Ecrire pour transmettre…

Aujourd’hui je vous parle d’écriture. Plus précisément d’écriture à la main. Vous savez, ce geste si anodin qui consiste à tracer, sur une feuille, des lettres pour former des phrases qui revêtent un tant soit peu de sens… ce geste qui, il n’y a pas si longtemps encore, faisait partie de la normalité du quotidien et qui, maintenant, est presque devenu un acte exceptionnel (du moins quand il s’agit d’écrire plus de deux lignes d’affilée !)… A tel point que nous avons l’impression de ne plus être capable d’écrire…

Nous avons donc l’impression de ne plus être capable d’écrire, et c’est normal, car quand on tient un crayon, de nombreux muscles sont sollicités. Des recherches récentes ont montré que l’apprentissage de l’écriture cursive développait la dextérité manuelle. Plus encore : saisir et manier le crayon requièrent « la mobilisation d’une foule de ressources neuromotrices, cognitives et linguistiques qui permettent aux enfants de récupérer le vocabulaire qu’ils possèdent et de le faire apparaître sur la page ».  Ce qui facilite par la suite l’acquisition de la… lecture ! Tout est lié. Raison pour laquelle la décision de la part de la Finlande en 2016 d’abandonner définitivement l’enseignement de l’écriture au profit du clavier a été -et est encore- controversée.

Plus tard, l’acte d’écrire serait un excellent moyen de renforcer la mémoire. Hetty Roessingh, Professeur à l’Université de Calgary, l’explique très clairement dans cet article : “Les chercheurs ont découvert que lorsque l’on prend des notes au clavier, on le fait textuellement sans traiter l’information. On parle alors d’une prise de notes « non générative ». En revanche, en écrivant à la main, on doit faire preuve d’un engagement cognitif pour arriver à résumer, paraphraser, organiser, mettre en correspondance des concepts et du vocabulaire. La manipulation et la transformation de l’information approfondissent la compréhension. La prise de notes écrites devient une prise de notes mentale. On travaille activement à donner du sens pour pouvoir ensuite passer à la réflexion, à l’étude ou au partage afin de comparer sa compréhension avec des partenaires de laboratoire ou des camarades de classe”

Mar Perezts, Professeur associée à l’EM Lyon Business School va encore un peu plus loin en démontrant que le geste d’écriture change notre rapport au monde en accentuant la conscience incarnée de soi (le fait de se sentir présent ici et maintenant) et en nous permettant d’affirmer notre existence, par une écriture qui nous est propre.
Enfin, « l’effort de potentiellement devoir recommencer nous oblige à peser autrement nos mots en les écrivant à la main. Il y aurait donc une vertu liée aux difficultés d’effacer l’écriture manuscrite, et qui serait perdue avec la facilité d’effacer sur écran, car encourageant d’une certaine manière une pensée plus volatile ». De là à affirmer que l’écriture manuscrite permet de mieux se perdre, s’égarer ou s’épancher, il n’y a qu’un pas que je vous invite à franchir…

D’autant que je prétends ajouter d’autres avantages, et non des moindres, en terme de transmission puisque c’est cela qui nous intéresse. Le fait d’avoir hérité d’une telle quantité d’écrits familiaux, si riches de sens (cf article précédent ) m’a en effet interpellée et j’ai envie de renvoyer la question que je me suis posée à toutes celles / tous ceux qui me liront : que restera t’-il de nous, de vous pour les générations suivantes, vos enfants, vos petits-enfants, vos arrière-petits-enfants ?

Car ne nous leurrons pas : ce ne sont pas nos courriels ou nos messages échangés sur les réseaux sociaux, pas plus que les fichiers dissous dans la masse du cloud ou de nos ordinateurs (si tant est qu’ils soient capables de résister à un prochain crash informatique) qui traverseront le temps pour être récupérés par nos descendants. Dans 50 ans, nos greniers seront bien pauvres et vides, au même titre que nos mémoires familiales… Et tout comme actuellement on ne peut plus lire des données sauvegardées sur une disquette ou sur une cassette audio, il y a bien peu de chance que les outils mis en œuvre dans le futur soient capables de lire les données produites sur des supports et/ou des logiciels d’un autre temps. C’est le problème crucial de l’interopérabilité des systèmes.

A l’heure où l’on envoie des capsules spatio-temporelles dans l’espace pour laisser un signe de notre passage sur la terre et où on carotte inlassablement le sol pour découvrir des traces de civilisations passées, nous voilà donc incapables de préserver une once de notre vécu à l’attention de nos arrière-petits-enfants… Ne trouvez-vous pas comme moi que c’est inquiétant ?

Avec le papier comme support, on est au moins sûr de ce qu’on sait… ( !) : on connaît les grandes causes d’avaries ou de destruction (incendies, inondations, perte physique). On sait aussi que la pérennité d’un document écrit à la main dépend de la qualité du papier et de l’encre utilisés, ainsi que de ses conditions de conservation.

Alors, que vous soyez pressés ou non, jeune ou vieux, parents ou grands-parents, oncle ou tante, pensez-y SVP : les paroles s’envolent mais les écrits restent, et ils restent d’autant plus facilement s’ils sont tracés de votre main. Imaginez le plaisir qu’éprouveront vos enfants, petits-enfants, arrière-petits-neveux à découvrir non seulement votre écriture -déjà révélatrice de votre caractère-, mais aussi la part de ce que vous aurez choisi de livrer de vous-mêmes. Que ce soient des recettes, des croquis, des citations, des poésies, des listes de semis, des courriers, tout est bon à prendre du moment que cela reflète vos passions, vos goûts, votre personnalité.

source : https://picjumbo.com/

A la rapidité de l’ordinateur, affirmons de temps à autre notre préférence pour la lenteur et la plénitude du crayon.

écrivons… écrivons…écrivons…

partageons ce qui nous tient à cœur,
échangeons des lettres d’amour ou des messages d’amitié,
envoyons des courriers, à nos parents, à nos enfants, à nos petits-enfants…
couchons sur le papier nos états d’âme
racontons des histoires,
composons des chroniques du quotidien
retranscrivons sur un carnet les textes actuellement noyés dans la masse de nos ordinateurs
saisissons n’importe quelle occasion (voyage, événement festif, etc.) pour écrire
noircissons des pages… de carnet, de cahier, de journal créatif, … peu importe !
commentons et illustrons abondamment nos albums photos
dessinons, croquons à l’envi la vie et ses petits travers
calligraphions nos poèmes préférés
notons nos pensées
recopions des citations
consignons nos astuces de bricolage ou nos meilleures recettes

écrivons… écrivons…écrivons…

Réapproprions-nous le plaisir d’écrire, de former des pleins, des déliés, pour jouer pleinement notre rôle de passeur, pour partager et créer du lien intergénérationnel !

Sources :




Scripta manent…*

*verba volant, scripta manent… les paroles s’envolent, les écrits restent

Aujourd’hui, je veux vous parler d’écrits familiaux. Quésako ? Ce sont des archives familiales qui présentent la particularité d’être écrites de la mimine -délicate ou velue- de celui ou celle qui les a produites. Donc à titre d’exemple  :

  • des cahiers de recettes (où l’on trouvera suivant la région, celle de la soupe de gaudes, des pêts de nonnes ou du fion du Poiré),
  • des carnets savamment griffonnés et gribouillés de notes, réflexions, extraits, poésies, chansons et croquis, borborygmes en tout genre,
  • des journaux personnels (on les appelle aussi « intimes », une appellation que je trouve rarement adaptée, à moins d’y trouver les affres sentimentales dans lesquelles nous plongent un amour impossible…),
  • des journaux de voyage (voyage qui peut commencer au pas de sa porte, voire même dans sa chambre, comme au moment du confinement),
  • des listes (de films, de livres, d’amants, de destinations, de premières fois, etc.),
  • des cahiers d’écolier (notamment le si fameux cahier de récitations illustré de « jolis » dessins à la main ;-),
  • des courriers entre les membres d’une même famille, voire même une correspondance amoureuse complète, avec les lettres envoyées et celles reçues, si les auteurs ont fini par devenir nos parents…

A l’échelle d’une famille, cela peut représenter une somme importante de vieux papiers, qui ne méritent certes pas d’être tous conservés ad vitam aeternam, mais qu’il est important de feuilleter d’abord, puis d’identifier sous la forme d’un inventaire précis. Pourquoi ? Parce qu’aucune de ces productions manuscrites personnelles n’est dénuée d’intérêt, dans la mesure où elles reflètent un pan de la personnalité ou des centres d’intérêt de leur auteur. On a tendance à sous estimer la capacité de ces documents à nous en apprendre beaucoup sur nos parents ou nos grands-parents.

Prenons deux exemples :

Bernard Maître

Dès son plus jeune âge, Bernard consigne pas mal de choses dans des carnets : les paroles des chants qu’il apprend, les techniques du scoutisme (allumer un feu, faire des nœuds, etc.). A l’âge adulte, il garde toujours un carnet sur lui où il note ses réflexions du moment.

Carnets de Bernard Maître 1939 à 1958

Dans tous les carnets, l’écriture est petite, soignée et la mise en page est maîtrisée. On devine un tempérament calme et posé.
Mais le plus fascinant, ce sont les index et tables des matières qu’il dresse en fin de carnet qui dénote là un esprit rigoureux et méthodique.

Plus tard, il adoptera la même méthode pour ranger son matériel de bricolage : une boîte par item (écrou hexagonal M6 par exemple), un code alphanumérique par boîte et un index alphabétique détaillé qui sert d’outil de recherche… Pour ma part, j’adorais utiliser cet index et évoluer dans cet environnement classifié. C’est certainement là que ma vocation de documentaliste a pris naissance…

Jeanne Gicquel

Nous l’avons déjà évoqué : Jeanne écrit beaucoup… Plusieurs courriers partent chaque jour, à l’attention de sa fille, religieuse à Madagascar, de son autre fille, basée en Haute-Savoie avec sa famille, de son fils, prêtre à Montauban, puis à Bordeaux, de sa famille, restée en Bretagne, de ses amis du Nord, etc. Elle s’adonne à cette activité le matin, entre 7 et 10h, et en tout cas avant le passage du facteur à 11h. Non seulement, elle écrit énormément, mais aussi … de manière… hors NORME ! son écriture ample et généreuse remplit une page A4 en moins de deux (180 à 200 mots suffisent alors qu’avec une écriture classique, on en met facilement le double!)

Lettre de Jeanne GICQUEL (1ère page) – 1978

Or, cette écriture qui se moque de la mise en page et des conventions est révélatrice du tempérament de notre grand-mère, une femme certes très généreuse, mais aussi audacieuse et un brin fantaisiste.

Dans notre famille, nous avons donc hérité d’un grand nombre d’écrits personnels, émanant surtout de la branche maternelle. Plusieurs raisons à cela : tout d’abord, les membres de la famille GICQUEL / MORIN aimaient beaucoup écrire et, il faut l’admettre, ils le faisaient plutôt bien, chacun/e avec un style qui lui était propre. Ensuite, l’éclatement géographique de la famille a joué en faveur d’une correspondance soutenue. Enfin, le fait que deux enfants sur trois n’aient pas eu de descendance (et pour cause !) : à leur décès, l’ensemble de leurs papiers personnels sont donc revenus à la seule qui ne soit pas rentrée dans les ordres, en l’occurrence, notre maman…

Mais on peut s’en douter : ces papiers prennent de la place et les inventorier prend du temps… J’arrive au bout de cette opération. En voilà le résultat, avec ci-dessous la liste des archives manuscrites qui nous ont été léguées :

  • Journal de Jeanne GICQUEL (5 cahiers), écrit dans les années 1980, dans lequel elle raconte ses souvenirs d’enfance en Bretagne (vie quotidienne, sa famille, les fêtes, l’école, le mariage, etc.), puis leur vie de couple dans le Nord et enfin le temps de la retraite dans les Landes. Certains passages sont complétés par Jean MORIN, son fils.
  • Journal de Marie-Louise MORIN écrit en mai-juin 1940 au moment de l’évacuation dans lequel elle raconte l’exode de la famille parti de Lille pour rejoindre le sud-ouest de la France
  • Journal de Marie-Louise MORIN rédigé avant son entrée au couvent où elle fait part de sa vie quotidienne et de ses états d’âme
  • Journal de Jean MORIN (1 cahier), dans lequel il raconte les derniers moments de la vie de Jeanne GICQUEL et rapporte quelques souvenirs de la maison des Landes
  • Journal de Thérèse MORIN (4 feuillets recto-verso écrits un peu sous la torture, à la demande de sa fille 🙂 qui fait part de souvenirs de sa vie à Loos-lez-Lille
  • Lettres envoyées par Jeanne GICQUEL à ses 3 enfants, et inversement, soit : sa fille, Marie-Louise, vivant à Madagascar, Thérèse, et sa famille, en Haute-Savoie, et Jean, qui résidait durant un temps à Bordeaux.
  • Courriers échangés entre les frères et soeurs, Marie-Louise, Thérèse et Jean MORIN
  • Courriers échangés entre Bernard MAITRE et Thérèse MORIN entre le moment de leur première rencontre et leurs fiançailles, de 1957 à 1958. Cela représente environ 300 lettres qui décrivent leur quotidien, ainsi que leurs états d’âme, l’un habitant à Paris et l’autre à Tours. Nous en avons terminé la lecture avec ma sœur.
  • Courriers échangés entre Bernard MAITRE et Thérèse MORIN à l’occasion de voyages effectués par Bernard à Madagascar, respectivement en 1984 et 1987 (3 mois à chaque fois)
  • Cahiers de recettes de Jeanne et de Thérèse MORIN
  • Carnets de croquis de Thérèse MORIN sur les tenues vestimentaires créées pour ses enfants (robes, pantalons, etc.) et sur les décorations faites pour Noël (de 1960 à 2000) – cf article Les fêtes (partie I) : nos héros de Noël
  • Carnets de chants, de techniques scoutes, de réflexions de Bernard MAÎTRE (de 1939 à 1958)
  • Cahiers de cours de Bernard MAÎTRE (non inventoriés à ce jour)

Une fois cet inventaire terminé, il conviendra, selon les méthodes archivistiques, d’évaluer l’intérêt historique -ou plutôt généalogique- de chacun des documents, et de repérer ceux qui méritent d’être gardés en l’état (sous forme papier) et/ou valorisés (et de quelle manière ?) et ceux qui peuvent être éliminés. Un plan de conservation et de gestion de ces archives devra alors être établi, avec la production d’outils, de type index ou plans de classement (tiens, tiens, tiens…) pour en faciliter la recherche. Encore bien du travail sur la planche !