Lui, Louis, notre poilu…
Quand l’armistice est signée le 11 novembre 1918, il a 27 ans et il ronge son frein… il est en effet cloué au lit à l’hôpital de Mamers dans la Sarthe à cause d’une méchante blessure. Or trois jours auparavant, il a reçu sa permission pour pouvoir rejoindre sa fiancée et se marier. Et il a hâte !…. Alors bien sûr, ce 11 novembre, au moment de l’annonce du cessez-le-feu à 11h, il participe aussi à la liesse populaire au son des cloches et des clairons. Il y a de quoi ! La guerre a fait en France plus d’1,4 millions de morts, dont un tiers de ceux qui avaient entre 19 et 22 ans en 1914. C’est son cas, mais lui, même s’il est blessé, est au moins vivant. Il se demande bien par quel miracle… Même si sa foi lui suggère que Dieu a quelque chose à voir là-dedans… En tout cas, malgré le désarroi qui l’assaille immanquablement, il est loin d’estimer –comme le feront sans doute ses petits-enfants ou arrière-petits-enfants plus tard- que si Dieu existait il n’aurait pas permis une pareille hécatombe…
Pour lui (ou Louis, puisque c’est son prénom), cela marque l’espoir d’en finir avec 6 années d’engagement militaire car en 1914, quand la guerre éclate, il était déjà depuis 2 ans sous les drapeaux … pas de pot !
6 années, 6 longues années (+1 comme nous le verrons plus loin), dont 4 sacrifiées totalement à la guerre, il faut essayer d’imaginer ce que cela représente pour un jeune, on leur doit au moins ça à nos ancêtres : tenter quelques minutes de se mettre à leur place. On te fait rentrer de force dans un tunnel à 20 ans et avec de la chance, tu en ressors à 27 ans, au mieux atterré, au pire complètement cassé ou maboul. Il a beau avoir été élevé dans un esprit patriotique (« servir son pays est un devoir et un honneur » est une des phrases de propagande largement diffusée à l’école), il n’en reste pas moins qu’à un certain moment, notre ancêtre Louis a certainement eu des doutes et pressenti que lui, comme tous ses compatriotes, étaient envoyés au casse-pipe, ni plus, ni moins. D’autant que cette foutue (ça c’est moi qui le dis, pas lui Louis!) guerre, il a eu l’occasion de l’expérimenter non seulement dans ses tripes, mais aussi dans sa peau. Il gardera dans la jambe des débris de grenades qui le feront souffrir toute sa vie et dans la tête bien des images atroces qu’il taira, voulant sans aucun doute préserver ses enfants, puis ses petits-enfants. C’était un taiseux bienveillant et attentif, comme on en fait plus.
Et ce 11 novembre, jour d’armistice, il ne peut s’empêcher de faire un travelling arrière : en août 1914, il est parti comme beaucoup de jeunes bretons appartenant au 47ème régiment d’infanterie de St Malo, non la fleur au fusil comme cela a été dit (eh oui, il fallait l’entretenir cette flamme patriotique !), mais bien certainement avec la peur au ventre. Il est alors dirigé vers l’endroit où on a le plus besoin de chair fraîche : plouf, plouf… ça sera l’Aisne où se joue une belle vraie grande bataille… histoire de le mettre en jambe. En l’occurrence, c’est son bras qui sera touché par une balle fin août. Mais qu’à cela ne tienne, après un repos réglementaire, il repart « comme volontaire » -cette indication trouvée dans ses états de service me laisse dubitative, le document ne donnant pas de précision sur les circonstances dans lesquelles s’exerçait ce libre choix- vers le front, du côté d’Arras… où il est à nouveau blessé en novembre… au bras gauche cette fois. On pourrait se dire qu’il le fait exprès notre petit Louis, qu’il s’inflige des mutilations pour le coup vraiment volontaires, comme de nombreux camarades de tranchées pensant se soustraire au combat… sauf que non, pas du tout, car cette fois, il aurait pu y perdre la vie –et celle de ses descendants par la même occasion- s’il n’avait eu dans son portefeuille une médaille de la Vierge Marie (encore merci mon Dieu !) qui dévia la balle de la trajectoire du coeur. Donc, évacuation puis 3 mois de soins à Bordeaux, et… et… ? suspens…
Et bien hop ! on y retourne… oyé oyé ! En 1915, le front, la patrie, le champ d’honneur, et plus tard les monuments aux morts, ont besoin de toujours plus de soldats, volontaires ou non, jeunes ou moins jeunes. Peu importe ! l’histoire, elle, ne retiendra pas grand-chose de cette jeunesse torpillée et de ces familles décimées. De toute façon, ces jeunes soldats, ils n’ont pas le choix : s’ils refusent d’aller au combat, ils passent en conseil disciplinaire. Et certains, pour l’exemple, sont même fusillés sur le champ (pas d’honneur, celui-là !).
Donc, comme dit : pas le choix… (ou si je voulais user d’un mauvais jeu de mots : pas de bras… pas de chocolat…), il repart pour participer aux batailles de Champagne (septembre-octobre 1915) de la Somme et de Verdun (1916). Bref, il les a a peu près toutes faites… Alors oui, c’est vrai, il obtient à cette occasion une citation relevant ses actes de bravoure, ainsi que la Croix de Guerre, mais qu’est ce qu’une citation et une croix à côté du miracle d’être toujours vivant ? Son meilleur ami, Mathurin GICQUEL, frère de sa future, avec lequel il a passé toute son enfance, n’a pas eu cette chance : il est mort à Assevillers en Picardie le 5 septembre 1916, à l’âge de 29 ans. Mais attention : mort pour la France !!! Quand il l’a appris, cela a dû lui faire un sacré choc à notre petit Louis et entraîner un peu plus vers le bas le curseur du patriotisme.
Pour lui, ça n’est pas fini : en juillet 1917, il est envoyé à Epinal, non pour recevoir une belle image, mais pour suivre un cours de Chef de Section. Puis, fort de ce titre, il rejoint un nouveau régiment qui intervient … devinez où ?… à Verdun ! Mais quelle chance il a d’y retourner !!! Mais comme on dit : quand on aime… on ne compte pas, et surtout pas pour grand chose… C’est là qu’il est blessé par une grenade à la jambe gauche lors d’une attaque dans le bois de Lassigny, dans l’Oise. Quand on voit le bilan des courses là-bas (villages complètement détruits, routes défoncées, population décimée), on se demande comment certains, dont il fait partie, ont pu en réchapper…
C’est ainsi qu’en ce 11 novembre, il se retrouve dans une chambre d’hôpital dans la Sarthe… La boucle est alors bouclée (facile à dire quand on ne fait que relater 7 ans d’une vie d’un ton léger…), on imagine avec quel soulagement ! et certainement avec un « plus jamais ça » qui lui étreint le cœur… Il a dû y croire mordicus, on ne retourne pas deux fois en enfer ! Le 12 décembre 1918, il partira dans les Côtes d’Armor pour se marier, sa permission étant valable jusqu’au 13 janvier 1919 (waouh ! un congé de ouf !!!). Il retournera ensuite à Limoges et c’est seulement en août 1919, après 7 ans dans l’armée !, qu’il sera enfin démobilisé… A ce moment là, il est loin d’imaginer que 20 ans plus tard, ils seraient à nouveau rattrapés par la guerre, lui, son épouse et leurs 3 enfants…
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MORIN Louis, né en 1891 à Ploeuc-sur-Lié (22), dcd en 1973 à Banos (40), fils de Jean et de LECOUTURIER Mathurine, Conjoint : GICQUEL Jeanne, née en 1894 à Plémy (22), dcd en 1983 à Banos (40), mariés le 15 décembre 1918 à Plémy (22), 3 enfants.