La pêche aux souvenirs et ses bienfaits

L’avez-vous remarqué ? Quand il n’est pas ailleurs, notre esprit peut se révéler farceur et pas toujours à l’écoute de nos priorités, ni du programme que l’on pu se fixer… Ainsi, le mien aime particulièrement s’adonner à la pêche… la pêche aux souvenirs s’entend ! A la faveur d’un détail désespérément insignifiant et au moment le plus inopportun pour moi, le voilà qui commence à hameçonner mon attention et à l’attirer sournoisement vers la berge des souvenirs… Le parcours n’a rien de linéaire, l’attention ayant la fâcheuse habitude de sauter du coq à l’âne, en l’occurrence, du saumon à la grenouille, de disparaître dans des trous de mémoire ou encore de se réfugier dans la volupté d’un souvenir d’enfance, pour rejaillir l’instant d’après dans un geyser de réminiscences. Un processus qui, en onomatopées, donne à peu près cela : oh bah ? ha ? hum hum ! ha ha ! zip ! plouf ! hop ! et re-hop ! plouf gloup ! glou glou glou ! hummmm ! waouh ! flatsch flatsch flatsch ! yeah ! Car oui, il me faut le préciser : pour moi, cette opération se termine toujours bien, avec de belles prises à la clé.

Aujourd’hui, je vous propose de revenir sur une de mes récentes expériences de pêche aux souvenirs, avec l’espoir que cela vous donne envie de vous y essayer à votre tour. Mais pour ce faire, reprenons la chronologie onomatopéienne :

Le oh bah ? qui marque le début du processus, concerne la découverte d’une signature de notre grand-mère au bas d’une lettre qu’elle écrivait en 1980 : JLM pour Jeanne Louis MORIN. Si son prénom et son nom d’épouse étaient respectivement Jeanne et MORIN, pourquoi avoir intercalé les initiales du prénom de notre grand-père, Louis, décédé en 1973 ?

ha ? hum hum ! Voilà qui est étrange… peut être un cas isolé ? eh bien non : après le décès de son mari, Jeanne signait toutes ses lettres -et Dieu sait qu’elles furent nombreuses!- de la même manière… Mais tout bien réfléchi, cela me rappelle quelque chose… voyons, voyons…

ha ha !, mais oui, il me semble bien que notre grand-mère a toujours affirmé que son “p’tit Lou” continuait à l’accompagner dans les moindres gestes du quotidien ; elle s’adressait d’ailleurs régulièrement à lui sans que cette étrangeté ne remette en question sa santé mentale aux yeux de son entourage.

et zip !, à la faveur de cette évocation, me voilà embarquée au pays de notre enfance (commune à mon frère et à ma soeur) ! La glissade pour y arriver est jubilatoire, le parcours se révélant délicieusement familier, empreint d’odeurs de vacances et de promesses de fulgurances. Sous-bois verdoyants, sols ocrés, chemins profonds, bourdonnante obscurité, temps joliment inconsistant, exaltations partagées, instants d’exception…

plouf ! Je plonge avec délectation dans un lac de souvenirs, vaporeux par endroit, lumineux ailleurs, mais jamais limpide. On est quand même à 50 ans de profondeur, il ne faut pas l’oublier ! Quelques visages se dessinent, des regards, des gestes, des bruits… Le fil est à ma portée, je n’ai plus qu’à le tirer… mais ce faisant…

hop ! me voilà happée par le souvenir de l’Amour qui unissait mes grands-parents : fondé sur une admiration et un respect mutuels, c’était un Amour assez exceptionnel. Il y avait peu de paroles, l’essentiel passait dans les regards, l’attention à l’autre et les gestes tendres. Je dois le dire : je n’ai jamais plus croisé ailleurs une telle entente implicite.

et re-hop ! un souvenir en appelant un autre, il me revient de manière assez précise en mémoire l’image de Jeanne, à la fois épouse, mère et grand-mère, maîtresse de maison, cuisinière généreuse et tricoteuse hors pair, veillant au bien être de tous et chacun, sans jamais paraître ni soumise, ni inconsistante, ni aigrie. Elle avait une vraie personnalité, ainsi qu’une vraie présence aux autres. Et, qualité assez rare, mais ô combien précieuse : elle savait écouter.

Louis, quant à lui, était un taiseux. Comme le sont ceux qui ont vécu des choses qui ne peuvent pas ou plus être mis en mots. Sa présence était donc silencieuse, mais toute aussi authentique et bienveillante. Même si, je dois le dire, un simple regard de sa part suffisait à stopper une parole ou un comportement déplacés. Il passait du temps dans son jardin, bricolait un peu, lisait des journaux et -souvenir olfactif ô combien prégnant!- il fumait la pipe.

Mais, plouf gloup ! force m’est de constater que le concernant, beaucoup de souvenirs sont flous. Il est décédé en 1973, à 82 ans, j’avais alors 11 ans. Tout ce que je peux dire, c’est que je ressentais une connexion assez forte avec lui, qui est de l’ordre de ce qu’on appellerait aujourd’hui une proximité émotionnelle. Et glou glou glou ! c’est à ce moment précis que mon petit inconscient me dit qu’il faut revenir à la surface, sous peine de sombrer dans un mélo sans nom. J’entame donc la remontée, mais…

C’est sans compter sur le Hummm de la fin, puisque me voilà en train de me remémorer quelques chouettes moments qui ont marqué l’enfant que j’étais : l’observation des étoiles avec notre père, tous allongés dans l’herbe, les balades en toute liberté sans la présence d’un adulte, la légèreté de tous les instants et l’humour qui régnaient dans cette maison, les soirées feu de camp organisées à l’improviste, les baignades quotidiennes dans l’Adour, la fabrication d’un bateau…

Et là, waouh ! flatsch flatsch flatsch ! yeah ! à force de me triturer la cervelle, c’est une myriade de souvenirs qui jaillissent à la manière d’un bouquet final. Les fougères, le soleil après la pluie, l’odeur du pot-au-feu ou de la garbure, le caquètement des poules, un béret, des voix familières et bienveillantes, les farces de potache, les parties de crapette et de scrabble, Q dans l’O, la messe à domicile… Et j’en passe, de manière d’autant plus expéditive dans cette chronique que ces souvenirs ne font du bien qu’à celui ou celle qui les a vécus…

Certes. Mais au delà du fait de raconter encore un peu de la vie de Jeanne et Louis (dont nous avons quelques photos ci-dessous), le message que je voulais faire passer est le suivant : il ne faut pas hésiter à revisiter le pays de notre enfance, de peur de se laisser happer par la tristesse et les regrets. Croyez-moi, c’est tout le contraire : cela fait un bien fou ! Des études très sérieuses ont montré que, loin d’être un ressenti négatif, la nostalgie a des bienfaits insoupçonnés sur notre équilibre personnel. Elle permettrait de donner un sens à sa vie et à se sentir moins seul. Rien de moins !

Alors, qu’est qu’on attend pour retomber tous en enfance ? Je vous le demande !




On ne choisit pas sa famille (3)

On termine cette série de mise en lumière des “stars” issues de nos lignées respectives, avec la branche des MORIN/GICQUEL de Bretagne, qui comporte un peu plus de personnalités (re)connues du côté MORIN que GICQUEL. Parmi elles, on trouve deux sportifs, un célèbre journaliste-rédacteur en chef, un général français qui a reçu un hommage de la nation aux Invalides en 2023 et enfin, un poilu dont les seuls mérites et malheurs posthumes furent d’être présent au mauvais endroit, mais au bon moment…

Branche MORIN/GICQUEL

Auguste Joseph RENAULT (1897-1918)

Pour la famille MORIN, je commence par un cousinage éminemment significatif. Je pense même que cette information va changer la vie d’un grand nombre d’entre nous. Voilà : nous cousinons avec… le dernier soldat français mort lors de la Première Guerre mondiale ! Notez bien que je n’ai rien contre ce pauvre jeune homme qui a perdu la vie sur le champ de bataille, mais j’essaie de comprendre comment interpréter cette donnée… le dernier, tiens donc ! Alors comment décompte t’on les 500 000 soldats morts après 1918 des suites de blessures reçues ou de maladies contractées pendant la guerre, dont on n’a pas retenu les noms ? Les 500 000 plus que derniers ? ou les 500 000 moins que rien ? Et comment s’appelait le 3ème, le 532 015ème, le 786 234ème ou le 1 497 000ème soldat français mort quelques années, quelques mois ou quelques minutes avant le pauvre Auguste RENAULT qui, à tout prendre, aurait certainement préféré être le dernier vivant plutôt que mort ? Le pire, c’est que sur ce funeste podium, notre Auguste s’est fait voler la vedette pendant plusieurs années par un lozérien, Augustin TREBUCHON, dont le nom apparait dans tous les livres d’histoire. C’est seulement en 2017 qu’on rendra à Auguste RENAULT ce qui lui appartient : une mort à 10h58, soit 3 minutes après TREBUCHON et 13 minutes avant le cessez-le-feu décidé par l’armistice du 11 novembre 1918… Ah mais ! quand même !

En conclusion, je ne peux résister à l’envie de vous livrer cette petite anecdote, qui vient conforter finalement l’utilité des statistiques : l’histoire retient que le premier mort au combat de la Grande Guerre s’appelait PEUGEOT (Jules-André) et le dernier, RENAULT (Auguste).

Hubert BEUVE-MÉRY (1902-1989)

Fils d’Hubert (horloger-bijoutier) et de Joséphine TANGUY, couturière, Hubert fils est né à Paris le 5 janvier 1902. Après un doctorat en droit, il est nommé directeur de la section juridique et économique à l’Institut français de Prague en 1928. Il est chargé de cours à l’École des hautes études commerciales de Prague, et également de conférences à l’Institut de droit comparé de l’université de Paris. Hubert Beuve-Méry est, par ailleurs, correspondant de plusieurs quotidiens parisiens, dont Le Temps à partir de 1935. Pendant la guerre, il entre en résistance et il est lieutenant aux Forces françaises de l’intérieur (FFI). En octobre 1944, il est rédacteur en chef de l’hebdomadaire Temps présent, puis, à la demande du général de Gaulle, il est l’un des fondateurs du Monde dont le premier numéro paraît le 19 décembre 1944. Il fonde également Le Monde Diplomatique en 1954. C’est à l’occasion des vingt-cinq ans du Monde qu’il prend sa retraite en 1969. Il a également été membre du conseil d’administration de l’Agence France-Presse (AFP) et de celui de l’Institut Pasteur. Journaliste, c’est souvent, sous le pseudonyme de “Sirius”, qu’il signa de très nombreux articles et éditoriaux. Il décède en 1989.

Quels liens de parenté ?

C’est par la lignée de la mère d’Hubert B-M que nous sommes “cousins”. En prenant comme point de départ notre grand-père, Louis MORIN : son arrière-arrière-arrière-grand-père, Jean François CHOUPAULT, était le frère de l’arrière-arrière-arrière-arrière-grand-père d’Hubert, qui s’appelait Sabin CHOUPAULT (1691-1763) et était des environs de Ploeuc-sur-Lié (22)

Jean-Louis GEORGELIN (1948-2023)

Jean-Louis GEORGELIN, né le 10 août 1948 à Montauban, est un général français. Il a été chef d’état-major des armées de 2006 à 2010 sous les présidences de Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande. En 2019, il a été chargé par le président Emmanuel Macron de superviser la reconstruction de la cathédrale Notre-Dame de Paris après l’incendie. Jean-Louis GEORGELIN meurt le 18 août 2023 d’une chute en montagne, au cours d’une randonnée au sommet du mont Valier, en Ariège. Sa carrière militaire est notable, et son engagement dans la préservation du patrimoine est également remarquable. Le 25 août 2023, un hommage national lui est porté aux Invalides, présidé par le président de la République.

Quels liens de parenté ?

En prenant comme point de départ notre grand-père, Louis MORIN : son arrière-arrière-grand-mère, Françoise PERRIN, était la soeur de la 7x arrière-grand-mère de Jean-Louis, Marie PERRIN. Une parenté assez lointaine, qui explique que nous n’ayons pas été invités à assister à ses prestigieuses obsèques…

Lucien RAULT (1936- )

Champion breton d’athlétisme et de cross-country de renommée internationale, Lucien RAULT naît à Plouguenast en 1936. Fils de paysans, onzième d’une fratrie de quinze enfants, il a dix ans lorsqu’il participe à ses premières courses dans les fêtes de village du Centre Bretagne, pieds nus et en culottes courtes. Il remporte le titre de champion de Bretagne de cross-country en 1961, à 25 ans, qu’il conservera 15 ans. Pendant 35 ans, Lucien collectionne titres, sélections en équipe de France et même records. Huit fois champion interrégional de cross-country, trois fois champion de France en individuel (sur 10 000 m en 1973 et 20 km en 1973 et 1974), champion du monde de cross country avec l’équipe de France, recordman de France de l’heure et des 20 km en 1973, recordman du monde des vétérans sur 5 000 et 10 000 m en 1976…

Quels liens de parenté ?

Il s’agit de la même lignée que Jean-Louis GEORGELIN, en remontant pareillement jusqu’à Françoise et Marie PERRIN.

Pour la lignée MORIN, je rajoute un cousinage probable, ou du moins des liens proches, avec Amateur Jérôme Le Bras des Forges de Boishardy, 1762-1795, qui s’est fait connaître comme chef des chouans dans la région de Lamballe (22) et dont la tête, après sa mort par décapitation, a été promenée au bout d’une pique dans Lamballe et Moncontour.

De la lignée GICQUEL, on extrait pour l’heure un seul cousin :

Philippe CATTIAU (1892-1962)

Philippe Cattiau, né le 28 juillet 1892 à Saint-Malo et mort le 18 février 1962 dans la même ville, est un ancien escrimeur français. Membre de l’équipe de France d’épée et de fleuret, il est trois fois champion olympique pour un total de huit médailles, ce qui en fait un des athlètes les plus titrés d’avant-guerre, et le plus médaillé du sport français à égalité avec Roger Ducret. Il est également à plusieurs reprises champion du monde. Il fait partie de la liste des sportifs français nommés « Gloire du sport ».

Quels liens de parenté ?

En prenant comme point de départ notre grand-mère, Jeanne GICQUEL : sa 4x arrière-grand-mère, Jacquette LE NOUVEL, née en 1655, était la soeur de la 6x arrière-grand-mère de Philippe CATTIAU, Michelle LE NOUVEL.

Dans cette lignée, je cherche encore les liens familiaux qui doivent unir les GICQUEL de Plémy avec Gilbert DU MOTIER DE LA FAYETTE (1757-1834), Général et homme politique français, plus communément désigné comme le Marquis de LA FAYETTE. Et également avec Pierre Guillaume GICQUEL DES TOUCHES (1770-1824), officier de marine français.




Ces listes qui subsistent…

Ce sont des listes… des listes écrites à la main, sur une feuille de papier quadrillé jauni par le temps, un autre temps… La première énumère le contenu de deux malles : un manteau ratine, des combinaisons en soie, des culottes en coton, de la laine à tricoter, des cuillères en argent, des livres de messe reliés en cuir, un capuchon imperméable… Charme d’une mode délicieusement surannée et d’une époque où chaque chose avait son utilité… La deuxième décrit des meubles et objets répartis dans les pièces d’une habitation qu’on imagine grande et emplie de vie : une véranda, 2 étages, 4 chambres, 5 lits, des livres de classe et de bibliothèque, une machine à coudre, des tableaux. On pressent des rires d’enfants et des courses poursuites dans l’escalier, des repas familiaux enjoués et des couverts se rajoutant au gré de visites impromptues.

Très bien, mais… cela ne nous dit pas ce que ces deux vieux papiers font dans les archives familiales. Et quel intérêt de les conserver aussi longtemps ? car rien de plus banal, ni de plus volatile qu’une liste de nos jours. A l’image de celle où l’on consigne les -bien nommées- courses, où l’on note les choses urgentes et/ou importantes à faire, fort inopportunément appelée « tout doux » liste en comparaison du sentiment de culpabilité qu’elle engendre. Ou encore celle de titres de livres qu’on espère lire (un jour), de voyages que l’on voudrait faire (bientôt), des rêves les plus fous que l’on taira (à jamais)… Car les listes font partie des innombrables béquilles de notre époque, censées venir en aide à nos cerveaux encombrés et “réduire le stress de nos vies” (ha bon?)… Et là, à cet instant précis, l’image du laissez-passer A-38, de la circulaire B65, et du formulaire jaune, guichet 7, cinquième étage, escalier K, couloir W s’impose à mon esprit (12 Travaux d’Astérix)… Allez savoir pourquoi…

Mais trêve de considérations de comptoir de bas étage… regardons de plus près nos deux listes, qui, on l’aura compris, n’ont rien à voir avec les artefacts de notre société, décrits ci-dessus…

Le fait que ces listes aient traversé les âges, soigneusement rangées avec d’autres archives, laisse déjà penser qu’elles revêtent une certaine importance pour l’histoire familiale. De plus, l’écriture est soignée (c’est celle de Louis MORIN, notre grand-père maternel), les deux inventaires sont précis. Il ne s’agit pas de listes écrites en vitesse, sur un bout de table. Enfin, et surtout, une note manuscrite en haut à gauche de la première liste doit retenir notre attention :

Un dossier établi et remis juste après la guerre par la famille MORIN-GICQUEL après son retour à Loos… Voilà qui sent la demande de réparation…
De fait, la confirmation se trouve dans une autre archive familiale, en l’occurrence un avis d’attribution d’indemnités -ci-dessous :

Ce bout de papier auquel sont agrafés 3 justificatifs de dépôt de bagages permet de reconstituer la chronologie des évènements, que je choisis de vous présenter à mon tour comme une pièce en trois actes, en assumant pleinement la subjectivité qui s’en dégage :

Premier acte

Le rideau se lève le 17 mai 1940 sur une famille en proie au plus terrible dilemme : les allemands progressent au nord de la France ; à une centaine de kilomètres de là, la ville d’Avesnes a été bombardée. Faut-il attendre encore ? ou fuir vers l’inconnu ? Dans ce 1er acte, il faut imaginer les parents, Louis et Jeanne, qui ont déjà connu la guerre, et quelle guerre ! (pour rappel, Louis fut rescapé des batailles de la Somme et de Verdun) et qui ont à présent la charge d’une famille, 3 enfants, âgés de 13, 15 et 20 ans. Il faut essayer de mesurer ce qui préside à leur décision de quitter leur environnement familier dès le lendemain pour se réfugier à Envermeu, chez un frère de Louis. Même si on soupçonne qu’il s’agit d’un instinct de survie. A ce moment là, sans doute espèrent ils que leur absence sera de courte durée et qu’ils reviendront vite. Pour autant, il faut se les représenter la veille de ce départ pour le moins précipité brûler les quelques centaines de lettres d’amour échangées avant leur mariage durant “l’autre” guerre. Et il faut aussi se figurer leur état d’esprit quand il a fallu choisir les affaires qui trouveront place dans les malles. Des produits de première nécessité, certes, mais aussi des choses qui ont un peu de valeur, sentimentales surtout, financières aussi, en pensant prioritairement aux enfants. Raison pour laquelle les lettres n’ont sans doute pas été conservées. Mais comment fait-on pour trier les choses importantes de sa vie en si peu de temps et dans un tel climat d’indécision ? Une question qui reste pour moi en suspens. Les 3 vélos qu’ils possèdent feront aussi partie du voyage, non parce qu’ils y sont particulièrement attachés mais parce que s’il faut aller vers l’inconnu, autant être le plus autonome possible…

Il faut ensuite suivre cette famille cherchant un moyen pour se rendre à Envermeu en gare de Loos ou de Lille, parmi une foule compacte et dans un chaos indescriptible. On monte dans un train qui ne part pas, on en emprunte un autre qui fait quelques kilomètres, puis s’arrête. Il faut parfois descendre pour faire plusieurs dizaines de kilomètres à pied sous les bombardements pour rattraper un autre train. Dans ces conditions, il faudra 4 jours à la famille MORIN GICQUEL pour rejoindre Envermeu, à seulement 250 kilomètres de là. C’est sans doute à ce moment que l’absence des deux malles et des 3 vélos est constatée… Fin du 1er acte, qui donne corps à la 1ère liste… Mais avant que le rideau tombe, on peut s’interroger sur ce qui reste comme affaires à cette famille dont le périple est pourtant loin d’être terminé… (destination finale : les Landes, en zone libre)… une ou deux valises de vêtements, tout au plus ?

Second acte

Septembre 1945 : après 5 ans passés dans les Landes à vivre sans doute très modestement, du produit des champs, de la générosité des habitants et peut être d’une petite pension d’ancien combattant de Louis, seuls 3 des membres de la famille prennent le chemin du retour. Jean est en effet entré au Grand Séminaire à Dax et Marie-Louise, la grande soeur, a décidé d’entrer dans les ordres. Pour elle, ça sera Bordeaux. Il faut donc s’imprégner de l’image des deux parents et de la jeune Thérèse, âgée alors de 17 ans, au moment du retour, partagés entre la joie de revenir chez eux et la tristesse de se séparer du reste de la famille et des amis landais. Il faut les imaginer arriver dans le nord, et retrouver une ville dévastée par les bombardements, qui n’a plus rien à voir avec celle qu’ils ont connue. Il faut surtout se représenter leur détresse en découvrant que leur maison a été occupée et en partie pillée durant leur absence… Le pourcentage de sinistre sera évalué par le Ministère de la Reconstruction à 45 %, ce qui n’est pas rien… Voilà pour le second acte, le rideau tombe sur une situation pas joyeuse, joyeuse, et le lien avec la 2ème liste est établi…

Dernier acte

Fin 1945-début 1946 : pour prétendre à une indemnité, certainement bienvenue en ces temps d’après-guerre, on a dit à la famille MORIN qu’il fallait des inventaires précis, d’une part du contenu des malles égarées, d’autre part de l’état de la maison au moment de leur départ. Prenons donc encore un moment pour “guigner” par dessus les épaules de Louis et Jeanne en train de dresser ces fameuses listes… Ecoutons-les évoquer ensemble ces épisodes douloureux qu’ils préfèreraient pourtant oublier, rectifier des souvenirs, pinailler sur des détails qui pour eux n’ont plus vraiment d’importance… le mal étant fait, comme on dit. Mais voilà, la boucle est bouclée, il ne restera plus qu’à attendre la décision du Ministère de la reconstruction… qui met quand même un an pour arriver ! L’histoire ne dit pas si l’allocation pour les pertes en cours de transport a été versée rapidement, mais en ce qui concerne le sinistre à 45 % constaté sur le logement, la “Décision portant évaluation définitive d’indemnité” porte la date du 17 mars… 1956, soit 10 ans après la demande ! (archive à l’appui). Autant dire qu’il ne fallait pas compter là-dessus pour se reconstruire, si tant est que cela fût possible…

S’il faut une morale à cette histoire , c’est que nous ne mesurons pas assez la chance que nous avons de pouvoir griffonner de manière insouciante des listes de livres à lire, de courses ou de choses à faire. Ni celle d’évoluer à peu près librement sans entendre au loin les bruits inquiétants de la guerre. Merci donc aux listes qui subsistent de nous le rappeler !




Scripta manent…*

*verba volant, scripta manent… les paroles s’envolent, les écrits restent

Aujourd’hui, je veux vous parler d’écrits familiaux. Quésako ? Ce sont des archives familiales qui présentent la particularité d’être écrites de la mimine -délicate ou velue- de celui ou celle qui les a produites. Donc à titre d’exemple  :

  • des cahiers de recettes (où l’on trouvera suivant la région, celle de la soupe de gaudes, des pêts de nonnes ou du fion du Poiré),
  • des carnets savamment griffonnés et gribouillés de notes, réflexions, extraits, poésies, chansons et croquis, borborygmes en tout genre,
  • des journaux personnels (on les appelle aussi « intimes », une appellation que je trouve rarement adaptée, à moins d’y trouver les affres sentimentales dans lesquelles nous plongent un amour impossible…),
  • des journaux de voyage (voyage qui peut commencer au pas de sa porte, voire même dans sa chambre, comme au moment du confinement),
  • des listes (de films, de livres, d’amants, de destinations, de premières fois, etc.),
  • des cahiers d’écolier (notamment le si fameux cahier de récitations illustré de « jolis » dessins à la main ;-),
  • des courriers entre les membres d’une même famille, voire même une correspondance amoureuse complète, avec les lettres envoyées et celles reçues, si les auteurs ont fini par devenir nos parents…

A l’échelle d’une famille, cela peut représenter une somme importante de vieux papiers, qui ne méritent certes pas d’être tous conservés ad vitam aeternam, mais qu’il est important de feuilleter d’abord, puis d’identifier sous la forme d’un inventaire précis. Pourquoi ? Parce qu’aucune de ces productions manuscrites personnelles n’est dénuée d’intérêt, dans la mesure où elles reflètent un pan de la personnalité ou des centres d’intérêt de leur auteur. On a tendance à sous estimer la capacité de ces documents à nous en apprendre beaucoup sur nos parents ou nos grands-parents.

Prenons deux exemples :

Bernard Maître

Dès son plus jeune âge, Bernard consigne pas mal de choses dans des carnets : les paroles des chants qu’il apprend, les techniques du scoutisme (allumer un feu, faire des nœuds, etc.). A l’âge adulte, il garde toujours un carnet sur lui où il note ses réflexions du moment.

Carnets de Bernard Maître 1939 à 1958

Dans tous les carnets, l’écriture est petite, soignée et la mise en page est maîtrisée. On devine un tempérament calme et posé.
Mais le plus fascinant, ce sont les index et tables des matières qu’il dresse en fin de carnet qui dénote là un esprit rigoureux et méthodique.

Plus tard, il adoptera la même méthode pour ranger son matériel de bricolage : une boîte par item (écrou hexagonal M6 par exemple), un code alphanumérique par boîte et un index alphabétique détaillé qui sert d’outil de recherche… Pour ma part, j’adorais utiliser cet index et évoluer dans cet environnement classifié. C’est certainement là que ma vocation de documentaliste a pris naissance…

Jeanne Gicquel

Nous l’avons déjà évoqué : Jeanne écrit beaucoup… Plusieurs courriers partent chaque jour, à l’attention de sa fille, religieuse à Madagascar, de son autre fille, basée en Haute-Savoie avec sa famille, de son fils, prêtre à Montauban, puis à Bordeaux, de sa famille, restée en Bretagne, de ses amis du Nord, etc. Elle s’adonne à cette activité le matin, entre 7 et 10h, et en tout cas avant le passage du facteur à 11h. Non seulement, elle écrit énormément, mais aussi … de manière… hors NORME ! son écriture ample et généreuse remplit une page A4 en moins de deux (180 à 200 mots suffisent alors qu’avec une écriture classique, on en met facilement le double!)

Lettre de Jeanne GICQUEL (1ère page) – 1978

Or, cette écriture qui se moque de la mise en page et des conventions est révélatrice du tempérament de notre grand-mère, une femme certes très généreuse, mais aussi audacieuse et un brin fantaisiste.

Dans notre famille, nous avons donc hérité d’un grand nombre d’écrits personnels, émanant surtout de la branche maternelle. Plusieurs raisons à cela : tout d’abord, les membres de la famille GICQUEL / MORIN aimaient beaucoup écrire et, il faut l’admettre, ils le faisaient plutôt bien, chacun/e avec un style qui lui était propre. Ensuite, l’éclatement géographique de la famille a joué en faveur d’une correspondance soutenue. Enfin, le fait que deux enfants sur trois n’aient pas eu de descendance (et pour cause !) : à leur décès, l’ensemble de leurs papiers personnels sont donc revenus à la seule qui ne soit pas rentrée dans les ordres, en l’occurrence, notre maman…

Mais on peut s’en douter : ces papiers prennent de la place et les inventorier prend du temps… J’arrive au bout de cette opération. En voilà le résultat, avec ci-dessous la liste des archives manuscrites qui nous ont été léguées :

  • Journal de Jeanne GICQUEL (5 cahiers), écrit dans les années 1980, dans lequel elle raconte ses souvenirs d’enfance en Bretagne (vie quotidienne, sa famille, les fêtes, l’école, le mariage, etc.), puis leur vie de couple dans le Nord et enfin le temps de la retraite dans les Landes. Certains passages sont complétés par Jean MORIN, son fils.
  • Journal de Marie-Louise MORIN écrit en mai-juin 1940 au moment de l’évacuation dans lequel elle raconte l’exode de la famille parti de Lille pour rejoindre le sud-ouest de la France
  • Journal de Marie-Louise MORIN rédigé avant son entrée au couvent où elle fait part de sa vie quotidienne et de ses états d’âme
  • Journal de Jean MORIN (1 cahier), dans lequel il raconte les derniers moments de la vie de Jeanne GICQUEL et rapporte quelques souvenirs de la maison des Landes
  • Journal de Thérèse MORIN (4 feuillets recto-verso écrits un peu sous la torture, à la demande de sa fille 🙂 qui fait part de souvenirs de sa vie à Loos-lez-Lille
  • Lettres envoyées par Jeanne GICQUEL à ses 3 enfants, et inversement, soit : sa fille, Marie-Louise, vivant à Madagascar, Thérèse, et sa famille, en Haute-Savoie, et Jean, qui résidait durant un temps à Bordeaux.
  • Courriers échangés entre les frères et soeurs, Marie-Louise, Thérèse et Jean MORIN
  • Courriers échangés entre Bernard MAITRE et Thérèse MORIN entre le moment de leur première rencontre et leurs fiançailles, de 1957 à 1958. Cela représente environ 300 lettres qui décrivent leur quotidien, ainsi que leurs états d’âme, l’un habitant à Paris et l’autre à Tours. Nous en avons terminé la lecture avec ma sœur.
  • Courriers échangés entre Bernard MAITRE et Thérèse MORIN à l’occasion de voyages effectués par Bernard à Madagascar, respectivement en 1984 et 1987 (3 mois à chaque fois)
  • Cahiers de recettes de Jeanne et de Thérèse MORIN
  • Carnets de croquis de Thérèse MORIN sur les tenues vestimentaires créées pour ses enfants (robes, pantalons, etc.) et sur les décorations faites pour Noël (de 1960 à 2000) – cf article Les fêtes (partie I) : nos héros de Noël
  • Carnets de chants, de techniques scoutes, de réflexions de Bernard MAÎTRE (de 1939 à 1958)
  • Cahiers de cours de Bernard MAÎTRE (non inventoriés à ce jour)

Une fois cet inventaire terminé, il conviendra, selon les méthodes archivistiques, d’évaluer l’intérêt historique -ou plutôt généalogique- de chacun des documents, et de repérer ceux qui méritent d’être gardés en l’état (sous forme papier) et/ou valorisés (et de quelle manière ?) et ceux qui peuvent être éliminés. Un plan de conservation et de gestion de ces archives devra alors être établi, avec la production d’outils, de type index ou plans de classement (tiens, tiens, tiens…) pour en faciliter la recherche. Encore bien du travail sur la planche !




Jean qui rit…

Il a 10 ans… c’est un enfant vif et espiègle. Il aime amuser la galerie et il n’est jamais en reste pour faire des singeries ou jouer des tours à ses proches… C’est aussi un élève brillant et à 10 ans, en 1933, il n’est déjà plus à sa place à l’école primaire de la paroisse. Manifestement, il s’ennuie ; l’heure est venue pour lui d’intégrer le collège, avec pas moins de deux ans d’avance. Trois options s’offrent à lui : la plus classique, c’est d’aller, comme la majorité de ses camarades, poursuivre ses études à Haubourdin, une commune voisine. 2ème solution : le prestigieux collège Saint-Pierre à Lille, adapté à son cursus précoce. Et enfin, l’école apostolique à Loos, un choix pas vraiment anodin puisque l’enseignement est dispensé par des lazaristes et s’apparente peu ou prou à un petit séminaire (1). Plouf, plouf… Jacadi a dit : Jean qui rit doit choisir ! en suivant ou pas les conseils de ses parents et … du curé de la paroisse qui n’est jamais bien loin. Et Jean qui continue se bidonner choisit sans hésiter l’école apostolique. Eh oui, dans sa tête d’enfant, c’est assez clair : il sera prêtre !

Cette idée -qui peut sembler bien incongrue à notre époque- titille notre Jeannot depuis un moment : à 6 ou 7 ans déjà, lors d’un office du Jeudi Saint (le jeudi précédant Pâques, pour les ignares que nous sommes), il avait exprimé son désir de devenir prêtre, si ! si ! comme ça, spontanément… même pas sous la torture, hein ! Et pire, vous voulez savoir? Ses premiers jeux furent un autel qu’il arrangeait chaque jour et pour lequel il confectionnait des ornements. Enfin, histoire de finir de vous convaincre, dans un écrit qu’il a adressé pour la fête des mères, on trouve la signature suivante: “ton petit prêtre”… Jean passe et des meilleurs !

1933 – Jean MORIN avec sa maman à Loos (59)

Alors, certes : en bons bretons qui se respectent, les parents MORIN, sont très attachés à la religion. Jean l’écrit lui-même dans sa lettre de “motivation” pour entrer au séminaire de Dax quelques années plus tard : “la famille Morin […] est représentée presque chaque jour à la messe par les enfants et dans la mesure du possible par les parents. Pas une solennité ne se passe sans leur présence, pas un 1er vendredi du mois sans la communion de tous”. C’est dire ! Comme pour beaucoup de catholiques de l’époque, l’église est en quelque sorte leur 2ème maison, sans qu’ils soient pour autant des grenouilles de bénitiers (ça, c’est moi qui l’affirme, sur la base de mes souvenirs !). Il faut aussi rappeler que la tante de Jean est déjà soeur (en plus d’être celle de son père !). Rappelez-vous, c’est la fameuse “Tante d’Amérique” !

Les parents MORIN ne sont donc certainement pas indifférents au choix de leur fils d’embrasser l’autel, plutôt que la mariée. Aussi étonnant que cela puisse paraître pour nous, c’est une immense fierté pour eux que de donner un, voire deux enfants -ce qui sera d’ailleurs le cas- à Dieu. Mais ça serait mal connaître Jean que d’imaginer qu’il s’est laissé bêtement influencer, car tout minot qu’il soit, il fait déjà preuve d’une bonne dose d’indépendance et d’un singulier sens des responsabilités.

C’est ainsi que le 10 janvier 1934, alors qu’il n’a que 10 ans ½ (!), le petit Jean entre sans pleurer et d’un pas déterminé à l’école apostolique de Loos… Il y restera 6 ans, en internat comme il se doit, car comme le dit un certain F. Lebrun vantant les bienfaits de l’isolement : “il importe de surveiller de près et continuement les jeunes élèves”…. Bien étrange situation qui veut qu’il ne retrouve sa famille que pour les vacances alors que l’école est éloignée de quelques centaines de mètres de son domicile. Inversement : ses soeurs (7 et 14 ans) se voient soudainement séparées de leur frère, ce qui a dû être une grande souffrance pour la cadette. Mais tel était la vie de nos aïeux… les gens (Jean) qui pleurent ou se plaignent n’y ont pas droit de cité…

Mais revenons donc à nos moutons et, plus précisément, à Jean qui rit : en 6ème il apprend le latin, en 5ème, c’est le grec. Il aborde aussi les grands auteurs et textes de l’antiquité : Cicéron, Ovide, Homère, Platon… car dans ce cursus, les matières nobles sont les matières littéraires. Les mathématiques passent au second plan. Au terme de sa “Rhétorique” (1), notre surdoué est trop jeune pour entrer avec les autres au Séminaire interne. Qu’à cela ne tienne ! Il prépare durant une année le baccalauréat, tout en donnant des cours de grec aux jeunes et en travaillant comme surveillant. Ben voyons ! Rappelons qu’il n’a alors que 16 ans !

Bientôt 17… quand la guerre éclate. Trêve de rhétorique, propédeutique (2) et philosophie : la grande histoire le rattrape, lui et ses proches, celle qui a le goût de la peur. Le 18 mai , la famille MORIN est obligée de quitter précipitamment le Nord, avec un groupe d’amis. Par la force des choses, les projets de vie (poursuite d’études, travail, etc.) sont interrompus pour toutes et tous. L’exode conduit la famille jusque dans les Landes, en zone libre (cf récit détaillé ici). Les premiers mois, Jean les passe avec le groupe dans une grande maison où tout le monde s’évertue de retrouver de l’insouciance et de la légèreté. On rit, on danse, on se déguise, on se met en scène, et Jean n’est jamais le dernier à faire le pitre, loin s’en faut ! On le voit travesti en femme (tout à gauche sur la 1ère photo), puis jouant le rôle du prêtre à l’occasion du baptême improvisé d’une poupée (les 2 photos de droite)…

Mais à la fin de l’été -très exactement le 25 août 1940-, il est temps pour lui de quitter à nouveau ses soeurs et parents, pour entrer au séminaire le plus proche… Ce sera celui de Dax-Saint-Vincent-de-Paul qui forme les futurs lazaristes. Ce qui tombe bien puisque depuis son plus jeune âge, il ne jure -enfin façon de parler!- que par Saint-Vincent-de-Paul. La vie et le destin de cet humaniste l’attirent comme un aimant.

Au Grand Séminaire, il étudie les deux matières de base soit, la théologie dogmatique (utile pour le catéchisme et la prédication) et la théologie morale, mais aussi la philosophie, le latin, le grec, la musique. Sept ans lui seront nécessaires pour arriver au terme du parcours de séminariste, avec une interruption de 9 mois en 1944 pour effectuer un STO -Service de Travail Obligatoire-, puis pour être appelé dans l’armée française comme caporal-chef de février 1945 à mars 1946 (3). Même pour les séminaristes, les études en ces temps-là sont loin d’être un long fleuve tranquille… Et c’est en 1947, à 24 ans, qu’il prononce ses voeux. Son ordination -à l’occasion de laquelle il est officiellement nommé prêtre- aura lieu le 23 décembre 1948 à Loos. Ce qui lui a donné le droit d’avoir un bel article dans le journal

Le Révérend Père Jean Morin a célébré sa messe de prémices en l’église Sainte-Anne – Loos 23/12/1948

Pour son premier poste, il est nommé au grand séminaire de Montauban (Tarn-et-Garonne) où il enseigne pendant 6 ans la théologie fondamentale et l’histoire de l’Eglise. En même temps, il s’inscrit en licence de théologie à l’Université de Strasbourg où il obtient son diplôme en 1953, à l’âge de 30 ans. C’est aussi à cette époque que faisant l’idiot avec des copains et circulant à moto sans visière, il contracte une paralysie faciale, appelée « a frigore » dont il gardera des séquelles toute sa vie : un clignement d’oeil spasmodique qui loin de le défigurer le rendait plutôt sympathique. Mais au vu de son statut, cela a pu occasionner quelques quiproquos auprès des femmes !

En 1956, il revient dans les Landes où il occupe successivement le poste de sous-directeur, puis directeur du Grand Séminaire de Saint-Vincent-de-Paul (celui là même où il a fait ses études).

Mais badaboum ! en 1961, notre Jeannot tombe gravement malade. Le diagnostic tombe : c’est la tuberculose. Comme c’était l’usage à l’époque, on lui prescrit un séjour en sanatorium : il passe alors 10 mois au Mont Pélerin, dans le Canton de Vaud (CH). A la fin de sa convalescence, il est nommé Délégué provincial aux écoles apostoliques, mais la maladie le rattrape et il est à nouveau obligé de faire un séjour prolongé en sanatorium d’octobre 1963 à mai 1964. Cette fois, il met à profit ce temps de repos pour effectuer des recherches sur Saint-Vincent-de-Paul et acquiert une expertise qui lui sera reconnue tout au long de sa vie, et au delà.

A son retour, il exerce comme professeur d’histoire à Dax ; il est très vite nommé Supérieur du Berceau de Saint-Vincent-de-Paul, un rôle qu’il endosse d’autant plus volontiers que cela lui permet d’approfondir ses recherches sur Monsieur Vincent. Les parents MORIN étant revenus s’installer entre temps près de Saint-Sever pour leur retraite, il leur rend visite régulièrement. Il est souvent accompagné par deux de ses confrères, Robert et Stan, avec lesquels il forme une bande de joyeux drilles, toujours prêts à faire des blagues de potaches, tout curés érudits qu’ils fussent. De quoi bien dépoussiérer, à nos yeux d’enfants, l’image du curé revêche et inaccessible. Il est en outre très présent auprès de son neveu et de ses deux nièces, auxquels il attribue accessoirement des surnoms : « le copain » pour l’aîné, « la princesse » pour la 2ème et « le chat » pour la dernière. Dès qu’il en a l’occasion, il leur consacre du temps, surtout pendant les vacances d’été où toute la famille se retrouve dans la maison des Landes.

Malheureusement, en 1975, on requiert sa présence ailleurs, à savoir au Bouscat, près de Bordeaux où il sera Visiteur de la Province de Toulouse durant 6 ans. Il s’agit d’un poste exigeant qui occasionne du stress et de nombreux déplacements dans le monde entier. Pour autant, Jean peste, Jean ploie mais ne rompt pas ! Mais il ne rit alors plus beaucoup. Durant cette période, il se rendra en Iran -où il rencontre le Shah-, au Burundi, au Rwanda, en Suisse, à Madagascar, etc. C’est lors d’une séance de vaccination contre la fièvre jaune qu’il est victime d’une erreur médicale -vraisemblablement l’injection de deux vaccins incompatibles- qui provoquera chez lui de sérieux problèmes de santé, dont la maladie de Raynaud (4).

En 1981, il revient enfin au Berceau, où il retrouve une certaine sérénité même si la vie en communauté ne soit pas vraiment sa tasse de thé car c’est un farouche solitaire. Son quotidien est rythmé par la réception de groupes venus visiter le Berceau de Saint-Vincent de Paul. Mais il est aussi très sollicité par les congrégations religieuses en France, en Suisse et en Belgique en tant que conférencier et prédicateur émérite. C’est aussi à cette époque qu’il reçoit Valéry Giscard d’Estaing en visite à Saint-Vincent-de-Paul et qu’il rencontre le pape Jean Paul II à Rome.

En 1983, le décès de Jeanne, sa mère, l’affecte énormément, lui qui était présent tous les week-ends auprès d’elle et ce jusqu’à ses derniers instants. Sans ses escapades hebdomadaires à Banos, la vie n’a plus tout à fait le même goût pour Jean. La solitude et l’isolement lui pèsent, sa sœur aînée étant toujours à Madagascar, et sa sœur cadette, ainsi que le reste de la famille, en Haute-Savoie. De plus, la maison familiale des Landes a été rendue à son propriétaire -il s’agissait en effet d’une location- et ne joue donc plus le rôle de lieu de réunion familiale et de havre de paix. On peut le dire sans mauvais jeux de mots : durant cette période, Jean boîte et Jean saigne, en silence… Il continue aussi à fumer, malgré que cela lui ait été fortement déconseillé après ses ennuis de santé, touchant notamment les poumons (rappelons que dans sa jeunesse, il a eu la tuberculose).

Pour toutes ces raisons, Jean contracte un cancer des poumons en 1987. Tout va alors très vite et il s’éteint le 8 juillet 1987 à Dax. Ses obsèques lui vaudront encore -mais cette fois à titre posthume- une messe et un bel article de presse.

Sud-Ouest – 14/07/1987

Mais l’histoire ne s’arrêt pas là : en 2011, l’Espace Jean Morin est inauguré et devient un centre d’accueil pour les pèlerins, touristes et groupes qui viennent découvrir la vie et le lieu natal de Saint Vincent de Paul.

(1) la Rhétorique désignait l’actuelle classe de première ; c’était lors de cette année scolaire que cette discipline était enseignée. (2) Propédeutique : éléments de connaissance constituant une préparation nécessaire à l’étude plus approfondie d’une science (3) Pour la période de l’entre-deux-guerres, on estime que la formation au Grand Séminaire dure six à sept ans, en incluant il est vrai, le service militaire, obligatoire depuis la fin du XIXe siècle. (4) maladie de Raynaud : trouble chronique de la circulation du sang dans les extrémités, qui survient de façon périodique, en cas d’exposition au froid et, plus rarement, en cas de stress émotionnel.




Parcours et trajectoires : le certif’

A l’heure où un certain nombre d’étudiants sont en train de s’arracher les cheveux sur leurs copies d’examen (ou peut être s’y préparent-ils d’arrache-pied, ce qui n’est pas beaucoup plus plaisant), me revoilà avec l’envie de vous parler aujourd’hui du parcours scolaire de nos ancêtres, et plus particulièrement du certificat d’études primaires, communément appelé « certif’ ».

Le certificat d’études primaires élémentaires (CEPE) était un diplôme sanctionnant la fin de l’enseignement primaire élémentaire en France (entre 11 et 14 ans) et attestant de l’acquisition des connaissances de base, ou plutôt qu’on considérait comme telles à l’époque : écriture, lecture, calcul mathématique, histoire-géographie, sciences appliquées.

Mis en place en 1866 pour créer une émulation entre les élèves et vaincre l’indifférence des parents vis-à-vis de l’école, cet examen a perduré sous cette forme jusqu’à la fin des années 50. Pendant longtemps, pour la majorité des lauréats, il a marqué la fin de l’instruction obligatoire et l’entrée dans la vie active. En 1972, le CEP ne s’adresse plus qu’aux adultes, mais ce n’est qu’en 1989 qu’il est définitivement supprimé.

Concernant cet examen, la mémoire retient surtout les cinq fautes éliminatoires à la dictée, certainement à l’origine de moultes échecs, et les problèmes tarabiscotés de trains qui se croisent ou de baignoires qui se vident…

Pour avoir une idée des épreuves du certif’, on pourra consulter le site de Samuel Huet cité en référence au bas de l’article.

Au début, le certificat d’études était « une affaire d’hommes », il apparaissait déjà comme un moyen d’accession de ceux-ci à des études poussées et à des positions plus élevées. Il faut attendre la période de la Première guerre mondiale et de ses séquelles (1916-1922) pour voir les filles être présentées à l’examen un peu plus souvent que les garçons.

La sélection était alors faite par les instituteurs et institutrices qui mettaient un point d’honneur à ne présenter au certificat d’études que les élèves ayant une forte chance de réussir.
Jusqu’en 1900, la proportion d’élèves sortant de l’école primaire avec le certificat d’études est d’environ 25 à 30 %. Cette proportion monte jusqu’à 35 % vers 1920 et atteint 50 % à la veille de la Seconde Guerre mondiale.

Il est donc assez inattendu que nos grands-parents maternels -qui pour rappel étaient respectivement fils de laboureur et fille de meunier dans les Côtes d’Armor- aient obtenu leur certificat d’études.

Louis MORIN a eu son certificat en 1904. Il avait 13 ans. Quand on connaît son histoire (orphelin de mère à 3 ans, élevé par une voisine, etc), on se dit qu’il a eu bien du mérite de l’obtenir. Pour plus de détails, relire : Dans la famille MORIN / GICQUEL, je voudrais…

1904 – Certificat d’études primaires de Louis MORIN obtenu dans les Côtes d’Armor (format 31×30 cm)

Pour l’avoir entendu en parler, je suis certaine que Jeanne GICQUEL a aussi obtenu son certificat d’études primaires, même s’il n’y en a aucune trace dans les archives familiales. Voilà cependant ce qu’elle disait des exploits scolaires de la famille dans son journal intime : « Nous restions à Saint Laurent jusqu’à dix ans. Après, à Ploeuc, où l’on préparait les certificats primaires et supérieurs. Depuis, je me suis rendue compte que la gentillesse et la fantaisie de Melle Guyomar avaient été valables, puisque tous, nous lui avons fait honneur en étant têtes de classe : mes deux aînés furent premiers du canton à tous les examens, et moi, comme Poulidor, deuxième ».

En 1933, c’est au tour de Marie-Louise, leur fille, d’obtenir son certificat d’études. Elle a alors 13 ans. Autre temps, autres mœurs : alors que celui de Louis MORIN correspondait plus ou moins à un A4, celui-ci en fait le double (58 cm x 45 cm) et il est cartonné, car destiné à être encadré et affiché au mur…

1933 – Certificat d’études primaires obtenu par Marie-Louise MORIN obtenu à Lille (59) – format 58×45 cm

Pas de trace de certificat pour Jean MORIN, le frère, mais comme il est entré à l’école apostolique à un âge précoce (11 ans) et qu’il a ensuite été jusqu’à la licence de théologie, on peut imaginer qu’il a brûlé les étapes.

En 1939, à la veille de la guerre, Thérèse, la benjamine, obtient elle aussi son certificat d’études. Doit-on à la désorganisation d’avant-guerre le fait que ce diplôme soit si mal renseigné  ? c’est possible…

1939 – Certificat d’études primaires obtenu par Thérèse MORIN à Lille (59) – format 58×45 cm

Il faut relever que Thérèse a obtenu son certificat à l’âge de 12 ans et que de 1940 à 1945, elle n’a pas été scolarisée (cf récit de l’exode de la famille MORIN du nord vers le sud-ouest). Il faut croire qu’elle avait de réelles prédispositions intellectuelles car cela ne l’a pas empêchée de poursuivre ses études après la guerre et d’obtenir en 1950 un Brevet d’enseignement industriel (BEI), dont nous reparlerons plus tard.

Côté MAITRE / AYMONIER, j’ignore encore qui a obtenu son certificat d’études. Malgré mes recherches, je n’ai pas pu obtenir d’informations sur le parcours scolaire de Raymond MAITRE avant qu’il n’entre à l’Université de Besançon, mais on peut imaginer que son parcours à l’école primaire et au collège a pu être jalonné de quelques diplômes.
De même, je n’ai trouvé aucune trace dans les archives familiales sur l’obtention du CEPE pour Bernard MAÎTRE, mais il est fort probable qu’il l’ait aussi obtenu à l’institution Saint-Jean à Besançon où il a fait ses études primaires. Ce qui est sûr, c’est qu’en 1945 il a obtenu à l’âge de 16 ans le brevet de capacité pour l’enseignement primaire (Instituteurs – brevet élémentaire). Nous en reparlerons aussi plus tard.

Et histoire de terminer sur une note d’humour, voici quelques perles du certificat d’études :

  • Quand Louis XIV meurt en 1715, il quitte Versailles.
  • Un kilo de mercure pèse pratiquement une tonne …
  • La mortalité infantile était très élevée, sauf chez les vieillards…
  • l’allaitement mixte, c’est une fois le père et une fois la mère
  • l’eau potable, c’est celle qui n’a pas servi à faire la vaisselle.
  • Précautions à prendre pour réduire le nombre et la gravité des accidents de la circulation : ne pas dépasser le 90° pour les boissons, s’assurer qu’on ne dort pas avant de partir…

Pour aller plus loin :




Dans la famille MORIN/GICQUEL, je voudrais…

On connait tous le jeu des 7 familles qui consiste à réunir au terme d’une quête inlassable tous les membres d’une même famille, grand-père, grand-mère, père, mère, fille, fils, qui ont la bonne idée de porter le nom de l’endroit où ils passent leurs vacances : famille Alaplage, Deschamps ou Alaferme. Dans ce jeu, rien ne semble jamais aller de travers, on bénéficie d’une éternelle jeunesse, le contrôle des naissances est assuré (jamais plus de 2 enfants par famille), pas de fins de mois difficiles… et jamais personne ne meurt prématurément. L’épuisette sous le bras, ou le filet à papillons, étant sans doute les garants de cette longévité exceptionnelle.
Rien à voir avec la famille qui nous intéresse aujourd’hui, celle de notre ancêtre Louis Marie MORIN, né le 25 mars 1891.

Dans la famille MORIN, le père, Jean, a donc déjà 50 ans à la naissance de son fils Louis. Ne connaissant pas le secret de la longévité, il n’a pas d’épuisette sous le bras mais en sa qualité de cultivateur, il s’épuise bel et bien à la tâche pour tenter de nourrir sa famille. Il cumule les boulots pour joindre les deux bouts, puisqu’il est aussi dit débitant de boissons. Sa femme, Mathurine LECOUTURIER, a 42 ans et –ça elle ne le sait pas- elle n’en a plus pour très longtemps à vivre. Les grands-parents quant à eux sont morts depuis bien longtemps. Le dernier en date, c’était le père de Mathurine, laboureur, décédé à Ploeuc, Côtes d’Armor, il y a une bonne dizaine d’années. Comme on peut le voir, on part donc déjà avec un très mauvais jeu. Et ça n’est pas fini !

En lieu et place des deux enfants réglementaires, il y en a déjà 7 quand Louis voit le jour… Il est donc le 8ème. Avant lui : 2 très grandes sœurs avec lesquelles il a respectivement 19 et 17 ans de différence et à qui on a donné les mêmes prénoms : Françoise Marie. Du coup, la première sera dite « Marie », la deuxième « Anne Marie ».
Ensuite, vient Reine. Puis 2 garçons, Jean François et Pierre (11 et 8 ans de différence avec p’tit Louis). Et enfin, deux autres sœurs avec lesquelles Louis restera le plus proche, à savoir : Rose et enfin Joséphine, qui a seulement 3 ans d’écart avec Louis.
La maman des 8 enfants décède en janvier 1895. Louis n’a pas encore 4 ans. A cette époque, ses grandes sœurs ne sont déjà plus présentes pour prendre soin de lui (ou Louis, ça marche aussi), parties sur les routes comme marchande de chiffons ou placées comme domestiques dans une maison bourgeoise (cf précédent article sur l’émigration costarmoricaine).

D’ailleurs en 1895, la dite Anne Marie (2ème fille aînée) se marie avec un jeune du pays, Jacques COUVRAN qui est aussi marchand de chiffons. Un peu plus tard, ils s’installeront dans l’Eure et fabriqueront du calvados.
En 1896, c’est au tour de Marie (1ère fille) d’épouser Jean François MERCIER, débitant de boissons (décidément !)… Il sera très mobile, résidant entre autres en Normandie et en région parisienne. Il est probable que Marie l’ait suivi la plupart du temps. En revanche, leur premier fils, Joseph, est resté à Ploeuc sous la garde de son grand-père pendant les premières années de sa vie.
Par contre, le règne de Reine, 3ème fille, ne durera malheureusement pas longtemps : elle décède en 1897 à Selles, dans l’Eure (Normandie) où elle travaillait comme domestique. Elle a alors 19 ans.
En fait, le p’tit Louis et ses deux jeunes sœurs ont été élevés par une voisine qui habitait dans le même hameau (ou la même maison ?) que la famille MORIN au lieu-dit la Belle étoile à Ploeuc-sur-Lié.

Jean et Pierre, les frère aînés, avaient respectivement 15 et 12 ans quand leur mère est décédée. On peut imaginer qu’à cette période ils aidaient déjà leur père aux champs. Pas très longtemps pour Pierre, qui lui, décèdera en 1904 à 21 ans.
Rien ne va plus, faites vos jeux ! Vous avouerez qu’on a vu mieux comme mise de départ…

En 1905 –Louis est alors âgé de 14 ans-, Jean se marie avec Fleure LEBOULANGER, une fille du pays. Pourtant, leur mariage a lieu à Anizy-le-Château, dans l’Aisne, où Fleure est domestique. Dans l’acte de mariage, il est dit que Jean MORIN est aussi domestique non loin de là, à Pinon (Aisne). Cela signifie donc qu’il a quitté à son tour le foyer familial, où la vie devenait difficile. Par la suite, le couple s’installera à Envermeu, avec leur fils unique, nommé Jean lui aussi (une fille est décédée en bas âge).

Les interactions entre la famille de Jean MORIN et celle de Louis MORIN seront nombreuses : nos grands-parents recevront dans leur foyer entre 1936 et 1939 deux des fils de Jean MORIN Junior (neveu de Louis) durant la convalescence de son épouse. C’est aussi à Envermeu, chez le frère de Louis, que la famille MORIN / GICQUEL ira se réfugier au moment où la guerre de 39-40 l’oblige à fuir Loos-lez-Lille (cf 18 ans le bel âge ?). C’est enfin Jean junior (neveu de Louis), alors gendarme à Saint-Sever (Landes) qui accueillera la famille, enfin arrivée en zone libre, et qui facilitera son installation.

Mais revenons à notre jeu de famille : en 1911, Rose, sœur de Louis, convole en justes noces à Paris avec Emile CAUDRON, né à Boulogne-sur-Mer. Le couple restera en région parisienne et aura 3 enfants.
En 1912, Louis est en âge d’être incorporé non dans la préparation du gâteau, mais bien sous les drapeaux… C’est beaucoup moins drôle (cf Lui Louis notre poilu). Il y est encore quand la guerre éclate, et il en prend donc pour 4 années supplémentaires dont fort heureusement il sort, certes cabossé et taiseux, mais vivant. Il se marie en 1918 et part aussitôt s’installer avec son épouse dans le Nord.
Joséphine, sa sœur aînée la plus proche, prendra pied, ainsi que le voile, dans la congrégation des sœurs du Saint Esprit à Saint-Brieuc. Elle y gagnera le nom de Sœur Marie des Victoires, mais dans la famille, elle sera surtout connue comme la « tante d’Amérique » puisqu’elle passera 41 ans à Fairfield, dans le Connecticut.

Pour boucler la boucle, notons que Jean MORIN, le père de Louis, eut la mauvaise inspiration de mourir en avril 1914, au moment où il était vraisemblablement tout seul à Ploeuc car si on résume :

  • Une fille et un fils sont décédés à l’âge de 19 ans
  • 3 filles sont mariées et établies hors des Côtes d’Armor (Normandie et région parisienne)
  • Son fils aîné s’est aussi exilé d’abord dans le Nord, puis en Normandie
  • Louis est parti à la guerre ; quand il en est revenu il est parti s’installer avec sa famille dans le Nord
  • Une fille est devenue religieuse

Voilà pour notre jeu de 7 familles qui est bien loin d’évoquer la vie rêvée des membres de la famille Alaplage… mais qui ne dénote pas par rapport au funeste sort de beaucoup de familles de cette époque. Pour autant, la lignée MORIN a donné lieu à une nombreuse descendance qui n’a certainement pas fini de faire parler d’elle, même si à ma connaissance, ni Edgar, ni Hervé n’en font partie…

Ci-dessous quelques photos des frères et soeurs (identifiés pour l’heure) de Louis MORIN, avec de gauche à droite : Jean MORIN, Rose MORIN, Joséphine MORIN et Louis MORIN

Sur la photo de mariage de Louis et Jeanne (ci-dessous), on peut imaginer que d’autres soeurs y apparaissent dans la partie gauche (à droite du marié), mais pour le moment, je n’ai pas pu en tirer grand chose. Je fais appel aux physionomistes dans l’âme pour m’y aider…




A la recherche du temps perdu…

Une fois n’est pas coutume : j’ai décidé aujourd’hui de vous parler de moi. Et notamment de ma fâcheuse propension à perdre du temps dans des activités qui ne rapportent rien, n’intéressent personne et n’engendrent aucune forme de notoriété (si tant est que j’en revendique). Trier des vieux papiers, établir des inventaires à la Prévert, faire des recherches sur des personnes disparues, suivre des formations sur des sujets improbables, écrire sur tout et n’importe quoi… autant de marottes qui, aux yeux du commun des mortels, font perdre beaucoup de temps pour pas grand chose…

Pire ! je le sais et … je persévère pourtant dans cette perte sévère de temps…

Pourquoi ?

Parce qu’avec les années, j’en suis arrivée à constater que la perte de temps se mesure bien souvent de manière positive en somme de connaissances acquises.

Sentiment conforté par mon expérimentation toute récente autour d’une très bête opération de tri de fiches de recettes ayant appartenu à notre maman, Thérèse MORIN, qui possédait plus de 6000 fiches issues du magazine “Elle”. Un lot que j’ai récupéré au moment où nous avons vidé la maison de nos parents en 2014 et que je devais en toute logique détruire ou donner à Emmaüs rapidement, histoire de n’encombrer ni mon espace, ni mon emploi du temps. Mais comme on le sait, (pres)sentiments et logique ne font pas bon ménage. Je ne m’attarderai pas ici sur les raisons qui m’ont poussé à conserver pendant 7 ans ces fiches, pour finalement les trier, ni sur l’aspect technico-statistique de l’opération qui est décrit en détail sur mes carnets de recherche. Ce qui est intéressant, c’est ce que j’ai pu retenir de cette opération qui a quand même occupé 10 à 12 heures de mes vacances !

Le plus grand apport de ce type d’activité est sans conteste la reviviscence de souvenirs, qui aurait sans doute mérité d’être partagée avec d’autres membres de la famille : les moments où nous aidions tour à tour notre maman à classer et à catégoriser ses fiches (j’ai en effet retrouvé sur les étiquettes l’écriture de ma soeur, de mon frère et la mienne), les recettes que nous avons testées (en les confectionnant ou en les dégustant), etc. Je me suis souvenue aussi de cette façon si particulière qu’avait notre maman d’utiliser ses fiches recettes : ainsi, je ne l’ai jamais vue en suivre une à la lettre, ni même en garder une sous les yeux. C’était souvent en lisant son magazine qu’elle repérait une manière originale d’apprêter ou d’utiliser tel ou tel ingrédient et hop ! le lendemain, ou le WE suivant, le résultat -hautement comestible- se retrouvait dans notre assiette. Elle prenait des bouts d’idées par ci, par là, ajoutait de la poudre de perlinpimpin, quelques zestes de fantaisie, higitus figitus et… à la manière de Merlin l’Enchanteur, l’affaire était dans la casserole à une rapidité déconcertante.



En y repensant, je crois que sa parfaite maîtrise des techniques culinaires de base l’autorisait à utiliser ses fiches de recettes comme une formidable base de données venant enrichir ses connaissances.

L’autre apport de cette activité de tri réside dans une meilleure connaissance de la personnalité de Thérèse. Certes, il y avait toujours beaucoup de fantaisie et d’originalité dans sa manière de faire les repas (comme de les commencer par le dessert et finir par l’entrée), de composer les menus (sous forme d’énigmes ou de devinettes) et de disposer la table (en testant par exemple une à une toutes les pièces du chalet, à l’exception de la salle de bains et des WC). Mais je perçois aussi dans sa façon de classer ses recettes d’autres qualités insoupçonnées et moins visibles alliant minutie, rigueur et logique.

J’ai aussi admis qu’on ne pouvait pas TOUT garder et qu’il fallait privilégier avant tout les archives familiales, constituées des preuves de l’activité des personnes disparues. Les collections, en tant que telles, n’en font pas partie, mais comme elles sont souvent révélatrices de traits de personnalité de la personne qui l’a constituée, il s’avère tout à fait judicieux avant une éventuelle élimination d’établir une fiche descriptive de la collection (quantité, dates extrêmes, identité du collectionneur’ etc.), en adjoignant des photos et des commentaires personnels, comme ceux qui figurent ci-dessus. Ainsi, une trace de cette collection restera dans la mémoire familiale.

Donc, pour moi, le temps soi-disant perdu n’existe pas. Et en tout état de cause, je me refuse de juger de la pertinence d’une activité à l’aune du temps que je suis susceptible d’y passer, même si, je ne peux le cacher, la question existentielle du chat ne me laisse pas complètement indifférente…




Les voeux du dernier Nouvel An de sa vie

Elle a 88 ans… oh pas depuis bien longtemps ! depuis quelques jours, le 26 décembre 1982 très exactement… Pour la toute première fois de sa vie, elle se demande où elle va trouver le courage pour mener à bien une activité qu’elle apprécie pourtant et où elle excelle : le courrier du Nouvel An. Répondre aux nombreux voeux qu’elle reçoit, mais surtout écrire, non des cartes, mais des courriers de plusieurs pages, sur “un papier à lettres, bien glacé, avec des lignes larges”, comme elle a l’habitude de le faire chaque année.

Car oui, elle aime écrire, et elle écrit bien, avec un style remarquable et une graphie certes généreuse, mais mal à l’aise dans l’intervalle de lignes trop rapprochées. En temps normal, ce ne sont pas moins de 2 à 3 lettres qui partent chaque jour, adressées à ses nombreux enfants de sang, mais aussi de coeur. A l’occasion du Nouvel An, on est plutôt sur un rythme de 5 par jour… A la fin du mois, la centaine de lettres est vite atteinte.

C’est toujours le même rituel : levée entre 7 et 8h, elle récite, tout en vaquant à ses occupations, la prière du matin, bretonne comme il se doit ! puis, après avoir fait un brin de toilette, elle met la cafetière sur le gaz. La première goutte, c’est la meilleure, a t’elle l’habitude de dire ! En hiver, vient la corvée du feu : vider les cendres dehors, relancer une nouvelle flambée… Un deuxième café, souvent partagé avec Marthe, sa grande amie et voisine. Puis arrive l’heure des écritures…

Par ses lettres, elle est l’irremplaçable trait d’union au sein de la famille. Certes, le téléphone a pris un peu le relais, mais avec ses problèmes d’élocution, consécutifs à une attaque, la correspondance a pris une nouvelle importance ces deux dernières années.

Pourtant, en cette année 1983, le courrier du Nouvel An se révèle être un souci de plus en plus lancinant : elle éprouve le besoin de cocher des listes “à répondre”, “répondu” avec des dates, des noms, chose qu’elle ne fait jamais. Et au lieu de la centaine de courriers envoyés d’habitude, elle atteint difficilement les 60, ce qui augmente son désarroi car elle pense à toutes celles et ceux qui se sentiront oubliés. Car elle est comme ça, Jeanne… elle a le coeur sur la main et elle pense toujours bien plus aux autres qu’à elle-même

Mais rien à faire : tout lui semble laborieux cette année. Elle pour qui la devise tient en 3 C (Courage, Confiance et… Culot !), elle traîne les pieds et s’assied un peu plus souvent que de coutume. Elle a beau se dire, mue par une formidable énergie, “allez, debout la vieille ! redresse-toi ! marche bien ! ne fais pas pitié !” ; elle a beau écrire dans ses courriers “je porte bien mes 88 ans et je remercie le Bon Dieu de pouvoir me suffire, entretenir la maison et recevoir les amis”, elle sait déjà que les voeux qu’elle formule seront ceux du dernier Nouvel An de son existence…

Voici d’ailleurs ce qu’elle écrit de manière spontanée sur une feuille volante fin janvier : “le coeur est un organe qui nous crée beaucoup d’obligations. Le renoncement aussi ; il reste l’indifférence. Le Seigneur ne nous a pas mis une carapace sur le dos. C’est qu’il a voulu que nous restions sensibles à tous les heurts que nous rencontrons et aux peines et soucis de tous les jours. Même à 88 ans, je sens que ce serait lâche de capituler. Il reste encore à se secouer un peu en s’oubliant et en regardant le passé et tout ce qu’il y a de beau dans notre vie. C’est de l’orgueil de croire que tout nous était dû et tout nous serait servi sur un plateau. Beaucoup de joies nous ont été données. Sachons accepter ce que le Ciel nous envoie pour nous faire réfléchir et dire merci quand même”.

Et aussi, sur un 2ème papier : “quand je pense à notre vie, notre forme d’apostolat voulant aimer sans sermon, sans dire : regardez-nous ! ayant les yeux et le coeur ouverts pour sentir si l’on avait besoin de nos coeurs et de nos bras, en partageant le nécessaire, en restant petits, à notre vraie place ; ce sont toujours plus riches que nous que nous avons aidés”. Mais à ce moment-là, elle admet aussi aller “comme sur des roulettes carrées” et être “dans le wagon de queue”.

Et de fait : après avoir transmis ses voeux de bonheur et de longue vie à la famille et aux nombreux amis, Jeanne GICQUEL s’éteint tranquillement chez elle, dans les Landes, le 3 février 1983 en présence de deux de ses enfants et de son petit-fils, laissant derrière elle un nombre impressionnant d’écrits -lettres, journaux- dont je m’aide aujourd’hui pour rédiger cette chronique…

GICQUEL Jeanne, née en 1894 à Plémy (22), dcd en 1983 à Banos (40), fille de Mathurin François et de AGAR Victorine Anne , Conjoint : MORIN Louis, né en 1891 à Ploeuc-sur-Lié (22), dcd en 1973 à Banos (40), mariés le 15 décembre 1918 à Plémy (22), 3 enfants.  




Une vie de filature (1)

Nous avons quitté notre jeune Louis MORIN alors qu’il se remettait tout juste d’une blessure causée à la jambe gauche par une grenade, blessure assez sérieuse puisqu’il est hospitalisé près du Mans pendant 3 mois 1/2. Le 12 décembre 1918, il bénéficie d’une permission exceptionnelle d’un mois pour se reposer et accessoirement… se marier !  Nous le retrouvons donc le 15 décembre 1918 pour le mariage civil, à Ploeuc, dans les Côtes du Nord (appelés à présent Côtes d’Armor). Certes, comme vous n’avez pas manqué de le remarquer, c’était un dimanche, mais le maire qui est agriculteur impose son rythme : il officie un seul jour par semaine et c’est celui où il n’est pas aux champs !  

Le mariage religieux a lieu 2 jours plus tard, Louis tout pimpant dans son uniforme avec des galons neufs, Jeanne sur son 31 avec sa coiffe, son beau châle brodé à Paris pour la circonstance et son tablier en soie brochée avec une jolie dentelle. (Photo couple au mariage).

Louis MORIN et Jeanne GICQUEL à leur mariage en 1918

Il a 27 ans, Jeanne en a 24. Il aura passé 7 ans de sa vie à « servir son pays » comme on dit. Oui vous avez bien lu : SEPT !!!  deux ans de service militaire « classique », puis quatre appelé à batifoler avec la mort en Champagne, dans la Somme et à Verdun. Et enfin, comme si cela ne suffisait pas, une démobilisation qui tarde à arriver : tout frais marié qu’il est, on l’envoie en effet après sa permission à Limoges pour aider au recensement du blé et du bétail auprès d’agriculteurs qui, échaudés par l’occupation allemande, cachent tout … Le 18 août 1919, Louis est enfin libéré de ses obligations militaires mais pour une obscure raison, il est envoyé à Lille pour superviser la distribution du matériel en provenance des Etats-Unis qui doit servir à redémarrer les usines du Nord.

C’est là qu’un industriel lillois, M. Lefèbvre,  le remarque et lui propose un poste comme agent de maîtrise dans sa filature à Loos (59). On peut imaginer que c’est aussi à cette période que Jeanne, son épouse, le rejoint dans le Nord puisqu’en juillet 1920 a lieu la naissance de leur premier enfant, une fille : Marie-Louise.

Le couple habite alors 298 Rue Solférino, à Lille et ils ont dû y rester plus d’un an,  jusqu’à ce que Louis MORIN change d’employeur : le 1er février 1922, il  est en effet embauché par la prestigieuse entreprise THIRIEZ qui entre autres avantages sociaux, a la particularité de fournir un logement à ses employés.