Recherches croisées franco-genevoises – Partie II

Ce sujet (Recherches franco-genevoises croisées) est divisé en plusieurs parties : 4 articles sont consacrés à la contextualisation, traitant chacun d’une période-clé de l’histoire locale. On trouvera néanmoins  à la fin de l’article, une rapide évocation des sources généalogiques relatives à la période donnée. Le dernier article (partie V) est un récapitulatif -sous forme de tableau- des différentes sources pouvant être utiles dans le cadre de recherches croisées Savoie/Canton de Genève.

L’occupation bernoise et les bailliages de Gex, Ternier-Gaillard et Thonon (1536-1567)

Début 1536, les Bernois, alliés de Genève, envahissent le Pays de Vaud, le Pays de Gex, les mandements de Ternier et Gaillard, et le Chablais (Thonon). Une nouvelle organisation s’instaure dans les pays nouvellement conquis : une trésorerie bernoise autonome est notamment créée. L’administration centrale s’installe à Lausanne et les territoires sont divisés en bailliages, dont ceux de Gex, Ternier-Gaillard et du Chablais (appelé aussi bailliage de Thonon). Pour celui de Ternier-Gaillard, une commission est nommée pour établir le nouveau régime. Un tribunal des moeurs appelé consistoire est établi aux portes de Genève, à Compesières, dont le château accueillera les 7 baillis qui se sont succédés durant cette période.

Guerres et occupations de 1536 à 1569

Source : Atlas historique du Pays de Genève : des Celtes au Grand Genève / Claude Barbier, Pierre-François Schwarz – La Salévienne, 2014

Situation après 1601

Source :  Atlas historique du Pays de Genève : des Celtes au Grand Genève / Claude Barbier, Pierre-François Schwarz – La Salévienne, 2014

Les baillis rendaient annuellement des comptes détaillés, comprenant les “censes et directes” (impôts), les “lods” (droits de mutation), les “amodiations” (locations), les appellations et amendes, le vin et le blé reçus, l’argent et le blé délivrés (aux ministres du culte et aux pauvres). (1)

Les bailliages de Gex, Ternier-Gaillard et du Chablais (Thonon) sont restitués à la Savoie en août 1567, suite à l’ultime ratification du traité de Lausanne signé le 30 octobre 1564 entre Berne et le duc (assorti d’une délimitation entre Gex et Vaud).

Non loin de là, la partie orientale du bailliage du Chablais (Evian) conquise en 1536 par les Valaisans est restituée en grande partie au duc par le traité de Thonon du 4 mars 1569.

Survol des sources généalogiques

On trouve aux AD 73 les dénombrements de la population en lien avec la gabelle du sel et le don gratuit (1561-1564) pour les bailliages de Gex, Ternier-Gaillard et du Chablais (rubrique Recensements de population). Des recensements de certaines communes du Canton de Genève se trouvent donc aussi dans ces documents (anciennes communes réunies)

Une source d’information très utile sur ces sources fiscales est à consulter sur Sabaudia

Sources bibliographiques (contexte historique)

Wikipedia (Etats de Savoie, Comté de Genève, Diocèse de Genève, bailliage de Ternier, Province de Carouge) / Dictionnaire Historique de la Suisse / Sources du site généalogique de la famille Mégard, notamment sur le bailliage de Ternier.


(1) Source : http://www.megard.ch/famille/public/sources_MM/EcritsBaillivaux.pdf




Recherches croisées franco-genevoises – Partie I

Ce sujet (recherches franco-genevoises croisées) est divisé en plusieurs parties : 4 articles sont consacrés à la contextualisation, traitant chacun d’une période-clé de l’histoire locale. On trouvera néanmoins  à la fin de l’article, une rapide évocation des sources généalogiques relatives à la période donnée. Le dernier article (partie V) est un récapitulatif -sous forme de tableau- des différentes sources pouvant être utiles dans le cadre de recherches croisées Savoie/Canton de Genève.

Diocèse de Genève et châtellenies de Savoie  (XIe-XVe s.) 

Du Vème siècle à l’an 1801, le diocèse de Genève dépend de l’archidiocèse de Vienne. Son territoire est vaste : il jouxte au nord les terres de l’abbaye de Saint-Claude, à l’ouest l’archidiocèse de Lyon, au sud, le diocèse de Grenoble et l’archidiocèse de Tarentaise, ainsi que les diocèses d’Aoste et de Sion.  A cela s’ajoutent la ville épiscopale (7 paroisses), son chapitre cathédral et ses couvents.

Sources: Helvetia Sacra, I/3, 1980; Encyclopédie de Genève, 5, 1986, p. 103 © 2005 DHS et Kohli cartographie, Berne.

Outre le pouvoir politique exercé par l’évêque de Genève, le diocèse de Genève développe une véritable emprise territoriale. Au XIème et au XIIème siècle, il fonde les monastères clunisiens de Saint-Victor et de Contamine-sur-Arve, les abbayes d’Abondance, de Peillonnex, Satigny, Sixt et d’Entremont, les couvents cisterciens de Bonmont, Hautecombe, Chézery, Saint-Jean-d’Aulps et Bellerive, et enfin les chartreuses d’Arvières, d’Oujon, de Vallon, du Reposoir, de Pomier et d’Aillon.

Le domaine propre (appelé aussi « temporel »)  de l’évêché s’étend également : construction au 13ème siècle du Château de l’Ile à Genève –repris peu de temps après par la Maison de Savoie- et des mandements de Jussy, Peney et Thiez.

La Maison de Savoie possède quant à elle un grand nombre de châtellenies, appelées aussi mandements, qui se regroupent en bailliages. En 1416, on compte pour la partie qui nous intéresse : les bailliages du Chablais (16 châtellenies, siège : Château de Chillon), du Faucigny (11 châtellenies, château de Chatillon), du Pays de Gex et du Genevois (Comté de Genève, château d’Annecy).

En 1439, le duc de Savoie Amédée VIII est élu pape et il en profite pour se réserver l’évêché de Genève en 1444 et en assurer le droit de présentation à ses descendants. L’évêché de Genève reste dans la dépendance de la maison de Savoie jusqu’à la Révolution, mais la réforme religieuse et politique de Genève conduit au départ de l’évêque en 1533 et à l’institution de la nouvelle Eglise réformée en mai 1536 par le Conseil général. Une réorganisation de l’ancien diocèse de Genève est entreprise dès la fin du 16ème siècle et Annecy prend peu à peu le rôle de nouvelle ville épiscopale.

Survol des sources généalogiques 

Pour la période du 12ème au 16ème siècle et pour les comptes de châtellenies, y compris pour le Comté de Genève, les archives sont divisées, en fonction du territoire, entre les Archives de la Savoie (AD73) et de la Haute-Savoie (AD74). Aux Archives de l’Etat de Genève, on peut trouver des reconnaissances de fiefs (y compris pour la Savoie) dans la série « Titres et droits ».

Sources bibliographiques (contexte historique)

Wikipedia (Etats de Savoie, Comté de Genève, Diocèse de Genève, bailliage de Ternier, Province de Carouge) / Dictionnaire Historique de la Suisse / Sources du site généalogique de la famille Mégard, notamment sur le bailliage de Ternier.




Recherches croisées franco-genevoises : introduction

Dans le cadre de ma formation à l’Université de Nîmes (D.U. Généalogie et Histoire des familles à distance – année 2019-2020), j’ai choisi d’étudier une des lignées de la  branche maternelle de mon conjoint. La particularité du couple auquel je me suis intéressée est qu’il était franco-suisse (selon les critères géographiques contemporains). Mais historiquement les ascendants du couple faisaient partie d’un même territoire : le Royaume de Piémont-Sardaigne.

Les résultats de mes recherches sont réunis dans le mémoire  Jean Pierre Greffier et Nicolarde Falquet : sentiers de la vie quotidienne en zone frontalière. J’ai souhaité prendre la frontière comme fil rouge car je voulais essayer de comprendre comment chaque génération avait composé avec cette réalité territoriale très prégnante. Les lieux étudiés sont principalement Veigy-Foncenex, commune située en Haute-Savoie et lieu de vie des GREFFIER et Collonge-Bellerive, qui faisait partie de la Savoie mais qui a été rattachée à la Suisse en 1816 par le Traité de Turin, au même titre que  22 autres communes du Canton de Genève (appelées « communes réunies »). C’est aussi la commune d’origine des FALQUET.  

A cette occasion et malgré un contexte compliqué (début de l’épidémie COVID), j’ai pu identifier les principales sources utiles en généalogie, aussi bien dans le canton de Genève qu’en France voisine. Je me suis aussi bien cassé le nez pour trouver le bon dépôt d’archives (Etat de Genève ? Haute-Savoie ? de Savoie ?) en fonction de la période dans laquelle je me situais. Cela implique de naviguer en permanence entre chronologie historique et inventaire d’archives. Je me propose donc de partager prochainement cette expérience, et de livrer ce que j’ai appris,  en espérant que cela puisse être utile à d’autres. J’ai découpé cette présentation en plusieurs parties correspondant à des périodes-clés de l’histoire régionale et induisant plus ou moins les dépôts d’archives qu’on peut  explorer.  

Mais vous l’aurez compris : avant d’entamer des recherches dans le canton de Genève et la zone frontalière de la Haute-Savoie, il est indispensable de bien situer le contexte historique du lieu qui nous intéresse. Particulièrement dans cette région, l’environnement politico-historique est très mouvant et extrêmement complexe : enchevêtrements de fiefs et de juridictions, communes limitrophes dépendant de deux administrations différentes, etc. Ainsi, du début du 16ème siècle à la moitié du 18ème siècle, le territoire a connu une occupation bernoise, cinq occupations françaises et une occupation espagnole. Sans compter les guerres franco-savoyardes, franco-genevoises, etc.




Un être tortillard se planque et toute la branche est dévoyée

ou comment un bout de branche qu’on pensait bien arrimé peut nous échapper…

On l’a assez dit : il ne faut pas faire de la généalogie dans l’espoir de trouver des ancêtres nobles au risque d’être déçu. Il est en effet plus probable d’avoir dans son ascendance des agriculteurs ou des domestiques que des seigneurs ou des notaires. De là, on pourrait penser que nos ancêtres étaient statiques, tout attachés qu’ils étaient à la terre qui les nourrissait et se transmettait de père en fils. C’est sans compter sur les évènements de la GRANDE HISTOIRE qui comme on le sait a singulièrement infléchi, pour ne pas dire busqué à l’image des branches de l’hêtre tortillard,  le cours de l’existence de nos ancêtres.

Un hêtre toritllard – source : par Roi.Dagobert (1)

Ainsi, pour la lignée MAITRE historiquement campée dans le village des irréductibles jurassiens de Brainans et où l’on est cultivateur de père en fils et jusqu’aux bouts des ongles incarnés, rien ne laissait penser qu’on aborderait des contrées lointaines, si ce n’est,  pour quelque aventurier, la perspective d’une échappée à une dizaine de kilomètres de là en vue de trouver casserole à son pied ou chaussure à son couvercle…  Et pourtant…

Il a 22 ans et s’apprête en ce mois de juin 1804 à quitter le giron familial pour rejoindre son lieu de casernement. Le 5 juin, suite à un tirage au sort (2) organisé dans son village d’origine, à savoir Mirebel dans le Jura,   il a en effet été enrôlé officiellement dans l’Armée Impériale pour servir Bonaparte, récemment nommé empereur des français (18 mai 1804). Augustin –c’est son prénom- n’est certainement pas le seul du village à partir. D’autres, parmi les hommes de 18 à 40 ans, célibataires ou veufs sans enfants , ont été comme lui enrôlés d’office pour servir qui dans l’artillerie, qui dans les hussards, qui dans la Garde à cheval. Le choix se fait selon la taille des conscrits. Pour l’époque, Augustin SANTONNAS est relativement grand… 1,74 m (blond, aux yeux bleux, mmmhhh !), il sera donc affecté au 1er régiment d’artillerie à pied (3). Il n’est pas certain qu’Augustin ait eu beaucoup de mal à partir. La vie ne l’a pas ménagé jusqu’à présent et en vérité,  il n’a pas grand-chose à perdre : dernier d’une famille de 7 enfants, il n’a pas connu son père, décédé 9 mois après sa naissance et il s’est trouvé orphelin à l’âge de 10 ans. Sans doute a-t-il été pris en charge, tout comme ses frères et sœurs encore vivants, par un membre de la famille, un oncle paternel peut être ?  Mais on peut fort aisément imaginer qu’il a passé bien plus de temps à travailler dans les champs que sur les bancs de l’école, pour autant qu’il ait été scolarisé (ce qui est peu probable car à cette époque, rares étaient les communes pourvues d’une école, surtout à la campagne).

Pendant qu’Augustin se prépare à quitter son village, voyons ce qu’il se passe au même moment à 500 km plus au nord…

Elle a 18 ans et en 1804, elle n’est pas encore considérée comme majeure. Elle habite peut être dans l’Aisne avec son père, tailleur d’habits,  et sa belle-mère. La mère de Josèphe Narcisse –c’est son prénom- est décédée en avril 1794 dans des conditions tragiques,  étouffée dans une cave lors de l’incendie provoqué par l’armée des Etats généraux des Provinces Unies à Prisches (Nord) à l’occasion du siège de Landrecies.  La petite n’avait alors que 8 ans.  Rien ne permet de dire si ses frères et sœurs ont péri dans l’incendie avec leur mère, Marie Catherine Josephe CAMUT, mais ce qui est certain, c’est que seules deux des filles de la famille semblent avoir eu une existence civile par la suite (actes à l’appui) : Marie Catherine Joseph, l’aînée et Josèphe Narcisse, la cadette. Elles ont 15 ans de différence et on peut aussi émettre l’hypothèse que c’est la grande sœur, mariée depuis 3 ans déjà au moment du décès de la mère,  qui s’est occupée de la petite. Le père quant à lui devait être absent lors de l’incendie car de par son métier, il est amené à se déplacer souvent.  En tout cas, ce n’est qu’en 1796, soit deux ans après,  qu’il vient déclarer le possible décès de sa femme à la mairie de Prisches.

Alors, comment ces deux-là se sont-ils rencontrés ?

Parti du Jura, Augustin SANTONNAS est donc affecté dans un premier temps au 1er régiment d’artillerie à pied de La Fère, dans l’Aisne, sans doute pour y suivre son instruction militaire en tant que futur canonnier. Fondé en 1720, le régiment de La Fère est issu du 1er bataillon du Royal Artillerie et devient en 1790 le 1er régiment d’artillerie où Napoléon Bonaparte a fait ses armes avant de devenir empereur. A ce titre, La Fère accueille aussi une prestigieuse école d’artillerie.

Est-ce que le père de Narcisse était tailleur d’habits pour le régiment ? ou son beau-frère –le mari de sa sœur- était-il lui-même militaire ? ou peut-être quelqu’un d’autre de sa famille ? Impossible de l’affirmer à ce stade. Toujours est-il que c’est à La Fère que ces deux-là ont dû se rencontrer en 1804 ou en 1805 (4). A la veille de la Saint-Valentin, il me plait d’imaginer que c’est parce qu’ils étaient faits l’un pour l’autre. On a le droit de rêver, même au 19ème siècle !

On imagine encore qu’Augustin n’est pas resté à La Fère pour s’adonner au tricot et qu’il a dû participer avec sa compagnie à des batailles, comme Ulm (octobre 1805) et/ou Austerlitz (2 décembre) et/ou Iéna (14 octobre 1806) et/ou Friedland (14 juin 1807). Heureusement pour nous ses descendants, il en est revenu. Et en mars 1808, on le retrouve de source sûre à Strasbourg où est basé un des bataillons du régiment de la Fère.

Pourquoi de source sûre ? parce que c’est lui qui vient déclarer la naissance de son premier fils, Emmanuel, le 2 mars 1808. Le petit est né au 4 Rue des Trois Hommes, sans doute le lieu de résidence de sa mère qui est alors âgée de 22 ans … Il est probable que Narcisse se soit enfuie de chez elle pour rejoindre Augustin contre l’avis de sa famille. Enfin… celle qui lui reste, car entre temps son père est décédé (1805). Quant à sa sœur aînée, les archives ne livrent pas d’informations si ce n’est qu’elle a eu une fille et que le couple est resté à Prisches. Bref ! voilà nos deux tourtereaux encombré d’un enfant illégitime –car né hors mariage- ce qui à l’époque n’était pas bien vu… Mais qu’à cela ne tienne, le pauvre Emmanuel, se sentant de trop, décède un mois après à Strasbourg. 

Néanmoins, la naissance d’un enfant a sans doute eu pour conséquence d’abréger la carrière militaire d’Augustin.  Le 18 septembre 1808, il part en effet en congé de réforme et rentre au pays avec Narcisse sous le bras.  Le couple se marie le 12 avril 1809 à Mirebel. Comme beaucoup d’anciens militaires, Augustin se voit –vraisemblablement- proposer un poste au service de l’Etat, en tant qu’exploitant forestier, ce qui amènera la petite famille à beaucoup bouger dans le département du Jura : Marigny en 1811, où naîtra un fils, La Marre, en 1816, où naîtra Clarisse Marie, notre ancêtre, et enfin Brainans à partir de 1819, où naîtront les deux dernières filles et où Augustin et Narcisse finiront leur vie, respectivement courte (1828) et longue (1875). 

Pour boucler la boucle, précisons que Clarisse Marie SANTONNAS, née en 1816 épousera en 1839 Félix MAÎTRE. Le couple aura 3 enfants, dont Aldegrin MAITRE, né en 1849, qui est notre AGP.


(1) Le Hêtre tortillard (Fagus sylvatica groupe Tortuosa, appelé aussi fau) est un hêtre caractérisé par un tronc tortueux et des branches et rameaux tordus et retombants qui lui donnent un port particulier comme un parasol. La croissance d’un hêtre tortillard est très lente. Mutation génétique, virus ou toute autre raison, l’origine de ces arbres reste un mystère. S’ils peuvent donner naissance à un arbre normal, l’inverse n’est pas possible. C’est un groupe rare que l’on trouve en nombre dans les bois de Verzy, près de Reims, mais aussi en Moselle, en Haute-Saône et en Allemagne.

(2) appelé aussi « conscription », un système de réquisition régi par la loi Jourdan du 19 fructidor an IV (5 septembre 1796)

(3) Ne me demandez pas pourquoi mais le Doubs, le Jura et l’Ain sont des départements où la taille des hommes est particulièrement grande, proportionnellement aux autres départements, selon l’étude très intéressante menée en 1863 par M. Boudin (qui,  lui, ne devait pas être très grand J) – cf références ci-dessous

(4) sur son acte de décès, il sera  indiqué que Narcisse était originaire de La Fère, où elle serait née le 15/08/1783 . En fait, la date ainsi que le lieu de naissance sont erronés, mais si ce lieu est ressorti, ça n’est certainement pas un hasard. 

SANTONNAS  Jean Augustin, né en 1782 à Mirebel (39), dcd en 1828 à Brainans (39), fils de Jean Pierre et de PROST Jeanne Claudine – conjoint : BOUCHER Josèphe Narcisse, née en 1786 à Prisches (59), dcd en 1875 à Brainans (39), fille de Pierre Joseph et de CAMUT Marie Catherine Josèphe – 5 enfants dont Clarisse Marie, AAGMP (6ème génération)

Sources : Boudin. De l’accroissement de la taille et de l’aptitude militaire en France (suite). Journal de la société française de statistique, Tome 4 (1863) , pp. 231-241. http://www.numdam.org/item/JSFS_1863__4__231_0/




L’émigration costarmoricaine

On a parlé de la jeune Jeanne GICQUEL, partie à 17 ans de son petit village de Côtes d’Armor pour  « se placer » dans une famille du Nord comme gouvernante. Elle n’est pas un cas isolé, loin s’en faut ! A partir des années 1860, les bretons se sont mis à émigrer en masse. En cause : la chute de l’industrie textile, la surpopulation et une misère extrême. Il n’y a alors plus assez de terres à cultiver.

Alors, on se regroupe pour partir sur les routes comme pillotou (marchand de chiffons ambulants), souvent en direction de la Normandie. C’est vraisemblablement le cas de Victorine, la sœur aînée de Jeanne, qui avec son époux Jacques Marie PELLAN, sont désignés comme marchand de tissus dans certains actes d’état-civil à partir de 1920. Ils ont d’ailleurs passé une partie de leur vie en Normandie avant de revenir s’établir à Moncontour, en Côtes d’Armor. De même, Anne Marie MORIN, sœur de Louis, notre grand-père, est partie s’établir définitivement après 1895 en Normandie avec son mari Jacques COUVRAN, comme marchands de chiffons.

Entre 1850 et 1950, un grand nombre de bretons des Côtes d’Armor partaient comme simples ouvriers agricoles pour faire des « saisons » sur l’île de Jersey, notamment pour le ramassage de pommes de terre. Beaucoup viennent de Ploeuc et de Plémy. Les conditions de vie étaient difficiles. Pour autant, certains n’ont pas hésité à s’installer définitivement dans l’île avec femmes et enfants. Dans une moindre mesure, une émigration agricole s’est produite également en direction de l’Aquitaine, région dépeuplée qui  de 1920 à 1940 avait besoin de main d’oeuvre pour s’occuper de terres inexploitées.  Il s’agissait là d’une émigration organisée qui répondait à une logique économique. Pour le moment, pas de personnes connues dans les branches MORIN ou GICQUEL qui se seraient installées à Jersey ou en Aquitaine dans le cadre de cette émigration, mais il n’est pas exclu qu’il y en ait.

Enfin, comme nous l’avons vu, au début du 20ème siècle, les femmes partaient   se placer soit comme « nourrice sur lieu » un peu partout en France, soit comme domestiques (bonnes à tout faire, cuisinières, ménagères, etc.).  

Pour aller plus loin :

  • Sur le site de l’Institut de documentation bretonne et européenne (IDBE), on trouve l’étude de l’Abbé Elie Gautier sur l’émigration bretonne ainsi que des coupures de presse sur ce thème
  • Les émigrants bretons à Jersey / Mark Boleat, traduction par Alain Boleat – mars 2016 –



Jeanne : du moulin de Cohorno à la vie de château…

Elle a exactement 16 ans, 10 mois et 7 jours ; et ce 2 novembre 1911, elle quitte déjà son village, sa famille, ses amis, pour sauter dans l’inconnu. Le poète dit qu’on n’est pas sérieux quand on a 17 ans, et sans doute ne l’est-elle pas non plus  ayant eu la chance de vivre une enfance heureuse au moulin de Cohorno, à Plémy, dans les Côtes d’Armor,  avec un papa meunier qui prenait le temps de faire réciter les leçons et de jouer avec ses enfants. C’est une fille vive, espiègle et douée pour les études. Elle a obtenu son certificat d’études, ce qui était rare pour une fille, et elle était toujours classée deuxième aux examens du canton… “Comme Poulidor”, dira t’-elle. Mais c’est aussi une jeune fille rêveuse. Chargée de mener les bêtes au champ et ne sachant que faire de ses mains attacha la queue de 2 vaches ensemble. Elle ne se rendit compte de sa bévue qu’au moment où le troupeau commença à s’éparpiller…

1915 – Jeanne GICQUEL 21 ans

Mais pour l’heure, sérieuse ou pas, Jeanne se trouve bel et bien face à la réalité : 4ème d’une famille de 8 enfants,  elle est en route pour Lens à plus de 600 km de là où elle s’apprête à servir comme gouvernante dans une riche famille. Certes elle n’est ni la première, ni la dernière,  à « partir voyager » comme on dit. Beaucoup de jeunes filles ou de jeunes mères partent se placer à Paris, Toulouse, Biarritz, ou en Belgique comme cuisinières, bonnes ou nourrices « sur lieu », ces dernières étant les moins bien loties car elles abandonnent alors leur propre nourrisson tout juste sevré, ainsi que leurs autres enfants pour s’occuper du frère de lait. Les bretonnes sont en effet très recherchées par les familles de Paris et du Nord, notamment celles venant de Côtes d’Armor. Dans le village à côté, à Ploeuc, il existe même depuis 1889 une agence de placement pour les nourrices. “Se placer hors du pays” est donc de bon ton en ce début de 20ème siècle, surtout que cela soulage la charge de familles souvent nombreuses.

Région de Ploeuc – carte 1930

Pour autant, il faut qu’elle ait bien du courage, notre petite Jeanne pour braver l’inconnu, elle qui n’a jamais quitté son environnement que pour aller à Lamballe, à 20 km de là, vendre des bêtes avec son père.

A-t-elle choisi de partir ? la question n’a pas lieu d’être car à ce moment-là, le luxe du choix n’existe pas. Elle a certainement été encouragée à le faire. En réalité, sa sœur Victorine, de 6 ans son aînée, a déjà été placée pendant 3 ans à Lille chez la famille DELCOURT pour s’occuper des enfants. Et c’est cette famille qui a contacté la maman (de Victorine et Jeanne) pour savoir si elle connaissait une jeune fille pour un couple d’amis.  De là à y voir une opportunité à saisir, il n’y a qu’un pas…

C’est l’occasion de faire un apport d’argent car on peut imaginer que Jeanne en enverra régulièrement à ses parents. C’est surtout l’occasion –mais la jeune fille à ce moment-là n’en mesure pas les conséquences pour elle-  de sortir d’une trajectoire de vie très prévisible, consacrée aux travaux des champs et à des tâches exigeantes et peu gratifiantes.  L’occasion de s’élever socialement, même si jusqu’à la fin de sa vie elle ne reniera jamais ses origines et saura toujours rester très humble.

Donc… cap sur Lens !  Le voyage commence à L’Hermitage-Lorge, où elle est amenée par son frère aîné et le meilleur copain de celui-ci, Louis MORIN qui deviendra par la suite son fiancé, puis son époux… Elle prend un train qui l’amène à Saint-Brieuc, où elle doit attraper un autre train de nuit qui l’amène à Paris, gare Montparnasse. De là, elle doit se rendre en taxi à la gare du Nord pour prendre le train pour Lens, avec encore un changement à Arras.

Arrivée là-bas, elle est accueillie par une grande dame élégante, qui s’avère être sa future patronne. Il s’agit de Madame Marguerite-Marie SPRIET, fille d’Auguste BONTE, riche négociant lillois, président du tribunal de commerce de Lille, officier de réserve dans l’artillerie. Le mari, Charles SPRIET, est ingénieur des mines. Quand Jeanne arrive dans la famille en 1911, il y a un seul enfant, une petite fille nommée Geneviève. Elle sera très vite rejointe par un garçon en janvier 1912, puis un autre en 1913, en  1914 et en 1915, une fille en 1917, etc. (il y en aura 11 en tout, mais durant son service de 7 années, notre Jeanne s’occupera de 6 enfants, ce qui est déjà pas mal…

1917 – Jeanne GICQUEL avec 6 des enfants de la famille SPRIET-BONTE

Ecoutons-la nous parler de son expérience :

Je garde un bon souvenir de Lens. La maison située Rue du 14 juillet était une jolie demeure bourgeoise. Il y avait un petit jardin, des domestiques, une cuisinière, une femme de chambre, un cocher, (les autos sont venues plus tard). […] Nous allions à Lambersart tous les 15 jours, chez M. Bonte, le père de Mme Spriet, qui habitait un beau château, avec un immense parc et beaucoup de personnel. C’est dans le luxe que j’ai appris la simplicité d’une vie vraie, où chacun trouvait sa place en restant lui-même. Les domestiques, comme les maîtres, étaient accueillants et dignes. M’occupant des enfants, je vivais avec eux, près de leurs parents. On me servait, sans jamais me faire sentir que j’aurais pu le faire, et le cocher attelait ses chevaux pour aller me conduire à Lille pour faire quelques courses. Il portait mes paquets, toujours avec gentillesse et avec correction.

M. Bonte, ayant été député, et donc très connu, donnait de grands dîners ; c’était fastueux ; c’était toujours le soir. Cela me faisait penser à la cour de Versailles, tout était illuminé, beaucoup de serveurs en habits et gants blancs, tous les plats en argent, la porcelaine de Chine, le cristal étaient sortis.

Les voitures arrivaient ; la concierge prévenait par un coup de cloche et les invités défilaient en grande tenue dans l’immense vestibule, où se trouvaient toutes les portes des salons et des salles à manger. Première réunion au billard, et ensuite, l’un des serveurs annonçait : « M. X donnera le bras à Mme Y » et tous se mettaient à table, et tard dans la nuit, on annonçait « la voiture de Monsieur et Madame Untel est avancée ». Et la petite bretonne que j’étais trouvait cela tout naturel, sans envier qui que ce soit. J’en garde encore un agréable souvenir en trouvant que la vie m’a donné un plus grand bonheur. (1)

Château de Lambersart, propriété de M. Auguste BONTE

Jeanne demeurera sept ans au service des SPRIET, dont pendant la guerre où elle et Mme SPRIET ont dû déménager 27 fois avec les enfants (le mari et père, était alors mobilisé)  : Le Tréport, puis Ruffec en Charente, puis Jarnac, Saint-Cloud, Versailles, Lille, etc. Elle restera toujours très unie avec Mme SPRIET et les 6 enfants qui sont souvent venus la voir dans les Landes.

(1) extrait du premier cahier écrit par Jeanne en 1980 à Banos.

Voir aussi la Photothèque des personnes et des lieux

GICQUEL Jeanne, née en 1894 à Plémy (22), dcd en 1983 à Banos (40), fille de Mathurin François et de AGAR Victorine Anne , Conjoint : MORIN Louis, né en 1891 à Ploeuc-sur-Lié (22), dcd en 1973 à Banos (40), mariés le 15 décembre 1918 à Plémy (22), 3 enfants.  

Sources : Toinard, Roger, Du trou noir à l’embellie ou l’histoire de l’émigration costarmoricaine de la Révolution à nos jours, sl, 2012, 438 p.

A lire : Donatienne de René Bazin, publié en 1903, qui parle de la -triste- destinée d’une mère de famille de Ploeuc partie se placer comme nourrice à la ville pour aider financièrement sa famille