Une vie de filature (1)

Nous avons quitté notre jeune Louis MORIN alors qu’il se remettait tout juste d’une blessure causée à la jambe gauche par une grenade, blessure assez sérieuse puisqu’il est hospitalisé près du Mans pendant 3 mois 1/2. Le 12 décembre 1918, il bénéficie d’une permission exceptionnelle d’un mois pour se reposer et accessoirement… se marier !  Nous le retrouvons donc le 15 décembre 1918 pour le mariage civil, à Ploeuc, dans les Côtes du Nord (appelés à présent Côtes d’Armor). Certes, comme vous n’avez pas manqué de le remarquer, c’était un dimanche, mais le maire qui est agriculteur impose son rythme : il officie un seul jour par semaine et c’est celui où il n’est pas aux champs !  

Le mariage religieux a lieu 2 jours plus tard, Louis tout pimpant dans son uniforme avec des galons neufs, Jeanne sur son 31 avec sa coiffe, son beau châle brodé à Paris pour la circonstance et son tablier en soie brochée avec une jolie dentelle. (Photo couple au mariage).

Louis MORIN et Jeanne GICQUEL à leur mariage en 1918

Il a 27 ans, Jeanne en a 24. Il aura passé 7 ans de sa vie à « servir son pays » comme on dit. Oui vous avez bien lu : SEPT !!!  deux ans de service militaire « classique », puis quatre appelé à batifoler avec la mort en Champagne, dans la Somme et à Verdun. Et enfin, comme si cela ne suffisait pas, une démobilisation qui tarde à arriver : tout frais marié qu’il est, on l’envoie en effet après sa permission à Limoges pour aider au recensement du blé et du bétail auprès d’agriculteurs qui, échaudés par l’occupation allemande, cachent tout … Le 18 août 1919, Louis est enfin libéré de ses obligations militaires mais pour une obscure raison, il est envoyé à Lille pour superviser la distribution du matériel en provenance des Etats-Unis qui doit servir à redémarrer les usines du Nord.

C’est là qu’un industriel lillois, M. Lefèbvre,  le remarque et lui propose un poste comme agent de maîtrise dans sa filature à Loos (59). On peut imaginer que c’est aussi à cette période que Jeanne, son épouse, le rejoint dans le Nord puisqu’en juillet 1920 a lieu la naissance de leur premier enfant, une fille : Marie-Louise.

Le couple habite alors 298 Rue Solférino, à Lille et ils ont dû y rester plus d’un an,  jusqu’à ce que Louis MORIN change d’employeur : le 1er février 1922, il  est en effet embauché par la prestigieuse entreprise THIRIEZ qui entre autres avantages sociaux, a la particularité de fournir un logement à ses employés.




Une vie de filature (2)



Louis MORIN chez THIRIEZ par Anne-Catherine Mouchet

Pour aller plus loin :

L’évolution des «Établissements J. Thiriez père et fils et Cartier-Bresson». In: L’information géographique, volume 24, n°1, 1960. pp. 33-36. – DOI : https://doi.org/10.3406/ingeo.1960.1962

CANDIANI, C. (journaliste en 1948). (diffusion : 3 avril 2021). Des taudis lillois aux filatures modernistes de Roubaix : reportage dans le nord de la France en 1948. Dans GARBIT, P. (réalisateur). Les Nuits de France Culture. France Culture https://www.franceculture.fr/emissions/les-nuits-de-france-culture/ainsi-va-le-monde-visite-dans-le-nord-de-la-france-1ere-diffusion-18111948-chaine-parisienne-0

PELLISSIER, Y. (journaliste). (diffusion : 12 juillet 1978). Reportage sur le textile chez DMC Lille et Loos. Dans JT FR3 Nord Pas de Calais.  France Régions 3 Lille – https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/video/rcc99006602/reportage-sur-le-textile-chez-dmc-lille-et-loos

Musée Filatures Thiriez-DMC (2017). Les filatures de Coton dans le Nord de la France, par le Musée TCB. https://vimeo.com/216470576




Une vie de filature (3)

Et qui pourrait le mieux parler de cette maison que Thérèse MORIN elle-même ? Laissons lui donc la parole (cette présentation étant extraite de quelques pages de souvenirs écrites par Thérèse en 2004) :

Dans une maison à 2 étages sans eau au robinet mais avec une pompe à actionner dehors avec des brocs que l’on montait dans les chambres pour qua la toilette se fasse dans une cuvette où, durant l’hiver, on cassait la glace pour se laver !!! Si on voulait prendre un bain, on chauffait l’eau qu’on vidait dans une jolie cuve en bois comme étaient les tonneaux. Cette cuve était alors mise dehors, c’était un régal !

J’ai le souvenir qu’un jour des rats sont passés par la bouche de la pompe à eau… on n’a pas été empoisonné ; la preuve : j’ai 77 ans !!!

Nous avons eu le bonheur d’habiter une maison avec un jardin. C’était un jardin ouvrier où quelque 10 parcelles étaient distribuées entre plusieurs personnes mais nous avions la possibilité d’en profiter au maximum, notamment des allées pour faire du vélo.

On n’avait ni électricité, ni radio, ni téléphone. On était éclairé par un bec de gaz qui était au centre de la salle à manger ; un bec de gaz qu’on allumait avec des allumettes lorsque le jour baissait, alors on était obligés de rester ensemble dans la même pièce.  […]

Exemples de bec de type Argand, Papillon et Manchester.
Source photos :  site Lumiara

Nous avions la chance d’avoir un jardin très bien entretenu par notre papa. Nous avions énormément de bons légumes sans aucun engrais, si ce n’est l’utilisation du purin que papa prélevait dans la fosse sous le WC qui, lui, se trouvait en dehors de la maison. Même avec moins 15°, on y allait (BRRR !!!) , il n’y avait pas de chasse d’eau. On utilisait des morceaux de journaux comme papier cul !!! On allait pomper de l’eau pour nettoyer le WC.

Nous n’avions comme chauffage qu’un fourneau au charbon qui était dans une pièce. Mais il était assez important pour diffuser un peu de chaleur dans les 3 pièces en enfilade. Par contre, dans l’arrière-cuisine où on faisait la vaisselle, pas question de chauffage ! l’eau était chauffée sur le feu et transportée dans une bassine dans cet endroit. Pas de produits à vaisselle ! mais du savon de Marseille.

Pour aller dans nos chambres, nous n’avions que des bougies et pas de chauffage. Nos devoirs étaient faits dans la pièce commune mais sans difficultés ; on sentait les bonnes odeurs des repas préparés par maman. […] j’ai connu aussi, à la place des bougies, des lampes pigeon : il y avait un réservoir d’huile, une mèche, un verre et cela tenait plus longtemps que les bougies. C’était du luxe !

Nous avions une maison très agréable […] elle comportait beaucoup d’avantages : une verrière sur la salle habituelle de rassemblement, très claire avec une porte vitrée qu’on ouvrait dès que la température le permettait. Dans cette pièce, il y avait le fourneau très important, très apprécié, en hiver surtout. Du carrelage par terre, une grande table où l’on se retrouvait tous. Au centre une salle à manger peu utilisée à cause de sa place sans fenêtre, sans luminosité. A la suite il y avait pour nous la salle de jeux. Il y avait dans notre enfance des coffres qui nous appartenaient, lesquels étaient recouverts de coussin où on pouvait s’asseoir au sol. C’était un plancher bien entretenu, sur lequel on a beaucoup joué avec aux pieds des chaussettes (trouées), on pouvait y glisser, c’était formidable. Maintenant je me dis que maman devait choisir de nous laisser glisser pour nettoyer le paquet !!!

Au 1er étage, il y avait 2 chambres et au 2ème, il y avait 1 chambre et un genre de grenier. Par contre, les escaliers étaient aussi bien cirés que les salles du bas et notre joie était de les descendre sur le derrière ! ça glissait tellement bien ! notre papa faisait comme nous. Les plus audacieux comme Jean et Marie-Louise descendaient sur la rampe !

Il y avait un sous-sol, une cave où se gardait le tonneau de bière que nos parents confectionnaient avec les légumes du jardin, par exemple les chicons ou endives ou barbes de capuçon qui poussaient en cave l’hiver dans un compost sable et terre. Dans l’autre partie de cave était le charbon, seul combustible à ce temps là ; il nous était livré par un soupirail.

Dans le jardin dont papa était un expert, nous avions de très bons légumes mais aussi de ces jolies fleurs violettes, pois de senteur, roses, dahlias. De ce côté-là, notre papa faisait plaisir à maman amoureuse de fleurs (j’ai hérité d’elle !!!). Il y avait des seringhas très odorants dans notre petite cour derrière la maison. Il y avait aussi un poulailler, donc des œufs frais, des poules et poulets à déguster ! Dans ce jardin dont nous pouvions profiter, il y avait un tel espace que nous faisions du vélo et nous pouvions nous installer où bon nous semblait. Je me revois vers 10 ans installée avec ma grand amie Mimie sur un tas de fumier taillé au carré jouant à la recherche de mots sur le dictionnaire !!!




L’évolution de l’espérance de vie

De temps en temps, j’aime bien me pencher sur les statistiques liées aux données généalogiques que je saisis dans mon logiciel sinon préféré, du moins attitré (je pense en changer bientôt). Outre le fait que je peux ainsi apprendre que j’ai à présent une base de données contenant 4186 individus et 1080 noms de famille différents, répartis sur 360 lieux, j’ai aussi accès (via Geneanet cette fois) à des informations plus exotiques, comme : la fréquence des signes du zodiaque dans mon arbre familial ou l’influence de la lune sur les naissances (en l’occurrence, dans notre cas, il n’y en a pas, les 4 phases lunaires étant également réparties).

Mais je peux aussi extraire des informations selon des critères très précis. Aujourd’hui, j’ai choisi de m’intéresser à l’âge que pouvait avoir nos ascendants au moment de leur décès.

L’extraction effectuée via Geneanet à partir de mon propre arbre généalogique (plus exactement : celui de mes enfants) donne le résultat suivant :

âge moyen au décès – données issues de Geneanet à partir de l’arbre généalogique familial – 2021

Quelques commentaires concernant ce graphique : tout d’abord, les individus ayant vécu au 17ème siècle sont trop peu nombreux dans mon arbre pour s’attarder sur les résultats obtenus à cette période.

Par contre, à partir du 18ème siècle, les données commencent à être assez fiables : ainsi, l’âge au décès se situe pendant une longue période autour de 40-50 ans, avec des variations importantes selon le sexe. On peut l’expliquer bien sûr par le fait que les causes de mortalité sont différentes (très caricaturalement, on évoquera les épisodes de guerre pour les hommes et les risques liés à l’accouchement pour les femmes). Cependant, j’ai voulu en savoir plus sur la surmortalité féminine de 1775 qui apparait nettement sur le graphique : d’après un article d’Alfred Perrenoud qui a mené des investigations sur la population genevoise aux XVIIIème et XIXème siècles (1) , “l’aggravation de la situation des femmes au XVIIIème siècle est certainement à mettre en rapport avec le développement du travail féminin“. Etant plus faibles, celles-ci meurent plus facilement d’affections pulmonaires ou des suites de couches.

Dans les années 1850, on constate un net décrochement cette fois plus marqué pour les hommes. De manière générale, on peut l’expliquer par les deux grands épisodes cholériques qui ont affecté la population française en 1832 et 1854, et également par les conséquences de la guerre franco-prussienne en 1870. Il n’en reste pas moins qu’à partir de 1860, la mortalité diminue, plus rapidement pour les femmes que pour les hommes, et la différence entre l’espérance de vie des femmes et celle des hommes commence à croître. 

Les conséquences de la guerre 14-18 et de la grippe espagnole sont encore visibles sur le graphique, mais dans une moindre mesure (peut être dû à la spécificité de mon arbre qui contient peu de poilus). Puis, l’âge moyen au décès croit régulièrement jusqu’à atteindre 75 à 85 ans dans les années 2000, avec toutefois une évolution différente suivant le sexe des individus. Si l’on en croit l’INED (Institut National des Etudes Démographiques) : “Au début des années 1990, le risque de mortalité des hommes entre 15 et 70 ans est 2,5 fois plus fort que celui des femmes du même âge, la surmortalité masculine atteignant 3,3 entre 20 et 25 ans. Depuis le milieu des années 1990, la surmortalité des hommes diminue, en France comme dans la plupart des pays industrialisés”.

Pour finir, relevons que ce graphique est assez représentatif des tendances constatées en France et dans la plupart des pays européens au fil des siècles passés, comme le montrent l’infographie et le graphique ci-dessous : une espérance de vie proche de 30-35 ans jusqu’en 1750, puis 50 ans jusqu’en 1935 et enfin 70-75 ans dans les années 60. On sait que depuis, l’âge moyen au décès ne cesse d’augmenter : en 2020, l’espérance de vie pour une femme est ainsi de 85,1 ans et pour un homme de 79,1 ans.

(1) Perrenoud Alfred. Surmortalité féminine et condition de la femme (XVIIIe – XIXe siècles). Une vérification empirique. In: Annales de démographie historique, 1981. Démographie historique et condition féminine. pp. 89-104.

Pour aller plus loin :

Eggerickx, Thierry. Léger, Jean-François. Sanderson, Jean-Paul. Vandeschrick, Christophe. (2018) Inégalités sociales et spatiales de mortalité dans les pays occidentaux. Les exemples de la France et de la Belgique. Espace populations sociétés. DOI: 10.4000/eps.7800




Dans la famille MORIN-GICQUEL, je voudrais…

Et si je vous invitais à découvrir avec moi les cartes qui composent notre jeu des 7 familles ? En initiant ce blog, je n’avais pas l’intention de livrer des données généalogiques brutes de peur de perdre l’attention du lecteur. Néanmoins, à partir du moment où j’ai pu le reconstituer, il me semble important de parler du groupe familial qui a participé à la construction de la personnalité de nos ancêtres.

Nous commençons aujourd’hui avec la grand-mère… que nous connaissons déjà : Jeanne GICQUEL est l’épouse de Louis MORIN. Le couple a eu 3 enfants : Marie-Louise, Jean et … Thérèse, bien sûr !

Le père de la grand-mère : il s’appelle Mathurin, il est issu d’une famille de meuniers et il travaille au moulin de Cohorno à Plémy. Il a deux frères, l’un est aussi meunier et l’autre cultivateur ; les frères GICQUEL sont tous réunis dans le même hameau.

La mère de la grand-mère : Victorine AGAR est la dernière d’une famille de 12 enfants (!). Quelques uns de ses frères et soeurs se sont exilés à Paris pour trouver un travail mais elle, est restée au pays. Elle participe certainement activement au bon fonctionnement du moulin.

Ensemble, ils ont eu 8 enfants :





Mathurin était le meilleur ami de notre grand-père. Il est malheureusement mort à la guerre.

Victorine quand elle était jeune a aussi été placée comme gouvernante dans une famille d’industriels lillois, les DELCOURT. Elle y est restée 3 ans. Puis elle s’est mariée avec Jacques PELLAN, un garçon du pays qui était aussi son cousin éloigné. Le couple tenait un commerce de tissus dans la Manche. Ils n’ont pas eu d’enfants et sont revenus vivre à Moncontour au moment de la retraite.

Marie Sainte n°1 est décédée alors qu’elle n’avait que 3 ans.

Jeanne est donc la 4ème de la famille.

Pierre est resté au pays. Il était cultivateur et a épousé Angélique LENORMAND de Plémy également. En principe, leur mariage devait avoir lieu en même temps que celui de nos grands-parents, mais ce dernier a été retardé parce que notre grand-père était encore hospitalisé suite à une blessure de guerre. Pierre et Angélique ont eu 2 enfants.

Marie Sainte n° 2 était bonne du curé. Pour des raisons qui restent obscures, elle a été internée à l’hôpital psychiatrique de Bégard (Côtes d’Armor). Elle y est décédée à l’âge de 40 ans. Notre grand-mère n’en a jamais parlé…

Jacques est né en 1900, il a épousé une MORIN qui -a priori- n’a rien à voir avec ceux de notre famille. Ils ont eu une fille, Gisèle qui est la maman des 3 enfants BURLOT.

Virginie, la petite dernière, est restée longtemps célibataire. Au début de sa vie professionnelle, elle était employée de maison à Rambouillet. C’est elle qui s’est occupée de sa maman jusqu’à la fin de sa vie (1940). Elle a ensuite épousé Jean Baptiste GALLAY et ils ont eu 2 enfants.

On notera que seule Jeanne est partie définitivement des Côtes d’Armor. Dans sa famille, elle avait de ce fait un statut un peu particulier. D’après ce que m’a expliqué une des cousines de notre maman, les rares retours au pays de la famille MORIN-GICQUEL étaient très remarqués : les enfants MORIN impressionnaient par leur tenues toujours impeccables et leurs manières venant de la ville 🙂




Les gueules cassées (1)

Tout dernièrement, j’ai lu avec grand intérêt La Chambre des officiers de Marc Dugain. L’auteur y raconte l’histoire de son grand-père, Adrien, jeune officier du Génie, qui lors d’une opération de reconnaissance au tout début de la guerre est défiguré par un éclat d’obus. Il devient alors une gueule cassée.  « Il ne connaîtra pas les tranchées boueuses, puantes et infestées de rats. Il ne connaîtra que le Val-de-Grâce, dans une chambre réservée aux officiers, pièce sans miroir où l’on ne se voit que dans le regard des autres. Adrien y restera presque cinq ans pour penser à l’après, pour penser à Clémence qui l’a connu avec son visage d’ange » (extrait de wikipedia).

Chez moi, cette lecture a inévitablement fait écho avec celle de l’excellent Au-revoir là-haut de Pierre Lemaître, contant l’histoire d’Edouard Péricourt, une autre gueule cassée.

Pour autant, je ne pensais pas avoir l’occasion d’évoquer le sujet dans ces lignes car à ma connaissance, nous n’avons pas eu d’ancêtre à qui cela soit arrivé. Quand bien même : rares sont ceux qui ont trouvé le courage d’en livrer un témoignage personnel. Et pourtant…

En faisant des recherches sur notre grand-père paternel –encore et toujours !-, j’ai trouvé la trace d’un de ses très bons amis avec lequel il a fait ses premières armes en tant que professeur de Lettres. Ils habitaient dans la même résidence, Square Castan à Besançon,  comme en attestent les relevés du recensement de 1926.

François Eugène BEAUQUIS –c’est son nom- est né en 1897 à Marcellaz-en-Albanais (74). Quatrième enfant d’une famille qui en comptait 6, il était fils de cultivateur. On le retrouve pourtant à la veille de la guerre étudiant à Fribourg en Suisse (source : fiche matricule 208 – Recrutement Annecy – 1917). Pourquoi, comment, pour lui qui venait d’un milieu très modeste ? je n’en ai pour l’instant aucune idée.

Toujours est-il qu’il a à peine 19 ans (!) quand il est mobilisé. Il est alors soldat signaleur-téléphoniste au 97ème régiment d’infanterie alpine de Chambéry. Mais laissons-le nous expliquer lui-même la suite de l’histoire

Cela se passait… en des temps très anciens…, le 24 juillet 1918. Mobilisé à l’âge de 19 ans à peine, j’étais soldat signaleur-téléphoniste à la 2 C du 97e  régiment d’infanterie alpine de Chambéry. «Bleuet » de la classe 17, après une très courte période d’instruction dans un camp de la Drôme puis à l’arrière du front des Vosges, j’avais participé sans anicroche à différentes opérations plus ou moins meurtrières en Alsace et surtout en Picardie (Lassigny – Le Piémont : mars 1918). Bref, ce soir-là, 24 juillet, après avoir été engagé dans la deuxième bataille de la Marne (région de Dormans) destinée à enrayer la formidable offensive allemande menée par Ludendorff, mon unité se trouvait lancée en une contre-offensive difficile dans la forêt de la Montagne de Reims. En fin de journée, malgré notre épuisement, l’ordre arriva de tenter un « coup de main » sur un boqueteau occupé par l’ennemi.

Tout semblait calme et propice à une attaque par surprise. Mais dès que nous essayâmes de déboucher du «Bois des Dix Hommées», ma section fut accueillie par un feu très nourri de mitrailleuses et une averse de «88» autrichiens. Soucieux de ménager la vie de ses hommes, l’officier qui nous commandait fit passer la consigne : « Planquez-vous derrière les arbres et attendez mes ordres ! Je vais demander l’appui des tanks ! ». En 1918, l’infanterie française était assez souvent solidement épaulée par les fameux petits chars « Renault », moins lourds et plus faciles à manœuvrer que les mastodontes de l’armée britannique, alors que les Allemands n’en avaient pas… ou presque pas. Pour ma part, je n’en ai jamais vu. Nous voilà donc disposés en tirailleurs, mes camarades de combat et moi, derrière un rideau de sapins, à l’orée du bois où sifflent les balles… et nous attendons. Tout à coup, sur notre gauche, le ronflement caractéristique des petits « Renault » et aussitôt des explosions brutales d’obus ! J’entends mon voisin crier : « Pourvu que ces vaches-là ne nous tirent pas dessus ! ». Au même instant, j’avais la tête traversée par un éclat d’obus de 37 et je tombais comme une masse.

Mes camarades m’ont vraiment cru mort et m’ont alors abandonné pour continuer l’attaque avec les tanks. Je ne sais combien de temps je restais étendu au pied d’un sapin… Quand je revins à moi, les premiers réflexes de l’instinct de conservation jouèrent comme un mécanisme automatique. Je portai la main à mon visage et vis qu’elle était rouge de sang… « Tiens ! Je suis blessé ! ». Je sentis quelque chose de dur au coin de mon œil gauche. L’éclat d’obus, après avoir fracturé le maxillaire inférieur droit et perforé le palais, s’était arrêté au bord de l’orbite. J’essayais de bouger mais j’étais absolument sans force, ayant perdu la presque totalité de mon sang. Je garde aujourd’hui encore, comme de précieuses reliques, un carnet de tranchée et un petit livre de piété dont les pages sont agglutinées de sang noir coagulé. Et pourtant ces deux objets étaient dans la poche intérieure de ma tunique bleu-horizon.

J’appelai au secours… Non loin de moi, un jeune sous-lieutenant frappé d’une balle au ventre réclamait sa maman…. Aucune réponse. Les copains avaient disparu dans la nuit qui tombait, car déjà, à l’horizon, le soleil rouge s’était couché derrière les sapins noirs…. Je me rendis compte à ce moment-là, —sans aucune crainte, je puis l’affirmer —, que j’allais peut-être « passer l’arme à gauche »… Nous avions vu tant de morts que la mort nous semblait naturelle. Et puis… c’est si facile de mourir à 20 ans, surtout dans le feu de l’action ! Dans mon esprit se déroula alors le film de mon enfance et de ma jeunesse : je revis mon père, ma mère, mon pays natal… Ce que je raconte n’est pas du roman d’imagination mais la réalité vraie, telle que je l’ai éprouvée par moi-même. Comme j’ai le grand bonheur d’être chrétien, je songeai à l’au-delà et j’implorai le secours d’en-haut. Par un phénomène curieux mais qui est encore un de ces « petits faits vrais » qui, selon Stendhal, sont le véritable fondement de la vérité historique, la supplication qui me vint naturellement au bord des lèvres, ce fut la première prière qu’une bonne voisine m’avait apprise alors que j’avais quatre ou cinq ans : le Memorare de Saint Bernard : «Souvenez-vous, ô très douce Vierge Marie, qu’on n’a jamais entendu dire qu’aucun de ceux qui ont eu recours à votre protection ait été abandonné… etc. ». Cette prière, je l’ai récitée, ou plutôt je l’ai criée, non pas une fois, mais quatre ou cinq fois successives. A un moment donné, comme j’étais toujours couché sur le dos et que les obus du tir de barrage ennemi ouvraient des cratères tout autour de moi, la terre projetée en l’air, en retombant, m’emplissait la bouche et je ne pouvais plus lancer ma prière… Je me tournai sur le côté droit et je levais de temps en temps le bras gauche pour donner signe de vie et signaler ma présence… Mais… toujours personne. La nuit maintenant était plus noire. Où donc étaient mes camarades de combat ? J’étais seul,  « couché dessus le sol à la face de Dieu ».

Dessin de Claude Guerini

Soudain j’entends un bruit de pas rapides dans le fourré voisin. Qui était-ce ? Un Français ? Un Allemand ? Peu m’importait dans l’état où j’étais ! Un homme se précipite sur moi : « Comment ? C’est toi ? On m’avait dit que tu étais mort !… Dieu soit béni ! » C’était mon «p’tit Père Quinon», un prêtre brancardier faisant office d’aumônier de bataillon et qui, avec un courage et un sang-froid extraordinaires, parcourait le champ de bataille, après chaque coup dur, pour secourir les blessés. Sans perdre une minute, à l’aide d’un couteau, il coupe les courroies des cartouchières, de la musette, du bidon, de l’outil, du masque à gaz qui enserraient chaque «poilu » comme un paquet mal ficelé. Puis il me fait un pansement sommaire, me dit quelques paroles d’espoir et s’en va à la recherche des brancardiers. Pas facile de les atteindre, dans un bois, la nuit !… Le bombardement a diminué d’intensité mais il tombe encore assez d’obus pour tuer un brave soldat mauriennais qui se disposait à venir me relever. Pour moi, l’attente est longue. Il me tarde d’être sorti de cet enfer. Enfin les brancardiers arrivent. Jusque-là, je n’ai pas souvenance d’avoir beaucoup, beaucoup souffert… Mais quand ces braves Samaritains se saisirent de mon corps pantelant pour l’étendre sur une civière et m’emporter sur leurs épaules, ce fut terrible ! Les os brisés de ma mâchoire s’entrechoquaient ; les branches des arbres me raclaient le visage. La douleur me fit évanouir… pour ne me réveiller qu’au poste ambulancier de la Veuve, près de Reims. Là on me fit une piqûre antitétanique et on me nettoya la bouche à l’aide d’un petit jet d’eau giclant par le trou béant de ma mâchoire brisée. Couvert de terre et de sang, j’étais en bien piteux état !

S’ensuit pour notre jeune François toute une série d’opérations, énucléation (ablation de l’œil), pose d’une prothèse artificielle, plusieurs opérations au niveau des maxillaires…

Ah ! on n’y allait pas par quatre chemins ! Le praticien s’efforçait, non sans mal, de fixer les deux mâchoires à leur place normale. Après quoi on vous plaçait des crochets derrière les dents, en haut et en bas, et on ligotait le tout à l’aide de mince fil de fer ou de laiton. Et le blessé restait ainsi, durant un mois, la bouche fermée… […] notre nourriture n’était composée que de liquides, de soupes et de purées, que l’on faisait passer, en les aspirant, par les interstices des dents. A certains jours, dans le réfectoire de ce Centre de stomatologie, où étaient soignés quelque 400 blessés de la face comme moi, on se serait cru dans une porcherie !… Je n’insiste pas.

C’était triste. Et pourtant la bonne, la saine gaîté française —voire gauloise ! —ne perdait pas ses droits.

Quelques jours après la libération,  François BEAUQUIS sort de l’hôpital et il est renvoyé chez lui.

Comment dire l’émotion qui nous étreignit, quand nous nous revîmes, ma mère et moi !… J’étais parti plein de jeunesse, alerte, fier et joyeux, et je revenais invalide, défiguré, hâve et sans force… mais heureux quand même d’avoir fait mon devoir et d’avoir pour ma modeste part contribué au salut de ma patrie.

Extraits de Petit Florilège brution : souvenirs d’un ancien professeur du Prytanée militaire / F. Beauquis – Imprimerie P. Bellée, Coutances, 1959

BEAUQUIS François né en 1897 à Marcellaz-Albanais (74), dcd en 1979, fille d’Albert Auguste et de Marguerite BEAUQUIS – conjoint : MENTHON Noëlle Joséphine – 0 enfants




Les gueules cassées (2)

Après la guerre, malgré son handicap (il a perdu un œil), François BEAUQUIS reprend ses études, avec beaucoup de courage comme il l’exprime lui-même :

On comprendra mieux, après le récit d’une si rude épreuve, le courage qui me fut nécessaire pour reprendre mes études après plusieurs années d’interruption. Heureux les jeunes professeurs qui ont la chance de pouvoir, sans aucune rupture, préparer à la suite bachot, licence et agrégation !…

C’est à ce moment-là qu’il a dû croiser le chemin de notre grand-père, Raymond MAÎTRE, soit en leur qualité d’étudiants (notre grand-père  fut immatriculé à la Faculté des Lettres de Besançon de 1922 à 1926), soit de jeunes professeurs à l’Institution Saint-Jean, Square Castan.

Mais Besançon ne fut qu’une courte étape pour notre jeune François, puisqu’en septembre 1929, il intègre le Prytanée militaire de la Flèche, dans la Sarthe[1], où il exerça jusqu’à l’âge de la retraite comme Professeur de lettres classiques[2].

Il reçut la Légion d’honneur en 1919 , se maria en septembre 1932 à Faverges (74) avec Noëlle Joséphine, descendante de la prestigieuse famille MENTHON, mais le couple n’eut pas de descendance.

En fin de carrière, en 1957, il écrivit ses mémoires d’ancien professeur du Prytanée militaire, mémoires sur lesquelles je me base pour écrire cette chronique. C’est un récit captivant, très bien écrit et plein d’humour qui restitue bien les sentiments que peut éprouver un enseignant à cette époque.

Des liens d’amitié se sont établis entre notre grand-père et lui, puisque François Eugène BEAUQUIS fut le parrain de notre oncle François. J’ignore s’ils ont toujours maintenu des relations, ne serait-ce que de manière épistolaire, mais au moment où il écrivait ses mémoires, il était sans doute loin d’imaginer que son copain de fac’, resté à Besançon, mettrait fin à ses jours de manière brutale le 10 mars 1957…


[1] Constituant actuellement l’un des 6 lycées de la Défense, le Prytanée a toujours été une école prestigieuse depuis sa fondation par Henri IV en 1603. D’abord Grand Collège confié aux Pères Jésuites, il fut transformé par Napoléon 1er en Prytanée militaire en 1808.

[2] A l’exception des périodes mouvementées de la Seconde guerre mondiale où il fut obligé de s’expatrier à Gap et à Valence.

BEAUQUIS François né en 1897 à Marcellaz-Albanais (74), dcd en 1979, fille d’Albert Auguste et de Marguerite BEAUQUIS – conjoint : MENTHON Noëlle Joséphine – 0 enfants




Les gueules cassées (3)

Infographie Bilan 1ère Guerre Mondiale Gueules cassées

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Questionnaire sur la mémoire familiale – Résultats

En 2019-2020, j’ai suivi une formation à distance en histoire des familles et généalogie dispensée par l’Université de Nïmes. Puis en 2021, j’ai enchaîné avec le D.U. Installation du généalogiste professionnel. Dans ce cadre, j’ai été amenée à travailler sur un projet personnel . Mon idée est de créer une activité autour de la mémoire familiale (et de sa transmission) qui selon mon analyse repose sur 3 piliers : la généalogie, le récit de vie et les archives familiales. Pour finaliser mon étude de marché, j’ai lancé un questionnaire que j’ai soumis à mes contacts. En 2 semaines, j’ai reçu 156 réponses, ce qui était déjà un très bon score ! Mais plus encore : les retours étaient très intéressants et m’ont permis d’étayer de manière tout à fait pertinente ma réflexion sur le sujet. Le questionnaire étant à présent clos, je vous propose ci-dessous une petite synthèse des résultats…



Vous… par Anne-Catherine Mouchet




L’affaire du chapeau…

Jusqu’à maintenant, nous avons présenté dans ces colonnes des faits certes pesants pour ceux qui les ont vécus mais qui ne portaient pas à conséquence pour notre génération. Quelle aubaine pour ceux qui n’auraient pas compris que nous portons en nous une bonne part de ceux qui nous ont précédé ! Cependant, il est grand temps de passer à la vitesse supérieure et d’aborder une affaire susceptible d’affecter les descendants de la lignée jurassienne de manière irréversible. J’ai nommé : l’affaire du chapeau…

Dans cette affaire, il est question d’un chapeau, qui apparait et disparait sans que l’on comprenne ni pourquoi ni comment, laissant les porteurs successifs dans la confusion la plus totale. Car cela n’a beau être qu’un vulgaire chapeau, il est resté suffisamment dans la famille pour qu’on s’y attache… L’heure est donc grave, mais ne voulant aucunement influencer le lecteur, je vais tâcher de relater les faits, et uniquement les faits, à charge à chacun de se forger sa propre opinion.

L’affaire remonte au 16ème siècle… A cette époque, nos ancêtres vivaient en paix à Brainans, petit village d’irréductibles jurassiens. La Province de Franche-Comté à laquelle ils appartenaient restait à l’abri des guerres de religion et prospérait sous les princes de la Maison d’Autriche et d’Espagne, les Habsbourg. Parmi les brainanaises et brainanais de l’époque, on compte déjà des BRENIAUX, des DUMONT, des DOUGNIER, des MOLIN, mais aussi des MAISTRE, un patronyme qui serait plutôt à prendre au sens du maître-artisan que du maître opposé au valet (1). Mais qu’à cela ne tienne, on ne peut pas nier qu’un tel nom, d’emblée, ça en jette !!!

Le fait est que des MAISTRE, il y en avait déjà beaucoup dans ce petit village de quelques centaines d’habitants. Ainsi, on voit l’évocation en 1521 d’un Jehan MAISTRE dans un Jugement de la cour de la Gruerie de Colonne concernant les coupes et abattages dans le bois de Boichat et en 1664 d’un François MAISTRE de Bresnans dans une Reconnaissance de cens. (source : Brainans Notre Histoire – actes anciens).

Le S médian était alors de rigueur dans beaucoup de mots, on ne parlait pas de chapeau, encore moins d’accent circonflexe… C’était le temps où on pouvait marcher sur la teste, s’échiner à la tasche et faire des bestises, pour autant qu’on assiste aux vespres… Bref ! pas facile de se démarquer en arborant un couvre-chef original, puisqu’il n’y en avait point…

Vers la fin du 17ème siècle, le S médian disparait au profit d’un i surmonté d’un gros pâté dont on ne saurait dire s’il s’agit d’un accent circonflexe ou d’un point bien appuyé, comme dans l’exemple ci-dessous, extrait d’un acte en vue de la mise en place d’une rente au profit du Sieur Pierre Hugon sur Jean MAITRE et son épouse Jeanne DUMOND le 25/10/1716 (source : Brainans Notre Histoire – actes anciens)

Et c’est là que l’affaire du chapeau prend sa source, là qu’un chapeau, jamais vu auparavant fait son apparition, comme par un tour de prestidigitation… De la colombe au chapeau, du chapeau à la colombe, il y a peu…

En moins de 100 ans, de MAISTRE, on passe ainsi à MAITRE, puis après quelques balbutiements, à MAÎTRE… La mode du chapeau, porté en accent circonflexe, semble s’imposer… Au 19ème et 20ème siècle, si l’on en croit les signatures de nos ascendants qui manifestement savaient écrire, force est de constater que le chapeau est plus souvent présent qu’absent (ci-dessous : à gauche, signature de Philippe sur l’acte de naissance de son fils Félix en 1814, et à droite, signature de Marc sur l’acte de naissance de sa fille Marie Philomène en 1838).

Puis, ci-dessous à gauche, la signature de Félix sur l’acte de naissance de son fils Aldegrin en 1849, et à droite l’inscription de Jean Marie Aldegrin MAÎTRE sur le registre matricule militaire en 1869 (là, aucun doute n’est permis, notre arrière-grand-père porte le chapeau haut et fier !).

Il en est de même lors de l’inscription de son fils Jules Félix Camille sur le registre matricule militaire en 1907

Par la suite, le phénomène se confirme : on veut nous faire porter le chapeau (2) ? eh bien soit, nous le porterons avec dignité, à l’instar de notre grand-père, Raymond MAÎTRE, Professeur de Lettres à Besançon, qui mettait bien l’accent sur son patronyme quand il s’agissait d’identifier ses manuels d’enseignement dans les années 1950

Aucune raison qu’il en fût autrement, puisque lors de son mariage, en 1928, personne, pas même l’officier d’état-civil, ne semble avoir discuté une virgule ou un accent circonflexe des termes du contrat :

et lui-même signe :

En bon héritier, notre père, Bernard, portait encore le chapeau dans son acte de naissance. Et encore tout minot, il traçait un i droit et bien accentué pour indiquer son nom sur sa fiche de renseignements des scouts de France. A croire qu’il avait bien retenu la leçon : un MAÎTRE ne sort jamais sans son chapeau !

C’est pourtant bien durant le règne de notre père que les choses se compliquent, et ce bien malgré lui : on est alors à l’époque où l’accent sur les majuscules n’est pas de mise et constitue même une erreur typographique. Alors, l’accent circonflexe s’inverse et tel un papillon volage virevolte, batifole, et au moment où on en a le plus besoin… paf il n’est plus là ! Et de fait, le fonctionnaire qui officia au mariage de nos parents fit l’erreur suivante sur l’acte de mariage et sur le livret de famille cette graphie et ce, malgré le fait que le patronyme portait un accent circonflexe sur l’acte de naissance :

L’excès de zèle ou la négligence de cet officier assermenté fut certainement le coup de chapeau de trop (3) qui condamna définitivement tous les MAITRE de la lignée à avaler le leur (4), puisque les 3 descendants portent le nom de leur père tel qu’il a été -mal- orthographié sur le livret de famille…

Alors certes, nous pourrions tous autant que nous sommes formuler une requête auprès du Procureur de la République pour récupérer notre dû…. Mais avec certainement beaucoup d’énergie et de dépenses à la clé. Car oui, c’est ainsi : même si l’erreur a été commise par un officier de l’Etat, c’est aux victimes de l’erreur de prouver leur bonne foi… Cela n’est pas sans rappeler la déconvenue identitaire qu’ont connu un grand nombre de porteurs de prénoms composés -dont je fais partie- après l’entrée en vigueur de l’IGREC de 1999, décrétant un beau jour que les prénoms composés comportent un tiret. Si tel n’est pas le cas -et bien sûr que ça n’était pas le cas pour les personnes nées dans les années 50 et 60 car aucune loi ni usage ne le laissaient entendre !- les prénoms composés sont transformés en prénom simple… C’est ainsi qu’aux yeux de la loi, je suis devenue Anne à qui on a ôté préalablement son bonnet… pardon : son chapeau ! Avouez que ça n’est pas de pot !

(je dédie cet article à ma soeurette qui m’a un jour interrogé sur la graphie de notre patronyme, plongée dans les affres d’une question existentielle : MAÎTRE, ou ne pas en mettre ? En espérant lui avoir apporté quelques éclaircissements…)

(1) Source : Les noms de famille et leurs secrets / Jean-Louis Beaucarnot, Paris, 1988

(2) Faire porter le chapeau à quelqu’un :  le rendre responsable d’un échec.

(3) Coup de chapeau : salut donné en soulevant son chapeau ; hommage, témoignage d’admiration, de considération.

(4) Avaler, manger son chapeau : être contraint de changer d’avis, de se dédire.