Nous, les renégats de l’aptonymie
Aujourd’hui, nous allons parler d’aptonyme. A ne pas confondre avec l’haptonomie, qui comme les futurs parents le savent, est l’art de communiquer avec son bébé in utero, grâce au toucher et à des massages…
Certes, l’aptonyme a quelque chose à voir avec le bébé à venir mais plutôt dans une dimension prémonitoire… Mais fi de ce suspens insoutenable ! vous allez vite comprendre avec ces deux exemples d’aptonymes en image :
Un aptonyme (néologisme québécois formé du mot apte « approprié », et du suffixe -onyme « nom ») est donc un nom de famille ou un prénom possédant un sens lié à la personne qui le porte, le plus souvent en relation avec son métier ou ses occupations.
Un exemple célèbre d’aptonyme est Charles DE GAULLE, chef de l’État français dont la zone géographique correspond approximativement à celle de la Gaule dans l’Antiquité.
Quand on y réfléchit, on a tous des exemples d’aptonymes dans son entourage : ainsi, je me souviens que le ramoneur qui passait autrefois à la maison se prénommait… BLANCHET. Dans un village voisin, le maire s’appelle M. MAIRE… Et j’en oublie certainement…
Certaines personnes (groupes FB, sites Web, ou comptes Twitter) se sont lancé le défi de débusquer les aptonymes au hasard des rues et des devantures. A l’Université de Québec, il existe même un Centre canadien des aptonymes (CCA), qui a notamment retenu dans son répertoire le nom du docteur PIPPI-SALLÉ, urologue.
En France, c’est le Centre d’études et de recherches sur les aptonymes (CERA) qui joue ce rôle (hébergé par Fatrazie. Il faut aller voir leur base de données, cela vaut le détour!).
En 2017, une certaine Sandrine Campese a également écrit un livre sur le sujet (Petit dictionnaire insolite des aptonymes chez Larousse).
Comme mes articles ne sont jamais éloignés de l’histoire de ma famille, j’ai voulu constater de visu si nous avions beaucoup d’aptonymes parmi notre ascendance…
Eh bien, quelle ne fut pas ma déception : à part l’exemple récent et quand même remarquable de notre frère qui avec le patronyme MAÎTRE a réussi à mener une carrière d’instituteur, je peux affirmer que nous sommes les antithèses de l’aptonymie…
Chez nous, les BARBIER sont greffiers, les GREFFIER, palefreniers ou agriculteurs, les BARATTE du Jura n’étaient quant à eux ni crémiers, ni fromagers, contrairement aux MARTINET/MARTINEZ qui eux l’étaient. Aucun MOUCHET n’a versé dans l’oto-rhino-laryngologie et rien n’indique que leurs ancêtres MOCHET étaient particulièrement moches… à part peut être les MOCHET CROTTU, nommés ainsi pour les distinguer à Saxel (74) des MOCHET GANTELY ou MOCHET COLLOMB, tant ils étaient nombreux.
Pas de bouchers non plus parmi les francs-comtois BOILLOZ ou ROGNON / ROGUON, pas plus que chez les BOUCHERS de l’Aisne, qui eux étaient… tailleurs ou laboureurs ! De même, aucun des LECOUTURIER, ni des MERCIER n’a exercé comme tailleur ou couturier… Nous avons bien des CARRIER, des DUBOIS, des ROCH et même des ROY mais qui travaillaient dans les champs, en leur qualité de laboureurs. Finalement, seul un LE PRE est bien là où on l’attendait.
Un Jean LEBOULANGER était bûcheron. Un certain VIEULOUP était bourrelier, tandis que nos BOURLIER à nous étaient agriculteurs…
Quant à Denise LARCHEVEQUE de Prévessin (01), elle n’était pas née par l’opération du St Esprit : elle avait bel et bien un père qui de toute évidence n’était pas religieux. Pas plus de vocation non plus chez les AYMONIER dont aucun n’est devenu aumonier, loin s’en faut…
Si on se focalise sur les familles haut-savoyardes, là aussi, tout part à vau-l’eau : nous avons une Josephe d’ARENTHON qui vient de Veigy-Foncenex, une Michelle NEUVECELLE de Fessy, et une Marie COUTY -un quartier de Machilly- originaire de Loisin…
Quant aux caractéristiques physiques, en l’absence de preuve, rien ne permet d’affirmer que les COSTE-GROSOEIL, BELOEIL, BAUD, BEL, SAGE, SAINTILLAN, VAILLANT, AGAR, BETEMPS (synonyme de « beau temps ») portaient bien leur nom… ou pas. Ce qui dans ce dernier cas nous donnerait des contraptonymes. Nous connaissons tous l’exemple de Véronique SANSON, chanteuse ou de David DOUILLET, judoka…
Que s’est-il donc passé dans notre famille pour que nous devenions de tels renégats de l’aptonyme ?
Parce qu’à leur origine, presque tous les noms de famille étaient des aptonymes. En effet, à partir de 1539 (édit de Villers-Cotterêts), les surnoms -qui deviendront par la suite nos noms de famille- sont transmis de père en fils. Soit le nom était alors dérivé du prénom du père : ex. le fils de Jean devient DEJEAN, les enfants d’Etienne, THENON ou ETIEVANT, soit il était attribué selon le métier (ex BOULANGER, LECOUTURIER, LECLERC, etc.), selon une origine géographique (ex. LANGLAIS, LALLEMAND, DUMONT, etc) ou encore selon une singularité physique (ex. LEPETIT, LEGROS, LEFORT, etc.).
Peut-on en déduire que tous nos ancêtres avait cet esprit particulièrement rebelle qui les amenait à renoncer au métier suggéré par leur patronyme ? Je ne le pense pas. On peut même supposer qu’en remontant encore plus loin dans le temps -soit au 16ème ou au 15ème siècle-, chaque patronyme retrouverait son vrai métier…
Ainsi donc : inutile que plusieurs générations de MAÎTRE et de MOUCHET se sacrifient à l’aune des aptonymes anonymes en exerçant la profession d’avocats ou de notaires (ce qui donnerait Maître MAÎTRE) ou en dédiant leur vie aux problèmes de nez bouché…
Pour ma part, puisqu’il n’y a pas moyen d’en trouver chez nous, je ne résisterai pas à l’envie, en guise de conclusion, de subtiliser ailleurs quelques nouvelles pépites :
- Dr NERISSON, spécialisé dans l’acupuncture
- Dr ML MAC DONALD, spécialiste de la nutrition enfant et adulte et du traitement de la cellulite
- Dr Nicole SOULACROUP, gynécologue
- Dr Roselyne BARGEOT, psychiatre
- Parmi les gastro-entérologues ayant exercé en France, nous retiendrons le nom du professeur BEDENNE du Dr PET
- Au Québec, Pierre PLOUFFE est champion de ski nautique
- Elisée RECLUS est quant à lui un célèbre grand géographe voyageur…
Pour en savoir plus
- Un article sur Slate : https://www.slate.fr/story/175830/patronymes-inspirer-destins-histoire-aptonymes
- François Morel a consacré une chronique sur le sujet sur France Inter: https://www.youtube.com/watch?v=7pPNkVldYWs
- un court reportage sur TF1 : https://www.tf1info.fr/societe/video-aptonymes-ils-portent-un-nom-predestine-2185991.html
- GRANDEAU, Y. (1980). D’où vient votre nom ? Historia, n° 407, octobre 1980 https://oraprdnt.uqtr.uquebec.ca/pls/public/docs/GSC2182/F_518338233_Origine_des_noms.html