Misère et boule de gomme

Misère, misère ! C’est toujours sur les pauvres gens Que tu t’acharnes obstinément (chanson de Coluche)

Dernièrement, j’ai eu l’occasion de retourner aux archives départementales du Jura, à Lons-le-Saunier, histoire de sonder un peu plus l’histoire, en l’occurrence celle de notre grand-père paternel, Raymond MAÎTRE. Souvenez-vous : c’est celui qui n’a pas eu de chance dans sa vie (à part celle d’avoir été notre ancêtre !), à tel point qu’il y a mis fin, de manière aussi délibérée que soudaine… Dans un précédent article intitulé La poisse…, je décris comment il s’est retrouvé orphelin de père en 1902, alors qu’il n’avait que 9 ans. A l’époque, il avait encore un frère et deux soeurs (3 étaient déjà morts à la naissance). Six ans après, en 1908, sa soeur aînée meurt, suivie du grand frère et de la petite soeur en 1910. Raymond est alors âgé de 17 ans. Comme famille proche, il ne lui reste plus que sa mère et sa grand-mère, ainsi qu’un oncle disparu à Paris, après avoir été condamné dans le Jura pour avoir battu son ex-femme (cf l’article Un ancêtre encombrant)… Qui plus est, le jeune Raymond est affecté depuis la naissance d’une paralysie de la hanche, ce qui l’empêche de sauter comme un cabri et accessoirement de participer aux travaux de la ferme… On imagine bien la frustration pour lui, si ce n’est l’humiliation, en tant que seul homme survivant, de ne pouvoir subvenir aux besoins des siens. La seule chose qu’il pouvait faire, c’était de mettre toute son application dans les études. Ce qu’il a fait et bien fait puisqu’il est devenu professeur de lettres à Besançon à l’âge de 20 ans.

Une des questions est de savoir comment, venant d’un milieu si modeste, il a pu payer ses études ? Eh bien, croyez-moi si vous voulez, mais loin de me fournir la réponse, mes investigations dans les archives notariales de la famille n’ont fait qu’épaissir un peu plus le mystère, qui s’est transformé en : misère, misère ! Mais voyons ça de plus près…

Il convient tout d’abord de faire un rapide retour en arrière… Nous sommes en 1886 : Aldegrin MAÎTRE et Julie MARTINEZ, futurs parents de Raymond, s’apprêtent à convoler en justes noces à Brainans, dans le Jura. Auparavant, ils passent devant le notaire pour établir un contrat de mariage. Celui-ci met en scène les futurs époux, mais également Philomène MAÎTRE (eh oui, les MAÎTRE sont légion dans ce petit village), la mère de Julie, car c’est elle qui a les pépettes ! Ou tout au moins une maison dont elle fait don à sa fille dans le cadre d’une communauté réduite aux acquêts. Ces trois-là (le couple et la belle-maman) sont donc unis par un dispositif qui implique la mise en commun des biens et revenus acquis pendant le mariage, mais aussi des éventuelles dettes qui en découlent… A ce moment, la situation semble relativement saine du côté de l’épouse qui apporte à la communauté un trousseau estimé à 50 francs. Outre la donation de la maison, sa mère déclare un apport mobilier d’une valeur de 1800 francs dans la communauté. Du côté du mari, c’est déjà moins brillant : certes, il apporte un petit mobilier, quelques outils, du fourrage et du bétail, le tout estimé à la somme de 800 francs, mais il est aussi dit dans le contrat qu’il est grevé d’une dette de 800 francs… Ce qui fait match nul et sent déjà un peu le roussi… Mais bref ! tout ce joli monde se marie (à l’exception de la belle-mère qui elle, tiendra la chandelle) et poursuit sa destinée dans la maison commune… Le 1er enfant naît en 1887, les 6 autres suivent, à raison d’un tous les deux ans à peu près. Deux seront non viables et le dernier enfant, une fille qui nait le 30 mai 1901, décède deux semaines plus tard. Au moment où le père, Aldegrin, passe l’arme à gauche, le 7 novembre 1902, il y a donc encore 4 enfants en vie, ainsi que la mère et la grand-mère. Comme il est d’usage dans ce cas, et plus particulièrement en présence d’enfants, on procède à un inventaire des biens de la communauté. Il s’agit d’un acte qui constate en détail la nature et le nombre des effets mobiliers, titres et papiers. Le but d’une telle opération est d’estimer au mieux la valeur vénale d’une succession ou du moins d’en assurer la transmission intégrale aux héritiers.

C’est précisément cet acte que j’ai pu trouver aux archives la semaine dernière (inventaire après décès du 23/12/1902). Alors, bien sûr, je n’ai pas tout compris… déjà parce que le notaire écrit comme un cochon, mais surtout parce que ce document est plein de circonvolutions et d’expressions notariales autant absconses qu’abstruses (ça veut dire à peu près la même chose mais on n’insistera jamais assez !). Je vous en donne ci-dessous un exemple, avant d’essayer de vous en livrer la substantifique moelle.

A la conservation des droits et intérêts des parties et de tous autres qu’il appartiendra sans que les qualités ci-dessus puissent nuire ou préjudicier à qui que ce soit, mais au contraire sous toutes réserves, il va être, par Maître Armand Groz, notaire soussigné, procédé à l’inventaire fidèle et à la description exacte du mobilier de toute nature, titres, etc.

L’inventaire du mobilier s’élève à 750 francs, sachant que ce qui a le plus de valeur se trouve dans la grange et l’écurie : 3 malheureuses vaches estimées respectivement à 170, 100 et 70 francs, quelques poules pour 9 francs, deux voitures (à chevaux) en très mauvais état pour 35 francs… Dans le reste du mobilier, on compte des armoires, des lits, des tables, des chaises, une horloge, des farinières (?) pour une valeur allant de 0,50 (sic!) à 20 francs… A la lecture de cet inventaire, on peut en tout cas se dire que la famille n’avait pas grand chose pour vivre…

17. un lit d’enfant 18. une farinière de vingt doubles décalitres 19. une horloge 3 francs 20. une petite farinière de quatre double décalitres 1 francs 50 21. une table, etc.

L’inventaire des titres et papiers consiste à exhumer les documents officiels. En l’occurrence, le contrat de mariage dont j’ai parlé plus haut et un testament qui institue la grand-mère légataire universelle des biens d’une vieille tante décédée dans un village voisin (mais je suppose que cet acte ne peut être pris en compte dans la succession du défunt car il s’agit des biens propres de la belle-mère).

Le dernier inventaire s’intéresse au passif, soit en gros, les dettes contractées par la communauté, et là -misère, misère !!!- celles-ci s’élèvent à 5734 francs ! Suit une liste de 21 créanciers qui attendent tous d’être payés, certains avec intérêts… Et si encore c’était pour des futilités, comme le dernier smartphone Apple ou un robot ménager dernier cri… mais pas du tout ! On parle là de biens de subsistance dont le paiement n’aurait pas été honoré : des fermages (loyers), du bois de chauffage, l’intervention d’une sage-femme, d’un paiement au recteur (sans doute des frais de scolarité, le recteur désignant à l’époque le maître d’école), des frais de deuil pour la veuve, etc. Autant de postes qui dénotent à nouveau l’extrême dénuement dans lequel se trouvait la famille.

5. Par M. Dumont de Poligny quarante francs 6. Par M. Antoine Armand vingt francs 7. Par M. Paris pour bois de chauffage quarante deux francs cinquante

Sans compter les nombreux usuriers sollicités sans doute pour rembourser des dettes antérieures : 680 francs dus à M. Picsou, créancier hypothécaire, 1560 francs à Melle Picblé, créancière, 1214 francs à M. Cresus, aussi créancier… Bref, une spirale infernale telle qu’en connaissent encore certaines personnes aujourd’hui.

Par M. Bailly créancier hypothécaire, etc.

La suite de l’histoire ? Qu’on se rassure : TOUS les créanciers ont pu être payés (ouf !). Mais ceci ne s’est pas fait sans peine supplémentaire pour la famille, avec un dépouillement encore plus grand à l’arrivée : très vite après cette formalité, Julie MARTINEZ vend en effet une partie de son mobilier aux enchères publiques (acte notarié du 27/01/1903) ce qui rapporte la modique somme de 88 francs (une lampe pour 0,25 francs, une horloge pour 5 francs, un buffet pour 44 francs, etc.). Puis la mère et sa fille procèdent à la vente aux enchères d’une partie des terrains, prés, vignes en leur possession, ce qui rapporte 3250 francs (acte notarié du 01/02/1903).

Est-ce ces conditions encore plus précaires qui ont entraîné le décès rapide des 3 autres enfants ? Misère et boule de gomme. Pour ma part, j’émets l’hypothèse que c’est la tuberculose qui a décimé la famille. En effet, au moment où le fils aîné est censé faire son service militaire, en 1908, il est exempté à cause d’une bronchite bacillaire du côté gauche. C’est peut être aussi la cause du décès du père, mais pour le moment, rien ne permet de l’affirmer.

Histoire de boucler la boucle, on ajoutera qu’en 1922, après le décès de sa grand-mère, puis de sa mère, à quelques mois d’intervalle, Raymond MAÎTRE, qui exerçait comme professeur à Besançon, procédera à son tour à la vente aux enchères des derniers biens de la famille, dont la maison. Il effacera ainsi les dernières traces de la présence séculaire de cette branche MAÎTRE dans le petit village de Brainans.

Des traces que j’ai eu quant à moi la chance de suivre le temps d’une consultation aux archives, me procurant l’immense satisfaction d’avoir fait un petit pas de plus vers l’homme qu’il était, ainsi qu’un grand pas vers son humanité si bien cachée…




Nous, les renégats de l’aptonymie

Aujourd’hui, nous allons parler d’aptonyme. A ne pas confondre avec l’haptonomie, qui comme les futurs parents le savent, est l’art de communiquer avec son bébé in utero, grâce au toucher et à des massages…

Certes, l’aptonyme a quelque chose à voir avec le bébé à venir mais plutôt dans une dimension prémonitoire… Mais fi de ce suspens insoutenable ! vous allez vite comprendre avec ces deux exemples d’aptonymes en image :

Source : http://devanturebulent.canalblog.com

Un aptonyme (néologisme  québécois formé du mot apte « approprié », et du suffixe -onyme « nom ») est donc un nom de famille ou un prénom possédant un sens lié à la personne qui le porte, le plus souvent en relation avec son métier ou ses occupations.

Un exemple célèbre d’aptonyme est Charles DE GAULLE, chef de l’État français dont la zone géographique correspond approximativement à celle de la Gaule dans l’Antiquité.

Quand on y réfléchit, on a tous des exemples d’aptonymes dans son entourage : ainsi, je me souviens que le ramoneur qui passait autrefois à la maison se prénommait… BLANCHET. Dans un village voisin, le maire s’appelle M. MAIRE… Et j’en oublie certainement…

Certaines personnes (groupes FB, sites Web, ou comptes Twitter) se sont lancé le défi de débusquer les aptonymes au hasard des rues et des devantures. A l’Université de Québec, il existe même un Centre canadien des aptonymes (CCA), qui a notamment retenu dans son répertoire le nom du docteur PIPPI-SALLÉ, urologue.

En France, c’est le Centre d’études et de recherches sur les aptonymes (CERA) qui joue ce rôle (hébergé par Fatrazie. Il faut aller voir leur base de données, cela vaut le détour!).

En 2017, une certaine Sandrine Campese a également écrit un livre sur le sujet (Petit dictionnaire insolite des aptonymes chez Larousse).

Comme mes articles ne sont jamais éloignés de l’histoire de ma famille, j’ai voulu constater de visu si nous avions beaucoup d’aptonymes parmi notre ascendance…

Eh bien, quelle ne fut pas ma déception : à part l’exemple récent et quand même remarquable de notre frère qui avec le patronyme MAÎTRE a réussi à mener une carrière d’instituteur, je peux affirmer que nous sommes les antithèses de l’aptonymie…

Chez nous, les BARBIER sont greffiers, les GREFFIER, palefreniers ou agriculteurs, les BARATTE du Jura n’étaient quant à eux ni crémiers, ni fromagers, contrairement aux MARTINET/MARTINEZ qui eux l’étaient. Aucun MOUCHET n’a versé dans l’oto-rhino-laryngologie et rien n’indique que leurs ancêtres MOCHET étaient particulièrement moches… à part peut être les MOCHET CROTTU, nommés ainsi pour les distinguer à Saxel (74) des MOCHET GANTELY ou MOCHET COLLOMB, tant ils étaient nombreux.

Pas de bouchers non plus parmi les francs-comtois BOILLOZ ou ROGNON / ROGUON, pas plus que chez les BOUCHERS de l’Aisne, qui eux étaient… tailleurs ou laboureurs ! De même, aucun des LECOUTURIER, ni des MERCIER n’a exercé comme tailleur ou couturier… Nous avons bien des CARRIER, des DUBOIS, des ROCH et même des ROY mais qui travaillaient dans les champs, en leur qualité de laboureurs. Finalement, seul un LE PRE est bien là où on l’attendait.

Un Jean LEBOULANGER était bûcheron. Un certain VIEULOUP était bourrelier, tandis que nos BOURLIER à nous étaient agriculteurs…

Quant à Denise LARCHEVEQUE de Prévessin (01), elle n’était pas née par l’opération du St Esprit : elle avait bel et bien un père qui de toute évidence n’était pas religieux. Pas plus de vocation non plus chez les AYMONIER dont aucun n’est devenu aumonier, loin s’en faut…

Si on se focalise sur les familles haut-savoyardes, là aussi, tout part à vau-l’eau : nous avons une Josephe d’ARENTHON qui vient de Veigy-Foncenex, une Michelle NEUVECELLE de Fessy, et une Marie COUTY -un quartier de Machilly- originaire de Loisin…

Quant aux caractéristiques physiques, en l’absence de preuve, rien ne permet d’affirmer que les COSTE-GROSOEIL, BELOEIL, BAUD, BEL, SAGE, SAINTILLAN, VAILLANT, AGAR, BETEMPS (synonyme de « beau temps ») portaient bien leur nom… ou pas. Ce qui dans ce dernier cas nous donnerait des contraptonymes. Nous connaissons tous l’exemple de Véronique SANSON, chanteuse ou de David DOUILLET, judoka…

Que s’est-il donc passé dans notre famille pour que nous devenions de tels renégats de l’aptonyme ?

Parce qu’à leur origine, presque tous les noms de famille étaient des aptonymes. En effet, à partir de 1539 (édit de Villers-Cotterêts), les surnoms -qui deviendront par la suite nos noms de famille- sont transmis de père en fils. Soit le nom était alors dérivé du prénom du père : ex. le fils de Jean devient DEJEAN, les enfants d’Etienne, THENON ou ETIEVANT, soit il était attribué selon le métier (ex BOULANGER, LECOUTURIER, LECLERC, etc.), selon une origine géographique (ex. LANGLAIS, LALLEMAND, DUMONT, etc) ou encore selon une singularité physique (ex. LEPETIT, LEGROS, LEFORT, etc.).

Peut-on en déduire que tous nos ancêtres avait cet esprit particulièrement rebelle qui les amenait à renoncer au métier suggéré par leur patronyme ? Je ne le pense pas. On peut même supposer qu’en remontant encore plus loin dans le temps -soit au 16ème ou au 15ème siècle-, chaque patronyme retrouverait son vrai métier…

Ainsi donc : inutile que plusieurs générations de MAÎTRE et de MOUCHET se sacrifient à l’aune des aptonymes anonymes en exerçant la profession d’avocats ou de notaires (ce qui donnerait Maître MAÎTRE) ou en dédiant leur vie aux problèmes de nez bouché…

Pour ma part, puisqu’il n’y a pas moyen d’en trouver chez nous, je ne résisterai pas à l’envie, en guise de conclusion, de subtiliser ailleurs quelques nouvelles pépites :

  • Dr NERISSON, spécialisé dans l’acupuncture
  • Dr ML MAC DONALD, spécialiste de la nutrition enfant et adulte et du traitement de la cellulite
  • Dr Nicole SOULACROUP, gynécologue
  • Dr Roselyne BARGEOT, psychiatre
  • Parmi les gastro-entérologues ayant exercé en France, nous retiendrons le nom du professeur BEDENNE du Dr PET
  • Au Québec, Pierre PLOUFFE est champion de ski nautique
  • Elisée RECLUS est quant à lui un célèbre grand géographe voyageur…

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