Et si on parlait… épidémie ?

Pierre et Louise,  70 et 64 ans, couple de non-retraités par obligation, habitent à Aboncourt, un petit village de Haute-Saône dont la population atteint tout juste 300 âmes, dont beaucoup en peine et vivant plutôt mal que bien de l’exploitation des vignes, du bois et des céréales. Pierre et Louise sont d’ailleurs journaliers dans les vignes, c’est-à-dire qu’ils se tuent au travail 10 à 15 h par jour, gagnent des clopinettes, sont dehors par tous les temps et  ne savent même pas si le lendemain ils auront du boulot…  

Leurs 3 enfants, 35, 33 et 26 ans, toujours célibataires sont logés à la même enseigne. Tout ce petit monde vivant sous le même toit est aussi tributaire des conditions météorologiques et de la qualité des récoltes. Or en 1852 et 1853, ces dernières ont été quasiment nulles et le prix du blé a flambé. De plus, l’hiver 1853-1854 a été précoce et rude, le printemps anormalement chaud et le début de l’été anormalement pluvieux. D’où de mauvaises conditions de travail (ou pas de travail du tout), une misère extrême, des privations et le retour dans les foyers de la fièvre typhoïde dûe à cette époque à la consommation d’eau infectée par la bactérie.

Comme si cela ne devait pas suffire, en juin 1854, le choléra commence à faire son apparition en Haute-Saône. Certes, cette sympathique maladie était déjà connue puisqu’en 1832, puis en 1848, elle avait déjà décimé une bonne partie de la population parisienne, faisant à chaque fois environ 18’000 victimes.  Pour autant, rien ne permettait aux autorités d’anticiper quoi que ce soit : des hôpitaux, il y en a très peu, cantonnés dans les grandes villes et ils n’ont pas encore la mission médicale qu’on leur connait. Les médecins vivent aussi majoritairement en ville, et ils n’ont ni les connaissances, ni les ressources nécessaires pour faire face.  Bref… on ne connaissait pas le luxe de pouvoir anticiper, polémiquer ou se confiner . Pas de débats ni guerres intestines sur le sujet des masques, des tests, des vaccins… quelle chance  !!!

A Aboncourt, les deux premiers décès attribuables au choléra interviennent le 21 juillet 1854. C’est le début d’une longue série qui va se poursuivre jusqu’au 8 septembre.  Dans ce petit village de 300 habitants, il y aura au total 35 décès de personnes atteintes par le choléra. C’est 7 fois plus que la mortalité habituelle !

Pierre et Louise ont certainement lutté contre la maladie. Ne faisant pas partie des premières victimes, ils ont peut être même pensé qu’ils y échapperaient. Et pourtant… pourtant…

Le 11 août 1854, Pierre TOURLAQUE, manouvrier vigneron rend son dernier souffle à deux heures du matin à son domicile. Il a alors 70 ans. Son décès est déclaré le jour même par son fils, Gaspard,  accompagné d’un voisin.

Et le 29 août 1854, c’est au tour de sa femme,  Louise DUNOT d’y passer dans les mêmes conditions (à une heure du matin, à son domicile). Cette fois, ça n’est pas un de ses fils qui vient déclarer le décès. Faisaient-ils partie des nombreuses personnes ayant pris la fuite entre temps ? On ne le saura jamais… et à vrai dire, cela importe peu !

Ce qu’on retient, c’est le bilan… Désastreux.  Les résultats du dénombrement de la population en 1856 accusent dans le département de la Haute-Saône une diminution d’1/10ème de la population  (33’000 âmes sur 347’000). Pendant quelques temps, le nombre moyen des décès a été de 300 à 350 par jour dans ce seul département !

La Haute-Saône était au 3ème rang des départements les plus touchés. Gy, non loin d’Aboncourt, a été l’épicentre de cette terrible épidémie (30 à 60 décès par jour mi-août). Les sujets de 46 à 50 ans et les vignerons, très nombreux dans la région,  étaient les plus touchés.  

Les environs de Gy, épicentre de l’épidémie de choléra en 1854
Infographie_Choléra_1854

TOURLAQUE Pierre né en 1784 à Aboncourt (70), dcd en 1854, fils de Claude et de GELIN(OTTE) Jeanne et DUNAUX ou DUNOT Louise née en 1789 à Aboncourt, dcd en 1854, fille de Jean Baptiste et de MOUREY Antoinette – 4 enfants, dont Gaspard TOURLAQUE qui a eu une fille, Joséphine, mariée avec Stéphane AYMONIER. Ce couple a eu une fille, Rose AYMONIER, GMP.

Sources : Niobey, P.-Alphonse (Dr), 1858. Histoire médicale du choléra-morbus épidémique qui a régné en 1854 dans la ville de Gy (Haute-Saône) – https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5421526s – Bourdelais P., Demonet M., Raulot J-Y. 1978. La marche du choléra en France : 1832-1854. In: Annales. Economies, sociétés, civilisations. 33ᵉ année, N. 1, 1978. – 1865. Note statistique sur le choléra de 1832, 1849 et 1854 in Journal de la société statistique de Paris, tome 6 (1865)