureuse complète, avec les lettres envoyées et celles reçues, si les auteurs ont fini par devenir nos parents…

A l’échelle d’une famille, cela peut représenter une somme importante de vieux papiers, qui ne méritent certes pas d’être tous conservés ad vitam aeternam, mais qu’il est important de feuilleter d’abord, puis d’identifier sous la forme d’un inventaire précis. Pourquoi ? Parce qu’aucune de ces productions manuscrites personnelles n’est dénuée d’intérêt, dans la mesure où elles reflètent un pan de la personnalité ou des centres d’intérêt de leur auteur. On a tendance à sous estimer la capacité de ces documents à nous en apprendre beaucoup sur nos parents ou nos grands-parents.

Prenons deux exemples :

Bernard Maître

Dès son plus jeune âge, Bernard consigne pas mal de choses dans des carnets : les paroles des chants qu’il apprend, les techniques du scoutisme (allumer un feu, faire des nœuds, etc.). A l’âge adulte, il garde toujours un carnet sur lui où il note ses réflexions du moment.

Carnets de Bernard Maître 1939 à 1958

Dans tous les carnets, l’écriture est petite, soignée et la mise en page est maîtrisée. On devine un tempérament calme et posé.
Mais le plus fascinant, ce sont les index et tables des matières qu’il dresse en fin de carnet qui dénote là un esprit rigoureux et méthodique.

Plus tard, il adoptera la même méthode pour ranger son matériel de bricolage : une boîte par item (écrou hexagonal M6 par exemple), un code alphanumérique par boîte et un index alphabétique détaillé qui sert d’outil de recherche… Pour ma part, j’adorais utiliser cet index et évoluer dans cet environnement classifié. C’est certainement là que ma vocation de documentaliste a pris naissance…

Jeanne Gicquel

Nous l’avons déjà évoqué : Jeanne écrit beaucoup… Plusieurs courriers partent chaque jour, à l’attention de sa fille, religieuse à Madagascar, de son autre fille, basée en Haute-Savoie avec sa famille, de son fils, prêtre à Montauban, puis à Bordeaux, de sa famille, restée en Bretagne, de ses amis du Nord, etc. Elle s’adonne à cette activité le matin, entre 7 et 10h, et en tout cas avant le passage du facteur à 11h. Non seulement, elle écrit énormément, mais aussi … de manière… hors NORME ! son écriture ample et généreuse remplit une page A4 en moins de deux (180 à 200 mots suffisent alors qu’avec une écriture classique, on en met facilement le double!)

Lettre de Jeanne GICQUEL (1ère page) – 1978

Or, cette écriture qui se moque de la mise en page et des conventions est révélatrice du tempérament de notre grand-mère, une femme certes très généreuse, mais aussi audacieuse et un brin fantaisiste.

Dans notre famille, nous avons donc hérité d’un grand nombre d’écrits personnels, émanant surtout de la branche maternelle. Plusieurs raisons à cela : tout d’abord, les membres de la famille GICQUEL / MORIN aimaient beaucoup écrire et, il faut l’admettre, ils le faisaient plutôt bien, chacun/e avec un style qui lui était propre. Ensuite, l’éclatement géographique de la famille a joué en faveur d’une correspondance soutenue. Enfin, le fait que deux enfants sur trois n’aient pas eu de descendance (et pour cause !) : à leur décès, l’ensemble de leurs papiers personnels sont donc revenus à la seule qui ne soit pas rentrée dans les ordres, en l’occurrence, notre maman…

Mais on peut s’en douter : ces papiers prennent de la place et les inventorier prend du temps… J’arrive au bout de cette opération. En voilà le résultat, avec ci-dessous la liste des archives manuscrites qui nous ont été léguées :

  • Journal de Jeanne GICQUEL (5 cahiers), écrit dans les années 1980, dans lequel elle raconte ses souvenirs d’enfance en Bretagne (vie quotidienne, sa famille, les fêtes, l’école, le mariage, etc.), puis leur vie de couple dans le Nord et enfin le temps de la retraite dans les Landes. Certains passages sont complétés par Jean MORIN, son fils.
  • Journal de Marie-Louise MORIN écrit en mai-juin 1940 au moment de l’évacuation dans lequel elle raconte l’exode de la famille parti de Lille pour rejoindre le sud-ouest de la France
  • Journal de Marie-Louise MORIN rédigé avant son entrée au couvent où elle fait part de sa vie quotidienne et de ses états d’âme
  • Journal de Jean MORIN (1 cahier), dans lequel il raconte les derniers moments de la vie de Jeanne GICQUEL et rapporte quelques souvenirs de la maison des Landes
  • Journal de Thérèse MORIN (4 feuillets recto-verso écrits un peu sous la torture, à la demande de sa fille 🙂 qui fait part de souvenirs de sa vie à Loos-lez-Lille
  • Lettres envoyées par Jeanne GICQUEL à ses 3 enfants, et inversement, soit : sa fille, Marie-Louise, vivant à Madagascar, Thérèse, et sa famille, en Haute-Savoie, et Jean, qui résidait durant un temps à Bordeaux.
  • Courriers échangés entre les frères et soeurs, Marie-Louise, Thérèse et Jean MORIN
  • Courriers échangés entre Bernard MAITRE et Thérèse MORIN entre le moment de leur première rencontre et leurs fiançailles, de 1957 à 1958. Cela représente environ 300 lettres qui décrivent leur quotidien, ainsi que leurs états d’âme, l’un habitant à Paris et l’autre à Tours. Nous en avons terminé la lecture avec ma sœur.
  • Courriers échangés entre Bernard MAITRE et Thérèse MORIN à l’occasion de voyages effectués par Bernard à Madagascar, respectivement en 1984 et 1987 (3 mois à chaque fois)
  • Cahiers de recettes de Jeanne et de Thérèse MORIN
  • Carnets de croquis de Thérèse MORIN sur les tenues vestimentaires créées pour ses enfants (robes, pantalons, etc.) et sur les décorations faites pour Noël (de 1960 à 2000) – cf article Les fêtes (partie I) : nos héros de Noël
  • Carnets de chants, de techniques scoutes, de réflexions de Bernard MAÎTRE (de 1939 à 1958)
  • Cahiers de cours de Bernard MAÎTRE (non inventoriés à ce jour)

Une fois cet inventaire terminé, il conviendra, selon les méthodes archivistiques, d’évaluer l’intérêt historique -ou plutôt généalogique- de chacun des documents, et de repérer ceux qui méritent d’être gardés en l’état (sous forme papier) et/ou valorisés (et de quelle manière ?) et ceux qui peuvent être éliminés. Un plan de conservation et de gestion de ces archives devra alors être établi, avec la production d’outils, de type index ou plans de classement (tiens, tiens, tiens…) pour en faciliter la recherche. Encore bien du travail sur la planche !




Parcours et trajectoires : le certif’

A l’heure où un certain nombre d’étudiants sont en train de s’arracher les cheveux sur leurs copies d’examen (ou peut être s’y préparent-ils d’arrache-pied, ce qui n’est pas beaucoup plus plaisant), me revoilà avec l’envie de vous parler aujourd’hui du parcours scolaire de nos ancêtres, et plus particulièrement du certificat d’études primaires, communément appelé « certif’ ».

Le certificat d’études primaires élémentaires (CEPE) était un diplôme sanctionnant la fin de l’enseignement primaire élémentaire en France (entre 11 et 14 ans) et attestant de l’acquisition des connaissances de base, ou plutôt qu’on considérait comme telles à l’époque : écriture, lecture, calcul mathématique, histoire-géographie, sciences appliquées.

Mis en place en 1866 pour créer une émulation entre les élèves et vaincre l’indifférence des parents vis-à-vis de l’école, cet examen a perduré sous cette forme jusqu’à la fin des années 50. Pendant longtemps, pour la majorité des lauréats, il a marqué la fin de l’instruction obligatoire et l’entrée dans la vie active. En 1972, le CEP ne s’adresse plus qu’aux adultes, mais ce n’est qu’en 1989 qu’il est définitivement supprimé.

Concernant cet examen, la mémoire retient surtout les cinq fautes éliminatoires à la dictée, certainement à l’origine de moultes échecs, et les problèmes tarabiscotés de trains qui se croisent ou de baignoires qui se vident…

Pour avoir une idée des épreuves du certif’, on pourra consulter le site de Samuel Huet cité en référence au bas de l’article.

Au début, le certificat d’études était « une affaire d’hommes », il apparaissait déjà comme un moyen d’accession de ceux-ci à des études poussées et à des positions plus élevées. Il faut attendre la période de la Première guerre mondiale et de ses séquelles (1916-1922) pour voir les filles être présentées à l’examen un peu plus souvent que les garçons.

La sélection était alors faite par les instituteurs et institutrices qui mettaient un point d’honneur à ne présenter au certificat d’études que les élèves ayant une forte chance de réussir.
Jusqu’en 1900, la proportion d’élèves sortant de l’école primaire avec le certificat d’études est d’environ 25 à 30 %. Cette proportion monte jusqu’à 35 % vers 1920 et atteint 50 % à la veille de la Seconde Guerre mondiale.

Il est donc assez inattendu que nos grands-parents maternels -qui pour rappel étaient respectivement fils de laboureur et fille de meunier dans les Côtes d’Armor- aient obtenu leur certificat d’études.

Louis MORIN a eu son certificat en 1904. Il avait 13 ans. Quand on connaît son histoire (orphelin de mère à 3 ans, élevé par une voisine, etc), on se dit qu’il a eu bien du mérite de l’obtenir. Pour plus de détails, relire : Dans la famille MORIN / GICQUEL, je voudrais…

1904 – Certificat d’études primaires de Louis MORIN obtenu dans les Côtes d’Armor (format 31×30 cm)

Pour l’avoir entendu en parler, je suis certaine que Jeanne GICQUEL a aussi obtenu son certificat d’études primaires, même s’il n’y en a aucune trace dans les archives familiales. Voilà cependant ce qu’elle disait des exploits scolaires de la famille dans son journal intime : « Nous restions à Saint Laurent jusqu’à dix ans. Après, à Ploeuc, où l’on préparait les certificats primaires et supérieurs. Depuis, je me suis rendue compte que la gentillesse et la fantaisie de Melle Guyomar avaient été valables, puisque tous, nous lui avons fait honneur en étant têtes de classe : mes deux aînés furent premiers du canton à tous les examens, et moi, comme Poulidor, deuxième ».

En 1933, c’est au tour de Marie-Louise, leur fille, d’obtenir son certificat d’études. Elle a alors 13 ans. Autre temps, autres mœurs : alors que celui de Louis MORIN correspondait plus ou moins à un A4, celui-ci en fait le double (58 cm x 45 cm) et il est cartonné, car destiné à être encadré et affiché au mur…

1933 – Certificat d’études primaires obtenu par Marie-Louise MORIN obtenu à Lille (59) – format 58×45 cm

Pas de trace de certificat pour Jean MORIN, le frère, mais comme il est entré à l’école apostolique à un âge précoce (11 ans) et qu’il a ensuite été jusqu’à la licence de théologie, on peut imaginer qu’il a brûlé les étapes.

En 1939, à la veille de la guerre, Thérèse, la benjamine, obtient elle aussi son certificat d’études. Doit-on à la désorganisation d’avant-guerre le fait que ce diplôme soit si mal renseigné  ? c’est possible…

1939 – Certificat d’études primaires obtenu par Thérèse MORIN à Lille (59) – format 58×45 cm

Il faut relever que Thérèse a obtenu son certificat à l’âge de 12 ans et que de 1940 à 1945, elle n’a pas été scolarisée (cf récit de l’exode de la famille MORIN du nord vers le sud-ouest). Il faut croire qu’elle avait de réelles prédispositions intellectuelles car cela ne l’a pas empêchée de poursuivre ses études après la guerre et d’obtenir en 1950 un Brevet d’enseignement industriel (BEI), dont nous reparlerons plus tard.

Côté MAITRE / AYMONIER, j’ignore encore qui a obtenu son certificat d’études. Malgré mes recherches, je n’ai pas pu obtenir d’informations sur le parcours scolaire de Raymond MAITRE avant qu’il n’entre à l’Université de Besançon, mais on peut imaginer que son parcours à l’école primaire et au collège a pu être jalonné de quelques diplômes.
De même, je n’ai trouvé aucune trace dans les archives familiales sur l’obtention du CEPE pour Bernard MAÎTRE, mais il est fort probable qu’il l’ait aussi obtenu à l’institution Saint-Jean à Besançon où il a fait ses études primaires. Ce qui est sûr, c’est qu’en 1945 il a obtenu à l’âge de 16 ans le brevet de capacité pour l’enseignement primaire (Instituteurs – brevet élémentaire). Nous en reparlerons aussi plus tard.

Et histoire de terminer sur une note d’humour, voici quelques perles du certificat d’études :

  • Quand Louis XIV meurt en 1715, il quitte Versailles.
  • Un kilo de mercure pèse pratiquement une tonne …
  • La mortalité infantile était très élevée, sauf chez les vieillards…
  • l’allaitement mixte, c’est une fois le père et une fois la mère
  • l’eau potable, c’est celle qui n’a pas servi à faire la vaisselle.
  • Précautions à prendre pour réduire le nombre et la gravité des accidents de la circulation : ne pas dépasser le 90° pour les boissons, s’assurer qu’on ne dort pas avant de partir…

Pour aller plus loin :




Dans la famille MORIN/GICQUEL, je voudrais…

On connait tous le jeu des 7 familles qui consiste à réunir au terme d’une quête inlassable tous les membres d’une même famille, grand-père, grand-mère, père, mère, fille, fils, qui ont la bonne idée de porter le nom de l’endroit où ils passent leurs vacances : famille Alaplage, Deschamps ou Alaferme. Dans ce jeu, rien ne semble jamais aller de travers, on bénéficie d’une éternelle jeunesse, le contrôle des naissances est assuré (jamais plus de 2 enfants par famille), pas de fins de mois difficiles… et jamais personne ne meurt prématurément. L’épuisette sous le bras, ou le filet à papillons, étant sans doute les garants de cette longévité exceptionnelle.
Rien à voir avec la famille qui nous intéresse aujourd’hui, celle de notre ancêtre Louis Marie MORIN, né le 25 mars 1891.

Dans la famille MORIN, le père, Jean, a donc déjà 50 ans à la naissance de son fils Louis. Ne connaissant pas le secret de la longévité, il n’a pas d’épuisette sous le bras mais en sa qualité de cultivateur, il s’épuise bel et bien à la tâche pour tenter de nourrir sa famille. Il cumule les boulots pour joindre les deux bouts, puisqu’il est aussi dit débitant de boissons. Sa femme, Mathurine LECOUTURIER, a 42 ans et –ça elle ne le sait pas- elle n’en a plus pour très longtemps à vivre. Les grands-parents quant à eux sont morts depuis bien longtemps. Le dernier en date, c’était le père de Mathurine, laboureur, décédé à Ploeuc, Côtes d’Armor, il y a une bonne dizaine d’années. Comme on peut le voir, on part donc déjà avec un très mauvais jeu. Et ça n’est pas fini !

En lieu et place des deux enfants réglementaires, il y en a déjà 7 quand Louis voit le jour… Il est donc le 8ème. Avant lui : 2 très grandes sœurs avec lesquelles il a respectivement 19 et 17 ans de différence et à qui on a donné les mêmes prénoms : Françoise Marie. Du coup, la première sera dite « Marie », la deuxième « Anne Marie ».
Ensuite, vient Reine. Puis 2 garçons, Jean François et Pierre (11 et 8 ans de différence avec p’tit Louis). Et enfin, deux autres sœurs avec lesquelles Louis restera le plus proche, à savoir : Rose et enfin Joséphine, qui a seulement 3 ans d’écart avec Louis.
La maman des 8 enfants décède en janvier 1895. Louis n’a pas encore 4 ans. A cette époque, ses grandes sœurs ne sont déjà plus présentes pour prendre soin de lui (ou Louis, ça marche aussi), parties sur les routes comme marchande de chiffons ou placées comme domestiques dans une maison bourgeoise (cf précédent article sur l’émigration costarmoricaine).

D’ailleurs en 1895, la dite Anne Marie (2ème fille aînée) se marie avec un jeune du pays, Jacques COUVRAN qui est aussi marchand de chiffons. Un peu plus tard, ils s’installeront dans l’Eure et fabriqueront du calvados.
En 1896, c’est au tour de Marie (1ère fille) d’épouser Jean François MERCIER, débitant de boissons (décidément !)… Il sera très mobile, résidant entre autres en Normandie et en région parisienne. Il est probable que Marie l’ait suivi la plupart du temps. En revanche, leur premier fils, Joseph, est resté à Ploeuc sous la garde de son grand-père pendant les premières années de sa vie.
Par contre, le règne de Reine, 3ème fille, ne durera malheureusement pas longtemps : elle décède en 1897 à Selles, dans l’Eure (Normandie) où elle travaillait comme domestique. Elle a alors 19 ans.
En fait, le p’tit Louis et ses deux jeunes sœurs ont été élevés par une voisine qui habitait dans le même hameau (ou la même maison ?) que la famille MORIN au lieu-dit la Belle étoile à Ploeuc-sur-Lié.

Jean et Pierre, les frère aînés, avaient respectivement 15 et 12 ans quand leur mère est décédée. On peut imaginer qu’à cette période ils aidaient déjà leur père aux champs. Pas très longtemps pour Pierre, qui lui, décèdera en 1904 à 21 ans.
Rien ne va plus, faites vos jeux ! Vous avouerez qu’on a vu mieux comme mise de départ…

En 1905 –Louis est alors âgé de 14 ans-, Jean se marie avec Fleure LEBOULANGER, une fille du pays. Pourtant, leur mariage a lieu à Anizy-le-Château, dans l’Aisne, où Fleure est domestique. Dans l’acte de mariage, il est dit que Jean MORIN est aussi domestique non loin de là, à Pinon (Aisne). Cela signifie donc qu’il a quitté à son tour le foyer familial, où la vie devenait difficile. Par la suite, le couple s’installera à Envermeu, avec leur fils unique, nommé Jean lui aussi (une fille est décédée en bas âge).

Les interactions entre la famille de Jean MORIN et celle de Louis MORIN seront nombreuses : nos grands-parents recevront dans leur foyer entre 1936 et 1939 deux des fils de Jean MORIN Junior (neveu de Louis) durant la convalescence de son épouse. C’est aussi à Envermeu, chez le frère de Louis, que la famille MORIN / GICQUEL ira se réfugier au moment où la guerre de 39-40 l’oblige à fuir Loos-lez-Lille (cf 18 ans le bel âge ?). C’est enfin Jean junior (neveu de Louis), alors gendarme à Saint-Sever (Landes) qui accueillera la famille, enfin arrivée en zone libre, et qui facilitera son installation.

Mais revenons à notre jeu de famille : en 1911, Rose, sœur de Louis, convole en justes noces à Paris avec Emile CAUDRON, né à Boulogne-sur-Mer. Le couple restera en région parisienne et aura 3 enfants.
En 1912, Louis est en âge d’être incorporé non dans la préparation du gâteau, mais bien sous les drapeaux… C’est beaucoup moins drôle (cf Lui Louis notre poilu). Il y est encore quand la guerre éclate, et il en prend donc pour 4 années supplémentaires dont fort heureusement il sort, certes cabossé et taiseux, mais vivant. Il se marie en 1918 et part aussitôt s’installer avec son épouse dans le Nord.
Joséphine, sa sœur aînée la plus proche, prendra pied, ainsi que le voile, dans la congrégation des sœurs du Saint Esprit à Saint-Brieuc. Elle y gagnera le nom de Sœur Marie des Victoires, mais dans la famille, elle sera surtout connue comme la « tante d’Amérique » puisqu’elle passera 41 ans à Fairfield, dans le Connecticut.

Pour boucler la boucle, notons que Jean MORIN, le père de Louis, eut la mauvaise inspiration de mourir en avril 1914, au moment où il était vraisemblablement tout seul à Ploeuc car si on résume :

  • Une fille et un fils sont décédés à l’âge de 19 ans
  • 3 filles sont mariées et établies hors des Côtes d’Armor (Normandie et région parisienne)
  • Son fils aîné s’est aussi exilé d’abord dans le Nord, puis en Normandie
  • Louis est parti à la guerre ; quand il en est revenu il est parti s’installer avec sa famille dans le Nord
  • Une fille est devenue religieuse

Voilà pour notre jeu de 7 familles qui est bien loin d’évoquer la vie rêvée des membres de la famille Alaplage… mais qui ne dénote pas par rapport au funeste sort de beaucoup de familles de cette époque. Pour autant, la lignée MORIN a donné lieu à une nombreuse descendance qui n’a certainement pas fini de faire parler d’elle, même si à ma connaissance, ni Edgar, ni Hervé n’en font partie…

Ci-dessous quelques photos des frères et soeurs (identifiés pour l’heure) de Louis MORIN, avec de gauche à droite : Jean MORIN, Rose MORIN, Joséphine MORIN et Louis MORIN

Sur la photo de mariage de Louis et Jeanne (ci-dessous), on peut imaginer que d’autres soeurs y apparaissent dans la partie gauche (à droite du marié), mais pour le moment, je n’ai pas pu en tirer grand chose. Je fais appel aux physionomistes dans l’âme pour m’y aider…




A la recherche du temps perdu…

Une fois n’est pas coutume : j’ai décidé aujourd’hui de vous parler de moi. Et notamment de ma fâcheuse propension à perdre du temps dans des activités qui ne rapportent rien, n’intéressent personne et n’engendrent aucune forme de notoriété (si tant est que j’en revendique). Trier des vieux papiers, établir des inventaires à la Prévert, faire des recherches sur des personnes disparues, suivre des formations sur des sujets improbables, écrire sur tout et n’importe quoi… autant de marottes qui, aux yeux du commun des mortels, font perdre beaucoup de temps pour pas grand chose…

Pire ! je le sais et … je persévère pourtant dans cette perte sévère de temps…

Pourquoi ?

Parce qu’avec les années, j’en suis arrivée à constater que la perte de temps se mesure bien souvent de manière positive en somme de connaissances acquises.

Sentiment conforté par mon expérimentation toute récente autour d’une très bête opération de tri de fiches de recettes ayant appartenu à notre maman, Thérèse MORIN, qui possédait plus de 6000 fiches issues du magazine “Elle”. Un lot que j’ai récupéré au moment où nous avons vidé la maison de nos parents en 2014 et que je devais en toute logique détruire ou donner à Emmaüs rapidement, histoire de n’encombrer ni mon espace, ni mon emploi du temps. Mais comme on le sait, (pres)sentiments et logique ne font pas bon ménage. Je ne m’attarderai pas ici sur les raisons qui m’ont poussé à conserver pendant 7 ans ces fiches, pour finalement les trier, ni sur l’aspect technico-statistique de l’opération qui est décrit en détail sur mes carnets de recherche. Ce qui est intéressant, c’est ce que j’ai pu retenir de cette opération qui a quand même occupé 10 à 12 heures de mes vacances !

Le plus grand apport de ce type d’activité est sans conteste la reviviscence de souvenirs, qui aurait sans doute mérité d’être partagée avec d’autres membres de la famille : les moments où nous aidions tour à tour notre maman à classer et à catégoriser ses fiches (j’ai en effet retrouvé sur les étiquettes l’écriture de ma soeur, de mon frère et la mienne), les recettes que nous avons testées (en les confectionnant ou en les dégustant), etc. Je me suis souvenue aussi de cette façon si particulière qu’avait notre maman d’utiliser ses fiches recettes : ainsi, je ne l’ai jamais vue en suivre une à la lettre, ni même en garder une sous les yeux. C’était souvent en lisant son magazine qu’elle repérait une manière originale d’apprêter ou d’utiliser tel ou tel ingrédient et hop ! le lendemain, ou le WE suivant, le résultat -hautement comestible- se retrouvait dans notre assiette. Elle prenait des bouts d’idées par ci, par là, ajoutait de la poudre de perlinpimpin, quelques zestes de fantaisie, higitus figitus et… à la manière de Merlin l’Enchanteur, l’affaire était dans la casserole à une rapidité déconcertante.



En y repensant, je crois que sa parfaite maîtrise des techniques culinaires de base l’autorisait à utiliser ses fiches de recettes comme une formidable base de données venant enrichir ses connaissances.

L’autre apport de cette activité de tri réside dans une meilleure connaissance de la personnalité de Thérèse. Certes, il y avait toujours beaucoup de fantaisie et d’originalité dans sa manière de faire les repas (comme de les commencer par le dessert et finir par l’entrée), de composer les menus (sous forme d’énigmes ou de devinettes) et de disposer la table (en testant par exemple une à une toutes les pièces du chalet, à l’exception de la salle de bains et des WC). Mais je perçois aussi dans sa façon de classer ses recettes d’autres qualités insoupçonnées et moins visibles alliant minutie, rigueur et logique.

J’ai aussi admis qu’on ne pouvait pas TOUT garder et qu’il fallait privilégier avant tout les archives familiales, constituées des preuves de l’activité des personnes disparues. Les collections, en tant que telles, n’en font pas partie, mais comme elles sont souvent révélatrices de traits de personnalité de la personne qui l’a constituée, il s’avère tout à fait judicieux avant une éventuelle élimination d’établir une fiche descriptive de la collection (quantité, dates extrêmes, identité du collectionneur’ etc.), en adjoignant des photos et des commentaires personnels, comme ceux qui figurent ci-dessus. Ainsi, une trace de cette collection restera dans la mémoire familiale.

Donc, pour moi, le temps soi-disant perdu n’existe pas. Et en tout état de cause, je me refuse de juger de la pertinence d’une activité à l’aune du temps que je suis susceptible d’y passer, même si, je ne peux le cacher, la question existentielle du chat ne me laisse pas complètement indifférente…




Dans la famille MORIN-GICQUEL, je voudrais…

Et si je vous invitais à découvrir avec moi les cartes qui composent notre jeu des 7 familles ? En initiant ce blog, je n’avais pas l’intention de livrer des données généalogiques brutes de peur de perdre l’attention du lecteur. Néanmoins, à partir du moment où j’ai pu le reconstituer, il me semble important de parler du groupe familial qui a participé à la construction de la personnalité de nos ancêtres.

Nous commençons aujourd’hui avec la grand-mère… que nous connaissons déjà : Jeanne GICQUEL est l’épouse de Louis MORIN. Le couple a eu 3 enfants : Marie-Louise, Jean et … Thérèse, bien sûr !

Le père de la grand-mère : il s’appelle Mathurin, il est issu d’une famille de meuniers et il travaille au moulin de Cohorno à Plémy. Il a deux frères, l’un est aussi meunier et l’autre cultivateur ; les frères GICQUEL sont tous réunis dans le même hameau.

La mère de la grand-mère : Victorine AGAR est la dernière d’une famille de 12 enfants (!). Quelques uns de ses frères et soeurs se sont exilés à Paris pour trouver un travail mais elle, est restée au pays. Elle participe certainement activement au bon fonctionnement du moulin.

Ensemble, ils ont eu 8 enfants :





Mathurin était le meilleur ami de notre grand-père. Il est malheureusement mort à la guerre.

Victorine quand elle était jeune a aussi été placée comme gouvernante dans une famille d’industriels lillois, les DELCOURT. Elle y est restée 3 ans. Puis elle s’est mariée avec Jacques PELLAN, un garçon du pays qui était aussi son cousin éloigné. Le couple tenait un commerce de tissus dans la Manche. Ils n’ont pas eu d’enfants et sont revenus vivre à Moncontour au moment de la retraite.

Marie Sainte n°1 est décédée alors qu’elle n’avait que 3 ans.

Jeanne est donc la 4ème de la famille.

Pierre est resté au pays. Il était cultivateur et a épousé Angélique LENORMAND de Plémy également. En principe, leur mariage devait avoir lieu en même temps que celui de nos grands-parents, mais ce dernier a été retardé parce que notre grand-père était encore hospitalisé suite à une blessure de guerre. Pierre et Angélique ont eu 2 enfants.

Marie Sainte n° 2 était bonne du curé. Pour des raisons qui restent obscures, elle a été internée à l’hôpital psychiatrique de Bégard (Côtes d’Armor). Elle y est décédée à l’âge de 40 ans. Notre grand-mère n’en a jamais parlé…

Jacques est né en 1900, il a épousé une MORIN qui -a priori- n’a rien à voir avec ceux de notre famille. Ils ont eu une fille, Gisèle qui est la maman des 3 enfants BURLOT.

Virginie, la petite dernière, est restée longtemps célibataire. Au début de sa vie professionnelle, elle était employée de maison à Rambouillet. C’est elle qui s’est occupée de sa maman jusqu’à la fin de sa vie (1940). Elle a ensuite épousé Jean Baptiste GALLAY et ils ont eu 2 enfants.

On notera que seule Jeanne est partie définitivement des Côtes d’Armor. Dans sa famille, elle avait de ce fait un statut un peu particulier. D’après ce que m’a expliqué une des cousines de notre maman, les rares retours au pays de la famille MORIN-GICQUEL étaient très remarqués : les enfants MORIN impressionnaient par leur tenues toujours impeccables et leurs manières venant de la ville 🙂




Liens familiaux d’hier et d’aujourd’hui

Nous avons parlé du début de vie pas très engageant qu’a connu notre grand-père, Raymond MAÎTRE. Petit rappel des faits : son père décède alors qu’il n’a que 9 ans. Il perd également un à un tous ses frères et soeurs (au nombre de 7). Quand son dernier frère aîné meurt -vraisemblablement de tuberculose-, Raymond n’a que 17 ans.. Il est censé reprendre le rôle d’homme de la famille auprès de sa mère et de sa grand-mère… sauf qu’il est lourdement handicapé. En mars 1921, alors qu’il s’apprête à 28 ans à s’inscrire à la Faculté des Lettres de Besançon, sa grand-mère maternelle, Philomène MAÎTRE, s’éteint à l’âge de 82 ans, très vite suivie par sa fille, Julie MARTINEZ -la mère de Raymond- le 24 décembre 1921. Drôle de cadeau de Noël pour notre jeune ancêtre qui cette fois se retrouve vraiment “seul, sans personne au monde… pour la vie… esseulé seul et solitaire”… ce qui, vous en conviendrez, fait “beaucoup de solitude”.

En général, dans ces moments-là il y a toujours une tante, un oncle, des cousins, de la famille proche sur laquelle on peut s’appuyer. Sauf que Raymond n’a ni cousins, ni oncles, ni tantes encore vivants… Vous y croyez vous à une telle poisse ?

En effet, du côté de sa maman, Julie MARTINEZ, c’est vite plié : elle est la seule survivante de sa génération, sa soeur aînée et son frère cadet n’ayant pas atteint l’âge de deux mois. Et le père de Julie est décédé deux ans après sa naissance. Seule Philomène, comme on l’a vu plus haut, bat des records de longévité. Un fait suffisamment rare dans cette famille, pour être relevé une 2ème fois !

Aldegrin MAÎTRE, père de Raymond, a eu quant à lui deux frères : l’un est décédé à l’âge de 13 ans. Le deuxième, Joseph Amand, a bien eu une vie jusqu’à 71 ans…. mais pas la meilleure qui soit. En tout cas, il n’a eu aucune descendance connue et, vu la vie qu’il a menée, il n’avait certainement ni l’esprit, ni le goût de s’occuper d’un quelconque neveu -pour autant qu’il en ait connu l’existence. Nous aurons l’occasion de nous attarder dans un prochain article sur ce grand-oncle peu recommandable.

Donc manifestement pas de parents proches pour Raymond. Pourtant, la mémoire familiale retient côté MAÎTRE de source sûre plusieurs “cousins” : les LAFON, les CHARIGNY, Riquet MAÎTRE, Bernard ANTOINE. Mais alors qui sont-ils ? des usurpateurs ? des placebo ? Eh bien non, pas du tout ! ils étaient bel et bien des cousins de Raymond, mais des cousins comme on n’en connait plus, soit : au 2ème ou au 3ème degré. Autrement dit, ils avaient en commun des arrière ou des arrière-arrière-grands-parents (AGP / AGM ; AAGP / AAGM). Encore fallait-il le savoir ! Mais à l’époque, on le savait : chacun avait en effet son arbre généalogique en tête et la mémoire de celui-ci se transmettait de génération en génération.

Ainsi, Raymond connaissait très bien ses cousins issus de germains, ou issus d’issus de germains (sic!) et inversement. Il a notamment entretenu durant toute sa vie des liens étroits avec les descendants de la branche François Auguste MAÎTRE / Jeanne Françoise MAÎTRE avec lesquels il partageait les mêmes AGP/AGM.

On compte parmi ces descendants la cousine Modeste Marie Eugénie Joséphine… dite Monique SIBILLE (1899-1987), qui s’est mariée avec Pierre Marcel LAFON et s’est installée à Paris. Ainsi dénommés “les cousins LAFON” mais sans enfants, ils semblent avoir joué un rôle important dans la vie non seulement de Raymond, mais aussi de son épouse, puis de leurs enfants (en tout cas de celle de Bernard, notre père).

De cette même branche, Raymond avait aussi un cousin au second degré nommé Claude Eugène Marius MAÎTRE (1872-1939), qui épousa une Marie Jeanne REUDET (1878-1939) qui, elle, n’était autre que la soeur du premier mari de notre grand-mère. Le couple MAÎTRE / REUDET a eu 4 enfants, dont 2 sont restés proches de Raymond et de sa famille : il s’agit de Marie Antoinette MAÎTRE (1909-1977) qui a épousé un certain André CHARIGNY (1902-2000), peintre bien connu en Franche-Comté. Et son frère, Henri dit Riquet MAÎTRE qui habitait aussi Besançon (25).

Tout porte à penser qu’il est resté également proche de la famille de son parrain et de sa marraine, les GEILLON (Lucien) de Brainans (39), dont les descendants étaient basés plutôt du côté de Poligny. Lucien GEILLON et Raymond avait un couple d’arrières-grands-parents en commun,

Il y avait aussi Bernard ANTOINE (1905-1972), gendarme, qui était lié à Raymond du 3ème au 4ème degré, ce qui veut dire que bien qu’étant sensiblement du même âge ils avaient une génération de différence. Preuve en est de leur attachement : c’est Bernard ANTOINE de Brainans (39) qui fut parrain du premier enfant de Raymond -notre père- et qui lui donna son prénom ainsi que son “patronyme” en 2ème prénom, soit : Bernard Antoine MAÎTRE.

Cette énumération n’est pas exhaustive et Raymond a certainement bénéficié d’autres soutiens familiaux, notamment lors du décès de son père, puis de son frère, soutiens que je n’ai pour l’instant pas réussi à identifier.

Il n’empêche. à ce stade de mes découvertes et au moment d’en faire la synthèse, je ne peux m’empêcher de m’interroger sur ce qu’aurait été le destin de notre grand-père s’il n’avait pas pu compter sur ces nombreux lointains cousins et cousines. Sans eux, aurait-il eu le courage d’aller de l’avant ? ne se serait-il pas découragé vu les obstacles qui ont jalonné sa route ?

Alors bien sûr, comme on a l’habitude de dire: avec des si on mettrait Paris en bouteille, mais quand même ! Je me dis que cette famille certes lointaine, néanmoins bien identifiée et présente, jouait le rôle d’un 2ème matelas de sécurité en cas de coups durs…. Si ce n’est dans les faits, au moins dans le sentiment que Raymond pouvait éprouver d’être malgré tout entouré et protégé. Ce qui, psychologiquement, on le sait, fait toute la différence.

Autre temps, autres moeurs : aujourd’hui, nous serions bien empruntés si nous devions compter sur des cousins dont nous ne connaissons même plus l’existence. Qui en effet (en dehors de toute démarche généalogique volontaire) est encore capable de citer ses cousins au second ou au troisième degré ? Si l’on maintient encore un lien avec les cousins/cousines directs, il est rare que celui-ci perdure à la génération suivante.

Car la famille aujourd’hui se construit autrement, autour des parents et collatéraux proches, voire de noyaux de familles recomposées, mais aussi autour des amis, des voisins de longue date. Les liens ainsi tissés n’en sont pas moins forts, ni moins solidaires. Et on est entouré d’une pluralité de personnes étrangères à la famille, mais qui sont souvent plus proches que des cousins/cousines.

Alors… est-ce mieux ? est-ce moins bien ? je ne sais pas… et sans doute que cela n’a pas beaucoup d’importance du moment que les relations sont vraies et sincères et qu’elles peuvent être activées en cas de besoin.. Mais je me fais juste la réflexion que contrairement aux liens familiaux, les liens amicaux eux ne se transmettent pas d’une génération à l’autre et qu’ils ne nous ancrent pas non plus dans une histoire et une mémoire communes qui perdurerait au fil du temps…

Et la question que je me pose est la suivante : n’aurions-nous pas perdu là un fil essentiel qui risque de nous faire défaut à un moment ou à un autre ?

MAITRE Raymond né en 1893 à Brainans (39), dcd en 1957, fils de Aldegrin et de MARTINEZ Julie – Conjoint : AYMONIER Rose, 3 enfants (+2 d’un premier mariage de Rose)




Les fêtes (partie II) : nos héros de Noël

C’est une machine. Une machine à fabriquer des rêves et des étoiles dans les yeux, des cocottes en toile cirée et des fleurs en gobelets, des distributeurs de radis et des arbres à homards,

C’est une machine qui fabrique aussi des souvenirs et qui les met en réserve pour plus tard… Mais ça, nul ne le sait encore… Nul ne sait que le moment venu, le temps fera ce qu’il a toujours su faire : prendre les rêves, les étoiles, les souvenirs, et bien d’autres choses, et les enchevêtrer pour les placer dans une mémoire familiale commune…

C’est une machine qui reprend du service avec l’arrivée des petits-enfants, Elle est diablement efficace dans son fonctionnement et délicieusement non lucrative dans ses résultats, le retour sur investissement se mesurant au nombre des “ho!” et “ha!” exprimés et au volume de paillettes dans les yeux des enfants,

Mais on le sait bien : une machine ne saurait fonctionner sans ses opérateurs. Dans ce cas précis, ce sont même ces derniers –dotés chacun de leur personnalité propre et travaillant ensemble pour le bien commun–  qui sont les garants de la réussite de l’entreprise.  Car ces deux-là sont complémentaires jusqu’au bout des orteils. Chacun sait ce qu’il a à faire et dans quel pré (pas vraiment) carré il va pouvoir tirer le meilleur de lui-même, et de l’autre : à elle, l’élégance, le raffinement, la fantaisie ; à lui, l’inventivité, le pragmatisme et le gros oeuvre. Ils ont expérimenté avec succès cette complicité créative pour le plus grand bonheur de leurs enfants (cf partie I), ils la réactiveront à l’identique pour les petits-enfants. 

C’est donc elle qui, à l’approche de Noël, mais pas trop à l’avance non plus,  appuie subrepticement sur le bouton «marche» en avançant quelques idées : une ambiance, un thème, une couleur, une matière, ou juste un petit détail, la touche d’élégance qui fera toute la différence… Lui, toujours à l’affût de nouveaux challenges inventifs, commence alors à imaginer des échafaudages, des mouvements,  des mécanismes hautement improbables… relevant d’emblée le défi non exprimé du : cap’ ? ou pas cap’ ?…

A cette étape, vu de l’extérieur, le processus est encore complètement opaque. Ni les enfants, encore moins les petits-enfants,  ne sont mis dans le secret des d(i)eux. On sent pourtant que quelque chose se passe à l’intérieur du Mini-Chalet, comme un bruissement d’ailes, un fourmillement inhabituel, une effervescence de connivences…

Ce qui est certain c’est qu’à partir de là,  chacun cogite dans son coin. Quelques jours plus tard, ils  se retrouvent autour de la machine ; le prototype obtenu est disséqué, revisité et affiné, à la lumière des nouvelles représentations que chacun s’en fait : j’ai pensé que… on pourrait faire ceci… avec une mise en abîme entre ce qu’elle aimerait obtenir et ce qui lui est techniquement possible de faire. Cela passe par des croquis, des mesures, des tests…

On rabote, on sifflote, on combine, on peaufine, on bichonne, on chantonne, on jubile, on rempile, souvent tard dans la nuit, sans jamais une pointe de lassitude ni d’énervement. La machine fume, bouillonne, cliquette, foufoudindonne, cacatoème…  accueillant avec un cliquetis de plaisir le moindre grain de fantaisie qu’on veut bien lui glisser dans le mécanisme. L’objectif poursuivi est de surprendre et de ravir toujours un peu plus enfants et petits-enfants.

Et le résultat est toujours au rendez-vous car en plus d’une imagination débordante, ces deux-là ont de l’or dans les mains et sont pleins de ressources, transformant des citrouilles en carrosse et sortant de leurs besaces, à grand renfort de Supercalifragilisticexpialidocious des objets improbables qui seront aussitôt détournés de leur usage initial.

C’est ainsi que durant 20 ans les noëls familiaux ont fait l’objet de performances scénographiques époustouflantes,  sans qu’aucun sapin ni bonhomme rouge n’y soient jamais conviés !

La preuve en images…

MAITRE Bernard né en 1929 à Besançon (25), dcd en 2014 , fils de Raymond et de AYMONIER Rose et MORIN Thérèse née en 1927 à Lille (59), dcd en 2009, fille de Louis et de GICQUEL Jeanne – 3 enfants

D’autres pistes aux étoiles :

  • à voir : “Mes héros“, film d’Eric Besnard (2012), avec Clovis Cornillac, Josiane Balasko, Gérard Jugnot
  • à lire : En attendant Bojangles / Olivier Bourdeaut – éd. Gallimard



Les fêtes (partie I) : nos héros de Noël

Nous sommes en 1960. Depuis quelques mois, ils sont à nouveau des heureux parents ; c’est le premier Noël qu’ils préparent avec la conscience d’être une famille.

Au risque de me tromper, je peux imaginer qu’ils se sont maintes fois interrogés, sur le sens qu’ils veulent donner à cette fête, qui est, pour eux, avant tout religieuse. Ainsi que sur les valeurs qu’ils souhaitent transmettre de manière générale à leurs enfants. En revanche -là encore, au risque de me tromper-, je n’arrive pas à imaginer que la teneur de leurs réflexions soit complètement dissociée de leur foi chrétienne.

En 1960, Noël est en train de muter et de devenir ce qu’on connait trop bien actuellement : une grande fête de famille, associée à une opération commerciale très rentable. Les cadeaux aux enfants se sont généralisés, le Père Noël fait son entrée dans les magasins et dans les foyers pour recueillir les souhaits de ces mêmes enfants qui, pour le coup, deviennent le centre des préoccupations selon le modèle américain. On ne peut plus échapper au sapin décoré de guirlandes et de boules. Le repas de Noël devient également très normé et copieux : dinde ou chapon, saumon, bûche. On est loin de l’orange, seul cadeau offert aux enfants, comme symbole de lumière et d’opulence ! 

Il n’y a pas si longtemps, en 1951, l’église a même tenté en vain de résister à cette perte de sens en brûlant l’effigie du Père Noël devant le parvis de la cathédrale de Dijon et en dénonçant « le mensonge [qui] ne peut éveiller le sentiment religieux chez l’enfant et n’est en aucune façon une méthode d’éducation ». L’ethnologue Claude Lévi-Strauss, alors directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études y trouve d’ailleurs l’occasion d’observer la croissance subite d’un rite.

Pour revenir à nos deux tourtereaux, il ne faut pas oublier qu’ils sont catholiques, pratiquants convaincus et engagés dans des mouvements chrétiens (groupes de réflexion notamment). Pour autant, ils  vivent leur foi de manière intelligente, ouverte et responsable. Et c’est justement –à mon avis- ce qui les poussent à résister à la pression, qu’ils perçoivent plus économique que sociale. Même si on ne peut éluder le fait que tout au long de leur vie, ils n’ont jamais vraiment agi ni pensé « comme tout le monde » et qu’une grande place a été laissée à la fantaisie et à l’inattendu. On parlerait de nos jours d’une faculté à penser « hors de la boîte » J.

Ainsi,  pour ce Noël 1960 –comme pour tous les autres à venir-, il n’y aura ni bonhomme rouge, ni sapin,  ni repas « traditionnel ».

Mais de la magie, oui ! de la fantaisie oui ! du renouvellement permanent,  oui, 1000 fois oui !!!

Mon frère, ma sœur et moi-même n’avons donc jamais eu à croire –puis à ne plus croire- au Père Noël   puisqu’il n’a jamais eu droit de cité dans la famille. Il n’était ni rejeté, ni diabolisé. Il était juste ignoré. Il existait bel et bien pour les autres, pas pour nous.

Pour autant, les cadeaux empruntaient toujours des circuits très mystérieux pour arriver jusqu’à nous. Ils n’étaient pas donnés de la main à la main, ils apparaissaient comme par magie aux endroits et moments où on les attendait le moins.

Pas de sapin non plus à la maison, mais des décors et des costumes dignes de Roger Harth et Donald Cardwell (une référence à l’émission « Au théâtre ce soir » que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître). Une féérie toujours renouvelée, des décorations raffinées,  toujours préparées en secret et que nous découvrions à un moment donné, moment qui était lui aussi minutieusement choisi. Rien n’était laissé au hasard en terme d’effet surprise !  Nous avons ainsi eu droit à des pistes aux étoiles, des Noëls citrouilles, un « sapin » fabriqué avec de vieux skis, etc.

Voici quelques exemples de décorations imaginées et mises en œuvre par nos parents dans les années 1960, pendant que nous dormions :

Source : photos famille

Pour ce qui est de repas, jamais de dinde aux marrons (il a fallu attendre l’âge adulte pour voir à quoi cela ressemblait, et vouloir l’oublier tout aussi vite !). Dans ce domaine aussi, le renouvellement était permanent, ainsi que la fantaisie… A Noël (comme à tout autre moment de l’année), on pouvait tout aussi bien manger des frites (faites maison et dans un cornet comme dans le Nord !), que des crêpes. Ou bien faire un repas à l’envers, à savoir : commencer par le dessert et finir par l’entrée. Ou encore : installer la table dans chacune des pièces de la maison (sauf dans les WC !). Ou encore : changer de place à chaque plat, etc.

A côté de cela, jusqu’à notre adolescence, la prière était de mise, ainsi que la messe du soir, du lendemain ou de minuit, selon la programmation du moment… Ajoutant d’ailleurs un peu d’inhabituel et de magie à l’évènement (même si parfois cela pouvait paraître long et barbant !).

Il y avait vraiment un mélange des genres, une vision moderne de la vie et de l’éducation qui cohabitait avec un attachement sincère à des valeurs religieuses familiales. En y repensant, je crois vraiment qu’au départ le choix de nos parents de ne pas donner crédit aux symboles classiques de Noël était motivé par la manière dont ils voulaient vivre leur foi avec leurs enfants. Mais je crois aussi qu’ils se sont laissés prendre à leur propre jeu, chacun trouvant sa place dans un rôle qui lui allait à merveille : elle comme créatrice-modiste, lui comme inventeur-bricoleur de l’impossible. Et enfin, en tant que couple, comme super-parents, puis super-grands-parents (comme nous le verrons dans la 2ème partie) faisant d’eux nos héros de Noël

MAITRE Bernard né en 1929 à Besançon (25), dcd en 2014 , fils de Raymond et de AYMONIER Rose et MORIN Thérèse née en 1927 à Lille (59), dcd en 2009, fille de Louis et de GICQUEL Jeanne – 3 enfants




18 ans… le bel âge ?

Elle a 18 ans, le bel âge, dit-on… C’est une adolescente, vivante, joyeuse, impliquée… Ce 18 mai 1940, avec sa maman,  elle fait un dernier tour de la maison. Le reste de la famille, son frère, 17 ans, sa sœur, 12 ans, et son père sont déjà en bas, avec les valises. Elle voudrait retenir la course du temps, avoir encore quelques heures pour s’imprégner du souvenir des instants d’exception vécus dans cette maison. Les parties de cache-cache avec les petits, les conciliabules secrets avec son amie Jacqueline GUILBERT,  les repas pris en famille dans le grand salon… Elle sait, elle sent déjà que rien ne sera plus comme avant.  Tout est allé trop vite en quelques mois. Elle jette un ultime regard sur tous les chers objets qui composent sa chambre, témoins de ses premières déceptions comme de ses premières espérances… C’est là aussi qu’elle a décidé la veille de commencer un journal intime qui la suivra dans ce périple singulier les menant, elle et sa famille, du nord au sud-ouest de la France… 



MORIN Marie-Louise, née en 1920 à Loos-lez-Lille (59), dcd en 2016 à Madagascar, fille de Louis (GPM) et de GICQUEL Jeanne (GMM) – pas de conjoint

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