Dans la famille MORIN/GICQUEL, je voudrais…

On connait tous le jeu des 7 familles qui consiste à réunir au terme d’une quête inlassable tous les membres d’une même famille, grand-père, grand-mère, père, mère, fille, fils, qui ont la bonne idée de porter le nom de l’endroit où ils passent leurs vacances : famille Alaplage, Deschamps ou Alaferme. Dans ce jeu, rien ne semble jamais aller de travers, on bénéficie d’une éternelle jeunesse, le contrôle des naissances est assuré (jamais plus de 2 enfants par famille), pas de fins de mois difficiles… et jamais personne ne meurt prématurément. L’épuisette sous le bras, ou le filet à papillons, étant sans doute les garants de cette longévité exceptionnelle.
Rien à voir avec la famille qui nous intéresse aujourd’hui, celle de notre ancêtre Louis Marie MORIN, né le 25 mars 1891.

Dans la famille MORIN, le père, Jean, a donc déjà 50 ans à la naissance de son fils Louis. Ne connaissant pas le secret de la longévité, il n’a pas d’épuisette sous le bras mais en sa qualité de cultivateur, il s’épuise bel et bien à la tâche pour tenter de nourrir sa famille. Il cumule les boulots pour joindre les deux bouts, puisqu’il est aussi dit débitant de boissons. Sa femme, Mathurine LECOUTURIER, a 42 ans et –ça elle ne le sait pas- elle n’en a plus pour très longtemps à vivre. Les grands-parents quant à eux sont morts depuis bien longtemps. Le dernier en date, c’était le père de Mathurine, laboureur, décédé à Ploeuc, Côtes d’Armor, il y a une bonne dizaine d’années. Comme on peut le voir, on part donc déjà avec un très mauvais jeu. Et ça n’est pas fini !

En lieu et place des deux enfants réglementaires, il y en a déjà 7 quand Louis voit le jour… Il est donc le 8ème. Avant lui : 2 très grandes sœurs avec lesquelles il a respectivement 19 et 17 ans de différence et à qui on a donné les mêmes prénoms : Françoise Marie. Du coup, la première sera dite « Marie », la deuxième « Anne Marie ».
Ensuite, vient Reine. Puis 2 garçons, Jean François et Pierre (11 et 8 ans de différence avec p’tit Louis). Et enfin, deux autres sœurs avec lesquelles Louis restera le plus proche, à savoir : Rose et enfin Joséphine, qui a seulement 3 ans d’écart avec Louis.
La maman des 8 enfants décède en janvier 1895. Louis n’a pas encore 4 ans. A cette époque, ses grandes sœurs ne sont déjà plus présentes pour prendre soin de lui (ou Louis, ça marche aussi), parties sur les routes comme marchande de chiffons ou placées comme domestiques dans une maison bourgeoise (cf précédent article sur l’émigration costarmoricaine).

D’ailleurs en 1895, la dite Anne Marie (2ème fille aînée) se marie avec un jeune du pays, Jacques COUVRAN qui est aussi marchand de chiffons. Un peu plus tard, ils s’installeront dans l’Eure et fabriqueront du calvados.
En 1896, c’est au tour de Marie (1ère fille) d’épouser Jean François MERCIER, débitant de boissons (décidément !)… Il sera très mobile, résidant entre autres en Normandie et en région parisienne. Il est probable que Marie l’ait suivi la plupart du temps. En revanche, leur premier fils, Joseph, est resté à Ploeuc sous la garde de son grand-père pendant les premières années de sa vie.
Par contre, le règne de Reine, 3ème fille, ne durera malheureusement pas longtemps : elle décède en 1897 à Selles, dans l’Eure (Normandie) où elle travaillait comme domestique. Elle a alors 19 ans.
En fait, le p’tit Louis et ses deux jeunes sœurs ont été élevés par une voisine qui habitait dans le même hameau (ou la même maison ?) que la famille MORIN au lieu-dit la Belle étoile à Ploeuc-sur-Lié.

Jean et Pierre, les frère aînés, avaient respectivement 15 et 12 ans quand leur mère est décédée. On peut imaginer qu’à cette période ils aidaient déjà leur père aux champs. Pas très longtemps pour Pierre, qui lui, décèdera en 1904 à 21 ans.
Rien ne va plus, faites vos jeux ! Vous avouerez qu’on a vu mieux comme mise de départ…

En 1905 –Louis est alors âgé de 14 ans-, Jean se marie avec Fleure LEBOULANGER, une fille du pays. Pourtant, leur mariage a lieu à Anizy-le-Château, dans l’Aisne, où Fleure est domestique. Dans l’acte de mariage, il est dit que Jean MORIN est aussi domestique non loin de là, à Pinon (Aisne). Cela signifie donc qu’il a quitté à son tour le foyer familial, où la vie devenait difficile. Par la suite, le couple s’installera à Envermeu, avec leur fils unique, nommé Jean lui aussi (une fille est décédée en bas âge).

Les interactions entre la famille de Jean MORIN et celle de Louis MORIN seront nombreuses : nos grands-parents recevront dans leur foyer entre 1936 et 1939 deux des fils de Jean MORIN Junior (neveu de Louis) durant la convalescence de son épouse. C’est aussi à Envermeu, chez le frère de Louis, que la famille MORIN / GICQUEL ira se réfugier au moment où la guerre de 39-40 l’oblige à fuir Loos-lez-Lille (cf 18 ans le bel âge ?). C’est enfin Jean junior (neveu de Louis), alors gendarme à Saint-Sever (Landes) qui accueillera la famille, enfin arrivée en zone libre, et qui facilitera son installation.

Mais revenons à notre jeu de famille : en 1911, Rose, sœur de Louis, convole en justes noces à Paris avec Emile CAUDRON, né à Boulogne-sur-Mer. Le couple restera en région parisienne et aura 3 enfants.
En 1912, Louis est en âge d’être incorporé non dans la préparation du gâteau, mais bien sous les drapeaux… C’est beaucoup moins drôle (cf Lui Louis notre poilu). Il y est encore quand la guerre éclate, et il en prend donc pour 4 années supplémentaires dont fort heureusement il sort, certes cabossé et taiseux, mais vivant. Il se marie en 1918 et part aussitôt s’installer avec son épouse dans le Nord.
Joséphine, sa sœur aînée la plus proche, prendra pied, ainsi que le voile, dans la congrégation des sœurs du Saint Esprit à Saint-Brieuc. Elle y gagnera le nom de Sœur Marie des Victoires, mais dans la famille, elle sera surtout connue comme la « tante d’Amérique » puisqu’elle passera 41 ans à Fairfield, dans le Connecticut.

Pour boucler la boucle, notons que Jean MORIN, le père de Louis, eut la mauvaise inspiration de mourir en avril 1914, au moment où il était vraisemblablement tout seul à Ploeuc car si on résume :

  • Une fille et un fils sont décédés à l’âge de 19 ans
  • 3 filles sont mariées et établies hors des Côtes d’Armor (Normandie et région parisienne)
  • Son fils aîné s’est aussi exilé d’abord dans le Nord, puis en Normandie
  • Louis est parti à la guerre ; quand il en est revenu il est parti s’installer avec sa famille dans le Nord
  • Une fille est devenue religieuse

Voilà pour notre jeu de 7 familles qui est bien loin d’évoquer la vie rêvée des membres de la famille Alaplage… mais qui ne dénote pas par rapport au funeste sort de beaucoup de familles de cette époque. Pour autant, la lignée MORIN a donné lieu à une nombreuse descendance qui n’a certainement pas fini de faire parler d’elle, même si à ma connaissance, ni Edgar, ni Hervé n’en font partie…

Ci-dessous quelques photos des frères et soeurs (identifiés pour l’heure) de Louis MORIN, avec de gauche à droite : Jean MORIN, Rose MORIN, Joséphine MORIN et Louis MORIN

Sur la photo de mariage de Louis et Jeanne (ci-dessous), on peut imaginer que d’autres soeurs y apparaissent dans la partie gauche (à droite du marié), mais pour le moment, je n’ai pas pu en tirer grand chose. Je fais appel aux physionomistes dans l’âme pour m’y aider…




L’émigration costarmoricaine

On a parlé de la jeune Jeanne GICQUEL, partie à 17 ans de son petit village de Côtes d’Armor pour  « se placer » dans une famille du Nord comme gouvernante. Elle n’est pas un cas isolé, loin s’en faut ! A partir des années 1860, les bretons se sont mis à émigrer en masse. En cause : la chute de l’industrie textile, la surpopulation et une misère extrême. Il n’y a alors plus assez de terres à cultiver.

Alors, on se regroupe pour partir sur les routes comme pillotou (marchand de chiffons ambulants), souvent en direction de la Normandie. C’est vraisemblablement le cas de Victorine, la sœur aînée de Jeanne, qui avec son époux Jacques Marie PELLAN, sont désignés comme marchand de tissus dans certains actes d’état-civil à partir de 1920. Ils ont d’ailleurs passé une partie de leur vie en Normandie avant de revenir s’établir à Moncontour, en Côtes d’Armor. De même, Anne Marie MORIN, sœur de Louis, notre grand-père, est partie s’établir définitivement après 1895 en Normandie avec son mari Jacques COUVRAN, comme marchands de chiffons.

Entre 1850 et 1950, un grand nombre de bretons des Côtes d’Armor partaient comme simples ouvriers agricoles pour faire des « saisons » sur l’île de Jersey, notamment pour le ramassage de pommes de terre. Beaucoup viennent de Ploeuc et de Plémy. Les conditions de vie étaient difficiles. Pour autant, certains n’ont pas hésité à s’installer définitivement dans l’île avec femmes et enfants. Dans une moindre mesure, une émigration agricole s’est produite également en direction de l’Aquitaine, région dépeuplée qui  de 1920 à 1940 avait besoin de main d’oeuvre pour s’occuper de terres inexploitées.  Il s’agissait là d’une émigration organisée qui répondait à une logique économique. Pour le moment, pas de personnes connues dans les branches MORIN ou GICQUEL qui se seraient installées à Jersey ou en Aquitaine dans le cadre de cette émigration, mais il n’est pas exclu qu’il y en ait.

Enfin, comme nous l’avons vu, au début du 20ème siècle, les femmes partaient   se placer soit comme « nourrice sur lieu » un peu partout en France, soit comme domestiques (bonnes à tout faire, cuisinières, ménagères, etc.).  

Pour aller plus loin :

  • Sur le site de l’Institut de documentation bretonne et européenne (IDBE), on trouve l’étude de l’Abbé Elie Gautier sur l’émigration bretonne ainsi que des coupures de presse sur ce thème
  • Les émigrants bretons à Jersey / Mark Boleat, traduction par Alain Boleat – mars 2016 –