La pêche aux souvenirs et ses bienfaits

L’avez-vous remarqué ? Quand il n’est pas ailleurs, notre esprit peut se révéler farceur et pas toujours à l’écoute de nos priorités, ni du programme que l’on pu se fixer… Ainsi, le mien aime particulièrement s’adonner à la pêche… la pêche aux souvenirs s’entend ! A la faveur d’un détail désespérément insignifiant et au moment le plus inopportun pour moi, le voilà qui commence à hameçonner mon attention et à l’attirer sournoisement vers la berge des souvenirs… Le parcours n’a rien de linéaire, l’attention ayant la fâcheuse habitude de sauter du coq à l’âne, en l’occurrence, du saumon à la grenouille, de disparaître dans des trous de mémoire ou encore de se réfugier dans la volupté d’un souvenir d’enfance, pour rejaillir l’instant d’après dans un geyser de réminiscences. Un processus qui, en onomatopées, donne à peu près cela : oh bah ? ha ? hum hum ! ha ha ! zip ! plouf ! hop ! et re-hop ! plouf gloup ! glou glou glou ! hummmm ! waouh ! flatsch flatsch flatsch ! yeah ! Car oui, il me faut le préciser : pour moi, cette opération se termine toujours bien, avec de belles prises à la clé.

Aujourd’hui, je vous propose de revenir sur une de mes récentes expériences de pêche aux souvenirs, avec l’espoir que cela vous donne envie de vous y essayer à votre tour. Mais pour ce faire, reprenons la chronologie onomatopéienne :

Le oh bah ? qui marque le début du processus, concerne la découverte d’une signature de notre grand-mère au bas d’une lettre qu’elle écrivait en 1980 : JLM pour Jeanne Louis MORIN. Si son prénom et son nom d’épouse étaient respectivement Jeanne et MORIN, pourquoi avoir intercalé les initiales du prénom de notre grand-père, Louis, décédé en 1973 ?

ha ? hum hum ! Voilà qui est étrange… peut être un cas isolé ? eh bien non : après le décès de son mari, Jeanne signait toutes ses lettres -et Dieu sait qu’elles furent nombreuses!- de la même manière… Mais tout bien réfléchi, cela me rappelle quelque chose… voyons, voyons…

ha ha !, mais oui, il me semble bien que notre grand-mère a toujours affirmé que son “p’tit Lou” continuait à l’accompagner dans les moindres gestes du quotidien ; elle s’adressait d’ailleurs régulièrement à lui sans que cette étrangeté ne remette en question sa santé mentale aux yeux de son entourage.

et zip !, à la faveur de cette évocation, me voilà embarquée au pays de notre enfance (commune à mon frère et à ma soeur) ! La glissade pour y arriver est jubilatoire, le parcours se révélant délicieusement familier, empreint d’odeurs de vacances et de promesses de fulgurances. Sous-bois verdoyants, sols ocrés, chemins profonds, bourdonnante obscurité, temps joliment inconsistant, exaltations partagées, instants d’exception…

plouf ! Je plonge avec délectation dans un lac de souvenirs, vaporeux par endroit, lumineux ailleurs, mais jamais limpide. On est quand même à 50 ans de profondeur, il ne faut pas l’oublier ! Quelques visages se dessinent, des regards, des gestes, des bruits… Le fil est à ma portée, je n’ai plus qu’à le tirer… mais ce faisant…

hop ! me voilà happée par le souvenir de l’Amour qui unissait mes grands-parents : fondé sur une admiration et un respect mutuels, c’était un Amour assez exceptionnel. Il y avait peu de paroles, l’essentiel passait dans les regards, l’attention à l’autre et les gestes tendres. Je dois le dire : je n’ai jamais plus croisé ailleurs une telle entente implicite.

et re-hop ! un souvenir en appelant un autre, il me revient de manière assez précise en mémoire l’image de Jeanne, à la fois épouse, mère et grand-mère, maîtresse de maison, cuisinière généreuse et tricoteuse hors pair, veillant au bien être de tous et chacun, sans jamais paraître ni soumise, ni inconsistante, ni aigrie. Elle avait une vraie personnalité, ainsi qu’une vraie présence aux autres. Et, qualité assez rare, mais ô combien précieuse : elle savait écouter.

Louis, quant à lui, était un taiseux. Comme le sont ceux qui ont vécu des choses qui ne peuvent pas ou plus être mis en mots. Sa présence était donc silencieuse, mais toute aussi authentique et bienveillante. Même si, je dois le dire, un simple regard de sa part suffisait à stopper une parole ou un comportement déplacés. Il passait du temps dans son jardin, bricolait un peu, lisait des journaux et -souvenir olfactif ô combien prégnant!- il fumait la pipe.

Mais, plouf gloup ! force m’est de constater que le concernant, beaucoup de souvenirs sont flous. Il est décédé en 1973, à 82 ans, j’avais alors 11 ans. Tout ce que je peux dire, c’est que je ressentais une connexion assez forte avec lui, qui est de l’ordre de ce qu’on appellerait aujourd’hui une proximité émotionnelle. Et glou glou glou ! c’est à ce moment précis que mon petit inconscient me dit qu’il faut revenir à la surface, sous peine de sombrer dans un mélo sans nom. J’entame donc la remontée, mais…

C’est sans compter sur le Hummm de la fin, puisque me voilà en train de me remémorer quelques chouettes moments qui ont marqué l’enfant que j’étais : l’observation des étoiles avec notre père, tous allongés dans l’herbe, les balades en toute liberté sans la présence d’un adulte, la légèreté de tous les instants et l’humour qui régnaient dans cette maison, les soirées feu de camp organisées à l’improviste, les baignades quotidiennes dans l’Adour, la fabrication d’un bateau…

Et là, waouh ! flatsch flatsch flatsch ! yeah ! à force de me triturer la cervelle, c’est une myriade de souvenirs qui jaillissent à la manière d’un bouquet final. Les fougères, le soleil après la pluie, l’odeur du pot-au-feu ou de la garbure, le caquètement des poules, un béret, des voix familières et bienveillantes, les farces de potache, les parties de crapette et de scrabble, Q dans l’O, la messe à domicile… Et j’en passe, de manière d’autant plus expéditive dans cette chronique que ces souvenirs ne font du bien qu’à celui ou celle qui les a vécus…

Certes. Mais au delà du fait de raconter encore un peu de la vie de Jeanne et Louis (dont nous avons quelques photos ci-dessous), le message que je voulais faire passer est le suivant : il ne faut pas hésiter à revisiter le pays de notre enfance, de peur de se laisser happer par la tristesse et les regrets. Croyez-moi, c’est tout le contraire : cela fait un bien fou ! Des études très sérieuses ont montré que, loin d’être un ressenti négatif, la nostalgie a des bienfaits insoupçonnés sur notre équilibre personnel. Elle permettrait de donner un sens à sa vie et à se sentir moins seul. Rien de moins !

Alors, qu’est qu’on attend pour retomber tous en enfance ? Je vous le demande !




Ces listes qui subsistent…

Ce sont des listes… des listes écrites à la main, sur une feuille de papier quadrillé jauni par le temps, un autre temps… La première énumère le contenu de deux malles : un manteau ratine, des combinaisons en soie, des culottes en coton, de la laine à tricoter, des cuillères en argent, des livres de messe reliés en cuir, un capuchon imperméable… Charme d’une mode délicieusement surannée et d’une époque où chaque chose avait son utilité… La deuxième décrit des meubles et objets répartis dans les pièces d’une habitation qu’on imagine grande et emplie de vie : une véranda, 2 étages, 4 chambres, 5 lits, des livres de classe et de bibliothèque, une machine à coudre, des tableaux. On pressent des rires d’enfants et des courses poursuites dans l’escalier, des repas familiaux enjoués et des couverts se rajoutant au gré de visites impromptues.

Très bien, mais… cela ne nous dit pas ce que ces deux vieux papiers font dans les archives familiales. Et quel intérêt de les conserver aussi longtemps ? car rien de plus banal, ni de plus volatile qu’une liste de nos jours. A l’image de celle où l’on consigne les -bien nommées- courses, où l’on note les choses urgentes et/ou importantes à faire, fort inopportunément appelée « tout doux » liste en comparaison du sentiment de culpabilité qu’elle engendre. Ou encore celle de titres de livres qu’on espère lire (un jour), de voyages que l’on voudrait faire (bientôt), des rêves les plus fous que l’on taira (à jamais)… Car les listes font partie des innombrables béquilles de notre époque, censées venir en aide à nos cerveaux encombrés et “réduire le stress de nos vies” (ha bon?)… Et là, à cet instant précis, l’image du laissez-passer A-38, de la circulaire B65, et du formulaire jaune, guichet 7, cinquième étage, escalier K, couloir W s’impose à mon esprit (12 Travaux d’Astérix)… Allez savoir pourquoi…

Mais trêve de considérations de comptoir de bas étage… regardons de plus près nos deux listes, qui, on l’aura compris, n’ont rien à voir avec les artefacts de notre société, décrits ci-dessus…

Le fait que ces listes aient traversé les âges, soigneusement rangées avec d’autres archives, laisse déjà penser qu’elles revêtent une certaine importance pour l’histoire familiale. De plus, l’écriture est soignée (c’est celle de Louis MORIN, notre grand-père maternel), les deux inventaires sont précis. Il ne s’agit pas de listes écrites en vitesse, sur un bout de table. Enfin, et surtout, une note manuscrite en haut à gauche de la première liste doit retenir notre attention :

Un dossier établi et remis juste après la guerre par la famille MORIN-GICQUEL après son retour à Loos… Voilà qui sent la demande de réparation…
De fait, la confirmation se trouve dans une autre archive familiale, en l’occurrence un avis d’attribution d’indemnités -ci-dessous :

Ce bout de papier auquel sont agrafés 3 justificatifs de dépôt de bagages permet de reconstituer la chronologie des évènements, que je choisis de vous présenter à mon tour comme une pièce en trois actes, en assumant pleinement la subjectivité qui s’en dégage :

Premier acte

Le rideau se lève le 17 mai 1940 sur une famille en proie au plus terrible dilemme : les allemands progressent au nord de la France ; à une centaine de kilomètres de là, la ville d’Avesnes a été bombardée. Faut-il attendre encore ? ou fuir vers l’inconnu ? Dans ce 1er acte, il faut imaginer les parents, Louis et Jeanne, qui ont déjà connu la guerre, et quelle guerre ! (pour rappel, Louis fut rescapé des batailles de la Somme et de Verdun) et qui ont à présent la charge d’une famille, 3 enfants, âgés de 13, 15 et 20 ans. Il faut essayer de mesurer ce qui préside à leur décision de quitter leur environnement familier dès le lendemain pour se réfugier à Envermeu, chez un frère de Louis. Même si on soupçonne qu’il s’agit d’un instinct de survie. A ce moment là, sans doute espèrent ils que leur absence sera de courte durée et qu’ils reviendront vite. Pour autant, il faut se les représenter la veille de ce départ pour le moins précipité brûler les quelques centaines de lettres d’amour échangées avant leur mariage durant “l’autre” guerre. Et il faut aussi se figurer leur état d’esprit quand il a fallu choisir les affaires qui trouveront place dans les malles. Des produits de première nécessité, certes, mais aussi des choses qui ont un peu de valeur, sentimentales surtout, financières aussi, en pensant prioritairement aux enfants. Raison pour laquelle les lettres n’ont sans doute pas été conservées. Mais comment fait-on pour trier les choses importantes de sa vie en si peu de temps et dans un tel climat d’indécision ? Une question qui reste pour moi en suspens. Les 3 vélos qu’ils possèdent feront aussi partie du voyage, non parce qu’ils y sont particulièrement attachés mais parce que s’il faut aller vers l’inconnu, autant être le plus autonome possible…

Il faut ensuite suivre cette famille cherchant un moyen pour se rendre à Envermeu en gare de Loos ou de Lille, parmi une foule compacte et dans un chaos indescriptible. On monte dans un train qui ne part pas, on en emprunte un autre qui fait quelques kilomètres, puis s’arrête. Il faut parfois descendre pour faire plusieurs dizaines de kilomètres à pied sous les bombardements pour rattraper un autre train. Dans ces conditions, il faudra 4 jours à la famille MORIN GICQUEL pour rejoindre Envermeu, à seulement 250 kilomètres de là. C’est sans doute à ce moment que l’absence des deux malles et des 3 vélos est constatée… Fin du 1er acte, qui donne corps à la 1ère liste… Mais avant que le rideau tombe, on peut s’interroger sur ce qui reste comme affaires à cette famille dont le périple est pourtant loin d’être terminé… (destination finale : les Landes, en zone libre)… une ou deux valises de vêtements, tout au plus ?

Second acte

Septembre 1945 : après 5 ans passés dans les Landes à vivre sans doute très modestement, du produit des champs, de la générosité des habitants et peut être d’une petite pension d’ancien combattant de Louis, seuls 3 des membres de la famille prennent le chemin du retour. Jean est en effet entré au Grand Séminaire à Dax et Marie-Louise, la grande soeur, a décidé d’entrer dans les ordres. Pour elle, ça sera Bordeaux. Il faut donc s’imprégner de l’image des deux parents et de la jeune Thérèse, âgée alors de 17 ans, au moment du retour, partagés entre la joie de revenir chez eux et la tristesse de se séparer du reste de la famille et des amis landais. Il faut les imaginer arriver dans le nord, et retrouver une ville dévastée par les bombardements, qui n’a plus rien à voir avec celle qu’ils ont connue. Il faut surtout se représenter leur détresse en découvrant que leur maison a été occupée et en partie pillée durant leur absence… Le pourcentage de sinistre sera évalué par le Ministère de la Reconstruction à 45 %, ce qui n’est pas rien… Voilà pour le second acte, le rideau tombe sur une situation pas joyeuse, joyeuse, et le lien avec la 2ème liste est établi…

Dernier acte

Fin 1945-début 1946 : pour prétendre à une indemnité, certainement bienvenue en ces temps d’après-guerre, on a dit à la famille MORIN qu’il fallait des inventaires précis, d’une part du contenu des malles égarées, d’autre part de l’état de la maison au moment de leur départ. Prenons donc encore un moment pour “guigner” par dessus les épaules de Louis et Jeanne en train de dresser ces fameuses listes… Ecoutons-les évoquer ensemble ces épisodes douloureux qu’ils préfèreraient pourtant oublier, rectifier des souvenirs, pinailler sur des détails qui pour eux n’ont plus vraiment d’importance… le mal étant fait, comme on dit. Mais voilà, la boucle est bouclée, il ne restera plus qu’à attendre la décision du Ministère de la reconstruction… qui met quand même un an pour arriver ! L’histoire ne dit pas si l’allocation pour les pertes en cours de transport a été versée rapidement, mais en ce qui concerne le sinistre à 45 % constaté sur le logement, la “Décision portant évaluation définitive d’indemnité” porte la date du 17 mars… 1956, soit 10 ans après la demande ! (archive à l’appui). Autant dire qu’il ne fallait pas compter là-dessus pour se reconstruire, si tant est que cela fût possible…

S’il faut une morale à cette histoire , c’est que nous ne mesurons pas assez la chance que nous avons de pouvoir griffonner de manière insouciante des listes de livres à lire, de courses ou de choses à faire. Ni celle d’évoluer à peu près librement sans entendre au loin les bruits inquiétants de la guerre. Merci donc aux listes qui subsistent de nous le rappeler !




Parcours et trajectoires : le certif’

A l’heure où un certain nombre d’étudiants sont en train de s’arracher les cheveux sur leurs copies d’examen (ou peut être s’y préparent-ils d’arrache-pied, ce qui n’est pas beaucoup plus plaisant), me revoilà avec l’envie de vous parler aujourd’hui du parcours scolaire de nos ancêtres, et plus particulièrement du certificat d’études primaires, communément appelé « certif’ ».

Le certificat d’études primaires élémentaires (CEPE) était un diplôme sanctionnant la fin de l’enseignement primaire élémentaire en France (entre 11 et 14 ans) et attestant de l’acquisition des connaissances de base, ou plutôt qu’on considérait comme telles à l’époque : écriture, lecture, calcul mathématique, histoire-géographie, sciences appliquées.

Mis en place en 1866 pour créer une émulation entre les élèves et vaincre l’indifférence des parents vis-à-vis de l’école, cet examen a perduré sous cette forme jusqu’à la fin des années 50. Pendant longtemps, pour la majorité des lauréats, il a marqué la fin de l’instruction obligatoire et l’entrée dans la vie active. En 1972, le CEP ne s’adresse plus qu’aux adultes, mais ce n’est qu’en 1989 qu’il est définitivement supprimé.

Concernant cet examen, la mémoire retient surtout les cinq fautes éliminatoires à la dictée, certainement à l’origine de moultes échecs, et les problèmes tarabiscotés de trains qui se croisent ou de baignoires qui se vident…

Pour avoir une idée des épreuves du certif’, on pourra consulter le site de Samuel Huet cité en référence au bas de l’article.

Au début, le certificat d’études était « une affaire d’hommes », il apparaissait déjà comme un moyen d’accession de ceux-ci à des études poussées et à des positions plus élevées. Il faut attendre la période de la Première guerre mondiale et de ses séquelles (1916-1922) pour voir les filles être présentées à l’examen un peu plus souvent que les garçons.

La sélection était alors faite par les instituteurs et institutrices qui mettaient un point d’honneur à ne présenter au certificat d’études que les élèves ayant une forte chance de réussir.
Jusqu’en 1900, la proportion d’élèves sortant de l’école primaire avec le certificat d’études est d’environ 25 à 30 %. Cette proportion monte jusqu’à 35 % vers 1920 et atteint 50 % à la veille de la Seconde Guerre mondiale.

Il est donc assez inattendu que nos grands-parents maternels -qui pour rappel étaient respectivement fils de laboureur et fille de meunier dans les Côtes d’Armor- aient obtenu leur certificat d’études.

Louis MORIN a eu son certificat en 1904. Il avait 13 ans. Quand on connaît son histoire (orphelin de mère à 3 ans, élevé par une voisine, etc), on se dit qu’il a eu bien du mérite de l’obtenir. Pour plus de détails, relire : Dans la famille MORIN / GICQUEL, je voudrais…

1904 – Certificat d’études primaires de Louis MORIN obtenu dans les Côtes d’Armor (format 31×30 cm)

Pour l’avoir entendu en parler, je suis certaine que Jeanne GICQUEL a aussi obtenu son certificat d’études primaires, même s’il n’y en a aucune trace dans les archives familiales. Voilà cependant ce qu’elle disait des exploits scolaires de la famille dans son journal intime : « Nous restions à Saint Laurent jusqu’à dix ans. Après, à Ploeuc, où l’on préparait les certificats primaires et supérieurs. Depuis, je me suis rendue compte que la gentillesse et la fantaisie de Melle Guyomar avaient été valables, puisque tous, nous lui avons fait honneur en étant têtes de classe : mes deux aînés furent premiers du canton à tous les examens, et moi, comme Poulidor, deuxième ».

En 1933, c’est au tour de Marie-Louise, leur fille, d’obtenir son certificat d’études. Elle a alors 13 ans. Autre temps, autres mœurs : alors que celui de Louis MORIN correspondait plus ou moins à un A4, celui-ci en fait le double (58 cm x 45 cm) et il est cartonné, car destiné à être encadré et affiché au mur…

1933 – Certificat d’études primaires obtenu par Marie-Louise MORIN obtenu à Lille (59) – format 58×45 cm

Pas de trace de certificat pour Jean MORIN, le frère, mais comme il est entré à l’école apostolique à un âge précoce (11 ans) et qu’il a ensuite été jusqu’à la licence de théologie, on peut imaginer qu’il a brûlé les étapes.

En 1939, à la veille de la guerre, Thérèse, la benjamine, obtient elle aussi son certificat d’études. Doit-on à la désorganisation d’avant-guerre le fait que ce diplôme soit si mal renseigné  ? c’est possible…

1939 – Certificat d’études primaires obtenu par Thérèse MORIN à Lille (59) – format 58×45 cm

Il faut relever que Thérèse a obtenu son certificat à l’âge de 12 ans et que de 1940 à 1945, elle n’a pas été scolarisée (cf récit de l’exode de la famille MORIN du nord vers le sud-ouest). Il faut croire qu’elle avait de réelles prédispositions intellectuelles car cela ne l’a pas empêchée de poursuivre ses études après la guerre et d’obtenir en 1950 un Brevet d’enseignement industriel (BEI), dont nous reparlerons plus tard.

Côté MAITRE / AYMONIER, j’ignore encore qui a obtenu son certificat d’études. Malgré mes recherches, je n’ai pas pu obtenir d’informations sur le parcours scolaire de Raymond MAITRE avant qu’il n’entre à l’Université de Besançon, mais on peut imaginer que son parcours à l’école primaire et au collège a pu être jalonné de quelques diplômes.
De même, je n’ai trouvé aucune trace dans les archives familiales sur l’obtention du CEPE pour Bernard MAÎTRE, mais il est fort probable qu’il l’ait aussi obtenu à l’institution Saint-Jean à Besançon où il a fait ses études primaires. Ce qui est sûr, c’est qu’en 1945 il a obtenu à l’âge de 16 ans le brevet de capacité pour l’enseignement primaire (Instituteurs – brevet élémentaire). Nous en reparlerons aussi plus tard.

Et histoire de terminer sur une note d’humour, voici quelques perles du certificat d’études :

  • Quand Louis XIV meurt en 1715, il quitte Versailles.
  • Un kilo de mercure pèse pratiquement une tonne …
  • La mortalité infantile était très élevée, sauf chez les vieillards…
  • l’allaitement mixte, c’est une fois le père et une fois la mère
  • l’eau potable, c’est celle qui n’a pas servi à faire la vaisselle.
  • Précautions à prendre pour réduire le nombre et la gravité des accidents de la circulation : ne pas dépasser le 90° pour les boissons, s’assurer qu’on ne dort pas avant de partir…

Pour aller plus loin :




Dans la famille MORIN/GICQUEL, je voudrais…

On connait tous le jeu des 7 familles qui consiste à réunir au terme d’une quête inlassable tous les membres d’une même famille, grand-père, grand-mère, père, mère, fille, fils, qui ont la bonne idée de porter le nom de l’endroit où ils passent leurs vacances : famille Alaplage, Deschamps ou Alaferme. Dans ce jeu, rien ne semble jamais aller de travers, on bénéficie d’une éternelle jeunesse, le contrôle des naissances est assuré (jamais plus de 2 enfants par famille), pas de fins de mois difficiles… et jamais personne ne meurt prématurément. L’épuisette sous le bras, ou le filet à papillons, étant sans doute les garants de cette longévité exceptionnelle.
Rien à voir avec la famille qui nous intéresse aujourd’hui, celle de notre ancêtre Louis Marie MORIN, né le 25 mars 1891.

Dans la famille MORIN, le père, Jean, a donc déjà 50 ans à la naissance de son fils Louis. Ne connaissant pas le secret de la longévité, il n’a pas d’épuisette sous le bras mais en sa qualité de cultivateur, il s’épuise bel et bien à la tâche pour tenter de nourrir sa famille. Il cumule les boulots pour joindre les deux bouts, puisqu’il est aussi dit débitant de boissons. Sa femme, Mathurine LECOUTURIER, a 42 ans et –ça elle ne le sait pas- elle n’en a plus pour très longtemps à vivre. Les grands-parents quant à eux sont morts depuis bien longtemps. Le dernier en date, c’était le père de Mathurine, laboureur, décédé à Ploeuc, Côtes d’Armor, il y a une bonne dizaine d’années. Comme on peut le voir, on part donc déjà avec un très mauvais jeu. Et ça n’est pas fini !

En lieu et place des deux enfants réglementaires, il y en a déjà 7 quand Louis voit le jour… Il est donc le 8ème. Avant lui : 2 très grandes sœurs avec lesquelles il a respectivement 19 et 17 ans de différence et à qui on a donné les mêmes prénoms : Françoise Marie. Du coup, la première sera dite « Marie », la deuxième « Anne Marie ».
Ensuite, vient Reine. Puis 2 garçons, Jean François et Pierre (11 et 8 ans de différence avec p’tit Louis). Et enfin, deux autres sœurs avec lesquelles Louis restera le plus proche, à savoir : Rose et enfin Joséphine, qui a seulement 3 ans d’écart avec Louis.
La maman des 8 enfants décède en janvier 1895. Louis n’a pas encore 4 ans. A cette époque, ses grandes sœurs ne sont déjà plus présentes pour prendre soin de lui (ou Louis, ça marche aussi), parties sur les routes comme marchande de chiffons ou placées comme domestiques dans une maison bourgeoise (cf précédent article sur l’émigration costarmoricaine).

D’ailleurs en 1895, la dite Anne Marie (2ème fille aînée) se marie avec un jeune du pays, Jacques COUVRAN qui est aussi marchand de chiffons. Un peu plus tard, ils s’installeront dans l’Eure et fabriqueront du calvados.
En 1896, c’est au tour de Marie (1ère fille) d’épouser Jean François MERCIER, débitant de boissons (décidément !)… Il sera très mobile, résidant entre autres en Normandie et en région parisienne. Il est probable que Marie l’ait suivi la plupart du temps. En revanche, leur premier fils, Joseph, est resté à Ploeuc sous la garde de son grand-père pendant les premières années de sa vie.
Par contre, le règne de Reine, 3ème fille, ne durera malheureusement pas longtemps : elle décède en 1897 à Selles, dans l’Eure (Normandie) où elle travaillait comme domestique. Elle a alors 19 ans.
En fait, le p’tit Louis et ses deux jeunes sœurs ont été élevés par une voisine qui habitait dans le même hameau (ou la même maison ?) que la famille MORIN au lieu-dit la Belle étoile à Ploeuc-sur-Lié.

Jean et Pierre, les frère aînés, avaient respectivement 15 et 12 ans quand leur mère est décédée. On peut imaginer qu’à cette période ils aidaient déjà leur père aux champs. Pas très longtemps pour Pierre, qui lui, décèdera en 1904 à 21 ans.
Rien ne va plus, faites vos jeux ! Vous avouerez qu’on a vu mieux comme mise de départ…

En 1905 –Louis est alors âgé de 14 ans-, Jean se marie avec Fleure LEBOULANGER, une fille du pays. Pourtant, leur mariage a lieu à Anizy-le-Château, dans l’Aisne, où Fleure est domestique. Dans l’acte de mariage, il est dit que Jean MORIN est aussi domestique non loin de là, à Pinon (Aisne). Cela signifie donc qu’il a quitté à son tour le foyer familial, où la vie devenait difficile. Par la suite, le couple s’installera à Envermeu, avec leur fils unique, nommé Jean lui aussi (une fille est décédée en bas âge).

Les interactions entre la famille de Jean MORIN et celle de Louis MORIN seront nombreuses : nos grands-parents recevront dans leur foyer entre 1936 et 1939 deux des fils de Jean MORIN Junior (neveu de Louis) durant la convalescence de son épouse. C’est aussi à Envermeu, chez le frère de Louis, que la famille MORIN / GICQUEL ira se réfugier au moment où la guerre de 39-40 l’oblige à fuir Loos-lez-Lille (cf 18 ans le bel âge ?). C’est enfin Jean junior (neveu de Louis), alors gendarme à Saint-Sever (Landes) qui accueillera la famille, enfin arrivée en zone libre, et qui facilitera son installation.

Mais revenons à notre jeu de famille : en 1911, Rose, sœur de Louis, convole en justes noces à Paris avec Emile CAUDRON, né à Boulogne-sur-Mer. Le couple restera en région parisienne et aura 3 enfants.
En 1912, Louis est en âge d’être incorporé non dans la préparation du gâteau, mais bien sous les drapeaux… C’est beaucoup moins drôle (cf Lui Louis notre poilu). Il y est encore quand la guerre éclate, et il en prend donc pour 4 années supplémentaires dont fort heureusement il sort, certes cabossé et taiseux, mais vivant. Il se marie en 1918 et part aussitôt s’installer avec son épouse dans le Nord.
Joséphine, sa sœur aînée la plus proche, prendra pied, ainsi que le voile, dans la congrégation des sœurs du Saint Esprit à Saint-Brieuc. Elle y gagnera le nom de Sœur Marie des Victoires, mais dans la famille, elle sera surtout connue comme la « tante d’Amérique » puisqu’elle passera 41 ans à Fairfield, dans le Connecticut.

Pour boucler la boucle, notons que Jean MORIN, le père de Louis, eut la mauvaise inspiration de mourir en avril 1914, au moment où il était vraisemblablement tout seul à Ploeuc car si on résume :

  • Une fille et un fils sont décédés à l’âge de 19 ans
  • 3 filles sont mariées et établies hors des Côtes d’Armor (Normandie et région parisienne)
  • Son fils aîné s’est aussi exilé d’abord dans le Nord, puis en Normandie
  • Louis est parti à la guerre ; quand il en est revenu il est parti s’installer avec sa famille dans le Nord
  • Une fille est devenue religieuse

Voilà pour notre jeu de 7 familles qui est bien loin d’évoquer la vie rêvée des membres de la famille Alaplage… mais qui ne dénote pas par rapport au funeste sort de beaucoup de familles de cette époque. Pour autant, la lignée MORIN a donné lieu à une nombreuse descendance qui n’a certainement pas fini de faire parler d’elle, même si à ma connaissance, ni Edgar, ni Hervé n’en font partie…

Ci-dessous quelques photos des frères et soeurs (identifiés pour l’heure) de Louis MORIN, avec de gauche à droite : Jean MORIN, Rose MORIN, Joséphine MORIN et Louis MORIN

Sur la photo de mariage de Louis et Jeanne (ci-dessous), on peut imaginer que d’autres soeurs y apparaissent dans la partie gauche (à droite du marié), mais pour le moment, je n’ai pas pu en tirer grand chose. Je fais appel aux physionomistes dans l’âme pour m’y aider…




Une vie de filature (1)

Nous avons quitté notre jeune Louis MORIN alors qu’il se remettait tout juste d’une blessure causée à la jambe gauche par une grenade, blessure assez sérieuse puisqu’il est hospitalisé près du Mans pendant 3 mois 1/2. Le 12 décembre 1918, il bénéficie d’une permission exceptionnelle d’un mois pour se reposer et accessoirement… se marier !  Nous le retrouvons donc le 15 décembre 1918 pour le mariage civil, à Ploeuc, dans les Côtes du Nord (appelés à présent Côtes d’Armor). Certes, comme vous n’avez pas manqué de le remarquer, c’était un dimanche, mais le maire qui est agriculteur impose son rythme : il officie un seul jour par semaine et c’est celui où il n’est pas aux champs !  

Le mariage religieux a lieu 2 jours plus tard, Louis tout pimpant dans son uniforme avec des galons neufs, Jeanne sur son 31 avec sa coiffe, son beau châle brodé à Paris pour la circonstance et son tablier en soie brochée avec une jolie dentelle. (Photo couple au mariage).

Louis MORIN et Jeanne GICQUEL à leur mariage en 1918

Il a 27 ans, Jeanne en a 24. Il aura passé 7 ans de sa vie à « servir son pays » comme on dit. Oui vous avez bien lu : SEPT !!!  deux ans de service militaire « classique », puis quatre appelé à batifoler avec la mort en Champagne, dans la Somme et à Verdun. Et enfin, comme si cela ne suffisait pas, une démobilisation qui tarde à arriver : tout frais marié qu’il est, on l’envoie en effet après sa permission à Limoges pour aider au recensement du blé et du bétail auprès d’agriculteurs qui, échaudés par l’occupation allemande, cachent tout … Le 18 août 1919, Louis est enfin libéré de ses obligations militaires mais pour une obscure raison, il est envoyé à Lille pour superviser la distribution du matériel en provenance des Etats-Unis qui doit servir à redémarrer les usines du Nord.

C’est là qu’un industriel lillois, M. Lefèbvre,  le remarque et lui propose un poste comme agent de maîtrise dans sa filature à Loos (59). On peut imaginer que c’est aussi à cette période que Jeanne, son épouse, le rejoint dans le Nord puisqu’en juillet 1920 a lieu la naissance de leur premier enfant, une fille : Marie-Louise.

Le couple habite alors 298 Rue Solférino, à Lille et ils ont dû y rester plus d’un an,  jusqu’à ce que Louis MORIN change d’employeur : le 1er février 1922, il  est en effet embauché par la prestigieuse entreprise THIRIEZ qui entre autres avantages sociaux, a la particularité de fournir un logement à ses employés.




Une vie de filature (2)



Louis MORIN chez THIRIEZ par Anne-Catherine Mouchet

Pour aller plus loin :

L’évolution des «Établissements J. Thiriez père et fils et Cartier-Bresson». In: L’information géographique, volume 24, n°1, 1960. pp. 33-36. – DOI : https://doi.org/10.3406/ingeo.1960.1962

CANDIANI, C. (journaliste en 1948). (diffusion : 3 avril 2021). Des taudis lillois aux filatures modernistes de Roubaix : reportage dans le nord de la France en 1948. Dans GARBIT, P. (réalisateur). Les Nuits de France Culture. France Culture https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/ainsi-va-le-monde-visite-dans-le-nord-de-la-france-1ere-diffusion-18111948-chaine-parisienne-0

PELLISSIER, Y. (journaliste). (diffusion : 12 juillet 1978). Reportage sur le textile chez DMC Lille et Loos. Dans JT FR3 Nord Pas de Calais.  France Régions 3 Lille – https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/rcc99006602/reportage-sur-le-textile-chez-dmc-lille-et-loos

Musée Filatures Thiriez-DMC (2017). Les filatures de Coton dans le Nord de la France, par le Musée TCB. https://vimeo.com/216470576




Une vie de filature (3)

Et qui pourrait le mieux parler de cette maison que Thérèse MORIN elle-même ? Laissons lui donc la parole (cette présentation étant extraite de quelques pages de souvenirs écrites par Thérèse en 2004) :

Dans une maison à 2 étages sans eau au robinet mais avec une pompe à actionner dehors avec des brocs que l’on montait dans les chambres pour qua la toilette se fasse dans une cuvette où, durant l’hiver, on cassait la glace pour se laver !!! Si on voulait prendre un bain, on chauffait l’eau qu’on vidait dans une jolie cuve en bois comme étaient les tonneaux. Cette cuve était alors mise dehors, c’était un régal !

J’ai le souvenir qu’un jour des rats sont passés par la bouche de la pompe à eau… on n’a pas été empoisonné ; la preuve : j’ai 77 ans !!!

Nous avons eu le bonheur d’habiter une maison avec un jardin. C’était un jardin ouvrier où quelque 10 parcelles étaient distribuées entre plusieurs personnes mais nous avions la possibilité d’en profiter au maximum, notamment des allées pour faire du vélo.

On n’avait ni électricité, ni radio, ni téléphone. On était éclairé par un bec de gaz qui était au centre de la salle à manger ; un bec de gaz qu’on allumait avec des allumettes lorsque le jour baissait, alors on était obligés de rester ensemble dans la même pièce.  […]

Exemples de bec de type Argand, Papillon et Manchester.
Source photos :  site Lumiara

Nous avions la chance d’avoir un jardin très bien entretenu par notre papa. Nous avions énormément de bons légumes sans aucun engrais, si ce n’est l’utilisation du purin que papa prélevait dans la fosse sous le WC qui, lui, se trouvait en dehors de la maison. Même avec moins 15°, on y allait (BRRR !!!) , il n’y avait pas de chasse d’eau. On utilisait des morceaux de journaux comme papier cul !!! On allait pomper de l’eau pour nettoyer le WC.

Nous n’avions comme chauffage qu’un fourneau au charbon qui était dans une pièce. Mais il était assez important pour diffuser un peu de chaleur dans les 3 pièces en enfilade. Par contre, dans l’arrière-cuisine où on faisait la vaisselle, pas question de chauffage ! l’eau était chauffée sur le feu et transportée dans une bassine dans cet endroit. Pas de produits à vaisselle ! mais du savon de Marseille.

Pour aller dans nos chambres, nous n’avions que des bougies et pas de chauffage. Nos devoirs étaient faits dans la pièce commune mais sans difficultés ; on sentait les bonnes odeurs des repas préparés par maman. […] j’ai connu aussi, à la place des bougies, des lampes pigeon : il y avait un réservoir d’huile, une mèche, un verre et cela tenait plus longtemps que les bougies. C’était du luxe !

Nous avions une maison très agréable […] elle comportait beaucoup d’avantages : une verrière sur la salle habituelle de rassemblement, très claire avec une porte vitrée qu’on ouvrait dès que la température le permettait. Dans cette pièce, il y avait le fourneau très important, très apprécié, en hiver surtout. Du carrelage par terre, une grande table où l’on se retrouvait tous. Au centre une salle à manger peu utilisée à cause de sa place sans fenêtre, sans luminosité. A la suite il y avait pour nous la salle de jeux. Il y avait dans notre enfance des coffres qui nous appartenaient, lesquels étaient recouverts de coussin où on pouvait s’asseoir au sol. C’était un plancher bien entretenu, sur lequel on a beaucoup joué avec aux pieds des chaussettes (trouées), on pouvait y glisser, c’était formidable. Maintenant je me dis que maman devait choisir de nous laisser glisser pour nettoyer le paquet !!!

Au 1er étage, il y avait 2 chambres et au 2ème, il y avait 1 chambre et un genre de grenier. Par contre, les escaliers étaient aussi bien cirés que les salles du bas et notre joie était de les descendre sur le derrière ! ça glissait tellement bien ! notre papa faisait comme nous. Les plus audacieux comme Jean et Marie-Louise descendaient sur la rampe !

Il y avait un sous-sol, une cave où se gardait le tonneau de bière que nos parents confectionnaient avec les légumes du jardin, par exemple les chicons ou endives ou barbes de capuçon qui poussaient en cave l’hiver dans un compost sable et terre. Dans l’autre partie de cave était le charbon, seul combustible à ce temps là ; il nous était livré par un soupirail.

Dans le jardin dont papa était un expert, nous avions de très bons légumes mais aussi de ces jolies fleurs violettes, pois de senteur, roses, dahlias. De ce côté-là, notre papa faisait plaisir à maman amoureuse de fleurs (j’ai hérité d’elle !!!). Il y avait des seringhas très odorants dans notre petite cour derrière la maison. Il y avait aussi un poulailler, donc des œufs frais, des poules et poulets à déguster ! Dans ce jardin dont nous pouvions profiter, il y avait un tel espace que nous faisions du vélo et nous pouvions nous installer où bon nous semblait. Je me revois vers 10 ans installée avec ma grand amie Mimie sur un tas de fumier taillé au carré jouant à la recherche de mots sur le dictionnaire !!!




Lui, Louis, notre poilu…

Quand l’armistice est signée le 11 novembre 1918, il a 27 ans et il ronge son frein… il est en effet cloué au lit à l’hôpital de Mamers dans la Sarthe à cause d’une méchante blessure. Or trois jours auparavant, il a reçu sa permission pour pouvoir rejoindre sa fiancée et se marier. Et il a hâte !…. Alors bien sûr, ce 11 novembre, au moment de l’annonce du cessez-le-feu à 11h, il participe aussi à la liesse populaire au son des cloches et des clairons. Il y a de quoi ! La guerre a fait en France plus d’1,4 millions de morts, dont un tiers de ceux qui avaient entre 19 et 22 ans en 1914. C’est son cas, mais lui, même s’il est blessé, est au moins vivant. Il se demande bien par quel miracle… Même si sa foi lui suggère que Dieu a quelque chose à voir là-dedans… En tout cas, malgré le désarroi qui l’assaille immanquablement, il est loin d’estimer –comme le feront sans doute ses petits-enfants ou arrière-petits-enfants plus tard- que si Dieu existait il n’aurait pas permis une pareille hécatombe…

Pour lui (ou Louis, puisque c’est son prénom), cela marque l’espoir d’en finir avec 6 années d’engagement militaire car en 1914, quand la guerre éclate, il était déjà depuis 2 ans sous les drapeaux … pas de pot !

6 années, 6 longues années (+1 comme nous le verrons plus loin), dont 4 sacrifiées totalement à la  guerre, il faut essayer d’imaginer ce que cela représente pour un jeune, on leur doit au moins ça à nos ancêtres : tenter quelques minutes de se mettre à leur place. On te fait rentrer de force dans un tunnel à 20 ans et avec de la chance, tu en ressors à 27 ans, au mieux atterré, au pire complètement cassé ou maboul. Il a beau avoir été élevé dans un esprit patriotique (« servir son pays est un devoir et un honneur » est une des phrases de propagande largement diffusée à l’école), il n’en reste pas moins qu’à un certain moment, notre ancêtre Louis a certainement eu des doutes et pressenti que lui, comme tous ses compatriotes, étaient envoyés au casse-pipe, ni plus, ni moins. D’autant que cette foutue (ça c’est moi qui le dis, pas lui Louis!) guerre, il a eu l’occasion de l’expérimenter non seulement  dans ses tripes, mais aussi dans sa peau. Il gardera dans la jambe des débris de grenades qui le feront souffrir toute sa vie et dans la tête bien des images atroces qu’il taira, voulant sans aucun doute préserver ses enfants, puis ses petits-enfants. C’était un taiseux bienveillant et attentif, comme on en fait plus.

Et ce 11 novembre, jour d’armistice, il ne peut s’empêcher de faire un travelling arrière : en août 1914, il est parti comme beaucoup de jeunes bretons appartenant au 47ème régiment d’infanterie de St Malo, non la fleur au fusil comme cela a été dit (eh oui, il fallait l’entretenir cette flamme patriotique !), mais bien certainement avec la peur au ventre. Il est alors dirigé vers l’endroit où on a le plus besoin de chair fraîche : plouf, plouf… ça sera l’Aisne où se joue une belle vraie grande bataille… histoire de le mettre en jambe. En l’occurrence, c’est son bras qui sera  touché par une balle fin août. Mais qu’à cela ne tienne, après un repos réglementaire,   il repart « comme volontaire » -cette indication trouvée dans ses états de service me laisse dubitative, le document ne donnant pas de précision sur les circonstances dans lesquelles s’exerçait ce libre choix-  vers le front, du côté d’Arras… où il est à nouveau blessé en novembre… au bras gauche cette fois.  On pourrait se dire qu’il le fait exprès notre petit Louis, qu’il s’inflige des mutilations pour le coup vraiment volontaires, comme de nombreux camarades de tranchées pensant se soustraire au combat…  sauf que non, pas du tout, car cette fois, il aurait pu y perdre la vie –et celle de ses descendants par la même occasion- s’il n’avait eu dans son portefeuille une médaille de la Vierge Marie (encore merci mon Dieu !)  qui dévia la balle de la trajectoire du coeur. Donc, évacuation puis 3 mois de soins à Bordeaux, et… et… ? suspens…

Et bien hop ! on y retourne… oyé oyé !  En 1915, le front, la patrie, le champ d’honneur, et plus tard les monuments aux morts, ont besoin de toujours plus de soldats, volontaires ou non, jeunes ou moins jeunes. Peu importe ! l’histoire, elle, ne retiendra pas grand-chose de cette jeunesse torpillée et de ces familles décimées. De toute façon, ces jeunes soldats, ils n’ont pas le choix : s’ils refusent d’aller au combat,  ils passent en conseil disciplinaire. Et certains, pour l’exemple, sont même fusillés sur le champ (pas d’honneur, celui-là !).

Donc, comme dit : pas le choix… (ou si je voulais user d’un mauvais jeu de mots : pas de bras… pas de chocolat…), il repart pour participer aux batailles de Champagne (septembre-octobre 1915) de la Somme et de Verdun (1916). Bref, il les a a peu près toutes faites… Alors oui, c’est vrai, il obtient à cette occasion une citation relevant ses actes de bravoure, ainsi que la Croix de Guerre, mais qu’est ce qu’une citation et une croix à côté du miracle d’être toujours vivant ? Son meilleur ami, Mathurin GICQUEL, frère de sa future, avec lequel il a passé toute son enfance,  n’a pas eu cette chance : il est mort à Assevillers en Picardie le 5 septembre 1916, à l’âge de 29 ans. Mais attention : mort pour la France !!! Quand il l’a appris, cela a dû lui faire un sacré choc à notre petit Louis et entraîner un peu plus vers le bas le curseur du patriotisme.

Pour lui,  ça n’est pas fini : en juillet 1917, il est envoyé à Epinal, non pour recevoir une belle image, mais pour suivre un cours de Chef de Section. Puis, fort de ce titre,   il rejoint un nouveau régiment qui intervient … devinez où ?…  à Verdun ! Mais quelle chance il a d’y retourner !!! Mais comme on dit : quand on aime… on ne compte pas, et surtout pas pour grand chose… C’est là qu’il est blessé par une grenade à la jambe gauche lors d’une attaque dans le bois de Lassigny, dans l’Oise. Quand on voit le bilan des courses là-bas (villages complètement détruits, routes défoncées, population décimée), on se demande comment certains, dont il fait partie, ont pu en réchapper…

C’est ainsi qu’en ce 11 novembre, il se retrouve dans une chambre d’hôpital dans la Sarthe… La boucle est alors bouclée (facile à dire quand on ne fait que relater 7 ans d’une vie d’un ton léger…), on imagine avec quel soulagement ! et certainement avec un « plus jamais ça » qui lui étreint le cœur… Il a dû y croire mordicus, on ne retourne pas deux fois en enfer ! Le 12 décembre 1918, il partira dans les Côtes d’Armor pour se marier, sa permission étant valable jusqu’au 13 janvier 1919 (waouh ! un congé de ouf !!!). Il retournera ensuite à Limoges et c’est seulement en août 1919, après 7 ans dans l’armée !, qu’il sera enfin démobilisé… A ce moment là, il est loin d’imaginer que 20 ans plus tard, ils seraient à nouveau rattrapés par la guerre, lui, son épouse et leurs 3 enfants…

Voir aussi la Photothèque Personnes

MORIN Louis, né en 1891 à Ploeuc-sur-Lié (22), dcd en 1973 à Banos (40), fils de Jean et de LECOUTURIER Mathurine, Conjoint : GICQUEL Jeanne, née en 1894 à Plémy (22), dcd en 1983 à Banos (40), mariés le 15 décembre 1918 à Plémy (22), 3 enfants.