Les fêtes (partie I) : nos héros de Noël

Nous sommes en 1960. Depuis quelques mois, ils sont à nouveau des heureux parents ; c’est le premier Noël qu’ils préparent avec la conscience d’être une famille.

Au risque de me tromper, je peux imaginer qu’ils se sont maintes fois interrogés, sur le sens qu’ils veulent donner à cette fête, qui est, pour eux, avant tout religieuse. Ainsi que sur les valeurs qu’ils souhaitent transmettre de manière générale à leurs enfants. En revanche -là encore, au risque de me tromper-, je n’arrive pas à imaginer que la teneur de leurs réflexions soit complètement dissociée de leur foi chrétienne.

En 1960, Noël est en train de muter et de devenir ce qu’on connait trop bien actuellement : une grande fête de famille, associée à une opération commerciale très rentable. Les cadeaux aux enfants se sont généralisés, le Père Noël fait son entrée dans les magasins et dans les foyers pour recueillir les souhaits de ces mêmes enfants qui, pour le coup, deviennent le centre des préoccupations selon le modèle américain. On ne peut plus échapper au sapin décoré de guirlandes et de boules. Le repas de Noël devient également très normé et copieux : dinde ou chapon, saumon, bûche. On est loin de l’orange, seul cadeau offert aux enfants, comme symbole de lumière et d’opulence ! 

Il n’y a pas si longtemps, en 1951, l’église a même tenté en vain de résister à cette perte de sens en brûlant l’effigie du Père Noël devant le parvis de la cathédrale de Dijon et en dénonçant « le mensonge [qui] ne peut éveiller le sentiment religieux chez l’enfant et n’est en aucune façon une méthode d’éducation ». L’ethnologue Claude Lévi-Strauss, alors directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études y trouve d’ailleurs l’occasion d’observer la croissance subite d’un rite.

Pour revenir à nos deux tourtereaux, il ne faut pas oublier qu’ils sont catholiques, pratiquants convaincus et engagés dans des mouvements chrétiens (groupes de réflexion notamment). Pour autant, ils  vivent leur foi de manière intelligente, ouverte et responsable. Et c’est justement –à mon avis- ce qui les poussent à résister à la pression, qu’ils perçoivent plus économique que sociale. Même si on ne peut éluder le fait que tout au long de leur vie, ils n’ont jamais vraiment agi ni pensé « comme tout le monde » et qu’une grande place a été laissée à la fantaisie et à l’inattendu. On parlerait de nos jours d’une faculté à penser « hors de la boîte » J.

Ainsi,  pour ce Noël 1960 –comme pour tous les autres à venir-, il n’y aura ni bonhomme rouge, ni sapin,  ni repas « traditionnel ».

Mais de la magie, oui ! de la fantaisie oui ! du renouvellement permanent,  oui, 1000 fois oui !!!

Mon frère, ma sœur et moi-même n’avons donc jamais eu à croire –puis à ne plus croire- au Père Noël   puisqu’il n’a jamais eu droit de cité dans la famille. Il n’était ni rejeté, ni diabolisé. Il était juste ignoré. Il existait bel et bien pour les autres, pas pour nous.

Pour autant, les cadeaux empruntaient toujours des circuits très mystérieux pour arriver jusqu’à nous. Ils n’étaient pas donnés de la main à la main, ils apparaissaient comme par magie aux endroits et moments où on les attendait le moins.

Pas de sapin non plus à la maison, mais des décors et des costumes dignes de Roger Harth et Donald Cardwell (une référence à l’émission « Au théâtre ce soir » que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître). Une féérie toujours renouvelée, des décorations raffinées,  toujours préparées en secret et que nous découvrions à un moment donné, moment qui était lui aussi minutieusement choisi. Rien n’était laissé au hasard en terme d’effet surprise !  Nous avons ainsi eu droit à des pistes aux étoiles, des Noëls citrouilles, un « sapin » fabriqué avec de vieux skis, etc.

Voici quelques exemples de décorations imaginées et mises en œuvre par nos parents dans les années 1960, pendant que nous dormions :

Source : photos famille

Pour ce qui est de repas, jamais de dinde aux marrons (il a fallu attendre l’âge adulte pour voir à quoi cela ressemblait, et vouloir l’oublier tout aussi vite !). Dans ce domaine aussi, le renouvellement était permanent, ainsi que la fantaisie… A Noël (comme à tout autre moment de l’année), on pouvait tout aussi bien manger des frites (faites maison et dans un cornet comme dans le Nord !), que des crêpes. Ou bien faire un repas à l’envers, à savoir : commencer par le dessert et finir par l’entrée. Ou encore : installer la table dans chacune des pièces de la maison (sauf dans les WC !). Ou encore : changer de place à chaque plat, etc.

A côté de cela, jusqu’à notre adolescence, la prière était de mise, ainsi que la messe du soir, du lendemain ou de minuit, selon la programmation du moment… Ajoutant d’ailleurs un peu d’inhabituel et de magie à l’évènement (même si parfois cela pouvait paraître long et barbant !).

Il y avait vraiment un mélange des genres, une vision moderne de la vie et de l’éducation qui cohabitait avec un attachement sincère à des valeurs religieuses familiales. En y repensant, je crois vraiment qu’au départ le choix de nos parents de ne pas donner crédit aux symboles classiques de Noël était motivé par la manière dont ils voulaient vivre leur foi avec leurs enfants. Mais je crois aussi qu’ils se sont laissés prendre à leur propre jeu, chacun trouvant sa place dans un rôle qui lui allait à merveille : elle comme créatrice-modiste, lui comme inventeur-bricoleur de l’impossible. Et enfin, en tant que couple, comme super-parents, puis super-grands-parents (comme nous le verrons dans la 2ème partie) faisant d’eux nos héros de Noël

MAITRE Bernard né en 1929 à Besançon (25), dcd en 2014 , fils de Raymond et de AYMONIER Rose et MORIN Thérèse née en 1927 à Lille (59), dcd en 2009, fille de Louis et de GICQUEL Jeanne – 3 enfants




Lui, Louis, notre poilu…

Quand l’armistice est signée le 11 novembre 1918, il a 27 ans et il ronge son frein… il est en effet cloué au lit à l’hôpital de Mamers dans la Sarthe à cause d’une méchante blessure. Or trois jours auparavant, il a reçu sa permission pour pouvoir rejoindre sa fiancée et se marier. Et il a hâte !…. Alors bien sûr, ce 11 novembre, au moment de l’annonce du cessez-le-feu à 11h, il participe aussi à la liesse populaire au son des cloches et des clairons. Il y a de quoi ! La guerre a fait en France plus d’1,4 millions de morts, dont un tiers de ceux qui avaient entre 19 et 22 ans en 1914. C’est son cas, mais lui, même s’il est blessé, est au moins vivant. Il se demande bien par quel miracle… Même si sa foi lui suggère que Dieu a quelque chose à voir là-dedans… En tout cas, malgré le désarroi qui l’assaille immanquablement, il est loin d’estimer –comme le feront sans doute ses petits-enfants ou arrière-petits-enfants plus tard- que si Dieu existait il n’aurait pas permis une pareille hécatombe…

Pour lui (ou Louis, puisque c’est son prénom), cela marque l’espoir d’en finir avec 6 années d’engagement militaire car en 1914, quand la guerre éclate, il était déjà depuis 2 ans sous les drapeaux … pas de pot !

6 années, 6 longues années (+1 comme nous le verrons plus loin), dont 4 sacrifiées totalement à la  guerre, il faut essayer d’imaginer ce que cela représente pour un jeune, on leur doit au moins ça à nos ancêtres : tenter quelques minutes de se mettre à leur place. On te fait rentrer de force dans un tunnel à 20 ans et avec de la chance, tu en ressors à 27 ans, au mieux atterré, au pire complètement cassé ou maboul. Il a beau avoir été élevé dans un esprit patriotique (« servir son pays est un devoir et un honneur » est une des phrases de propagande largement diffusée à l’école), il n’en reste pas moins qu’à un certain moment, notre ancêtre Louis a certainement eu des doutes et pressenti que lui, comme tous ses compatriotes, étaient envoyés au casse-pipe, ni plus, ni moins. D’autant que cette foutue (ça c’est moi qui le dis, pas lui Louis!) guerre, il a eu l’occasion de l’expérimenter non seulement  dans ses tripes, mais aussi dans sa peau. Il gardera dans la jambe des débris de grenades qui le feront souffrir toute sa vie et dans la tête bien des images atroces qu’il taira, voulant sans aucun doute préserver ses enfants, puis ses petits-enfants. C’était un taiseux bienveillant et attentif, comme on en fait plus.

Et ce 11 novembre, jour d’armistice, il ne peut s’empêcher de faire un travelling arrière : en août 1914, il est parti comme beaucoup de jeunes bretons appartenant au 47ème régiment d’infanterie de St Malo, non la fleur au fusil comme cela a été dit (eh oui, il fallait l’entretenir cette flamme patriotique !), mais bien certainement avec la peur au ventre. Il est alors dirigé vers l’endroit où on a le plus besoin de chair fraîche : plouf, plouf… ça sera l’Aisne où se joue une belle vraie grande bataille… histoire de le mettre en jambe. En l’occurrence, c’est son bras qui sera  touché par une balle fin août. Mais qu’à cela ne tienne, après un repos réglementaire,   il repart « comme volontaire » -cette indication trouvée dans ses états de service me laisse dubitative, le document ne donnant pas de précision sur les circonstances dans lesquelles s’exerçait ce libre choix-  vers le front, du côté d’Arras… où il est à nouveau blessé en novembre… au bras gauche cette fois.  On pourrait se dire qu’il le fait exprès notre petit Louis, qu’il s’inflige des mutilations pour le coup vraiment volontaires, comme de nombreux camarades de tranchées pensant se soustraire au combat…  sauf que non, pas du tout, car cette fois, il aurait pu y perdre la vie –et celle de ses descendants par la même occasion- s’il n’avait eu dans son portefeuille une médaille de la Vierge Marie (encore merci mon Dieu !)  qui dévia la balle de la trajectoire du coeur. Donc, évacuation puis 3 mois de soins à Bordeaux, et… et… ? suspens…

Et bien hop ! on y retourne… oyé oyé !  En 1915, le front, la patrie, le champ d’honneur, et plus tard les monuments aux morts, ont besoin de toujours plus de soldats, volontaires ou non, jeunes ou moins jeunes. Peu importe ! l’histoire, elle, ne retiendra pas grand-chose de cette jeunesse torpillée et de ces familles décimées. De toute façon, ces jeunes soldats, ils n’ont pas le choix : s’ils refusent d’aller au combat,  ils passent en conseil disciplinaire. Et certains, pour l’exemple, sont même fusillés sur le champ (pas d’honneur, celui-là !).

Donc, comme dit : pas le choix… (ou si je voulais user d’un mauvais jeu de mots : pas de bras… pas de chocolat…), il repart pour participer aux batailles de Champagne (septembre-octobre 1915) de la Somme et de Verdun (1916). Bref, il les a a peu près toutes faites… Alors oui, c’est vrai, il obtient à cette occasion une citation relevant ses actes de bravoure, ainsi que la Croix de Guerre, mais qu’est ce qu’une citation et une croix à côté du miracle d’être toujours vivant ? Son meilleur ami, Mathurin GICQUEL, frère de sa future, avec lequel il a passé toute son enfance,  n’a pas eu cette chance : il est mort à Assevillers en Picardie le 5 septembre 1916, à l’âge de 29 ans. Mais attention : mort pour la France !!! Quand il l’a appris, cela a dû lui faire un sacré choc à notre petit Louis et entraîner un peu plus vers le bas le curseur du patriotisme.

Pour lui,  ça n’est pas fini : en juillet 1917, il est envoyé à Epinal, non pour recevoir une belle image, mais pour suivre un cours de Chef de Section. Puis, fort de ce titre,   il rejoint un nouveau régiment qui intervient … devinez où ?…  à Verdun ! Mais quelle chance il a d’y retourner !!! Mais comme on dit : quand on aime… on ne compte pas, et surtout pas pour grand chose… C’est là qu’il est blessé par une grenade à la jambe gauche lors d’une attaque dans le bois de Lassigny, dans l’Oise. Quand on voit le bilan des courses là-bas (villages complètement détruits, routes défoncées, population décimée), on se demande comment certains, dont il fait partie, ont pu en réchapper…

C’est ainsi qu’en ce 11 novembre, il se retrouve dans une chambre d’hôpital dans la Sarthe… La boucle est alors bouclée (facile à dire quand on ne fait que relater 7 ans d’une vie d’un ton léger…), on imagine avec quel soulagement ! et certainement avec un « plus jamais ça » qui lui étreint le cœur… Il a dû y croire mordicus, on ne retourne pas deux fois en enfer ! Le 12 décembre 1918, il partira dans les Côtes d’Armor pour se marier, sa permission étant valable jusqu’au 13 janvier 1919 (waouh ! un congé de ouf !!!). Il retournera ensuite à Limoges et c’est seulement en août 1919, après 7 ans dans l’armée !, qu’il sera enfin démobilisé… A ce moment là, il est loin d’imaginer que 20 ans plus tard, ils seraient à nouveau rattrapés par la guerre, lui, son épouse et leurs 3 enfants…

Voir aussi la Photothèque Personnes

MORIN Louis, né en 1891 à Ploeuc-sur-Lié (22), dcd en 1973 à Banos (40), fils de Jean et de LECOUTURIER Mathurine, Conjoint : GICQUEL Jeanne, née en 1894 à Plémy (22), dcd en 1983 à Banos (40), mariés le 15 décembre 1918 à Plémy (22), 3 enfants.  




Acte de mariage : annotation mystérieuse

Enoncé du problème

14 avril 1858 : Gaspard TOURLAQUE et Marie Joséphine LAILLET se marient à Aboncourt, petit village de Haute-Saône. Gaspard, 29 ans, est fils de Pierre et de Louise DUNAUX, décédés du choléra (cf article), respectivement le 11 août et 29 août 1854, Il est noté dans l’acte de mariage que « lesdites naissances et décès [sont] constatés par les registres de l’état-civil de cette commune que nous avons sous les yeux ». Or, en marge de l’acte de mariage susmentionné (ABONCOURT 1853/1862 NMD – p. 55/112), on trouve une annotation qui semble pour le moins contradictoire avec l’acte de mariage…

Sur notre interpellation, et conformément à l’avis du conseil d’état du quatre thermidor, an treize, ledit Tourlaque Gaspard nous a déclaré par serment, que le lieu de décès et du dernier domicile de ses aïeuls et aïeules était inconnu, et les quatre témoins ci-après nommés nous ont également affirmés sous la foi du serment qu’ils connaissaient bien le futur, mais qu’ils ignoraient le lieu de décès et du dernier domicile de ses ascendants.

Cette annotation semble incompréhensible puisqu’elle vient contredire l’acte de mariage lui-même qui indique le lieu de décès des parents de l’époux. Et on ne peut imaginer à notre époque avoir besoin de se préoccuper du sort des grands-parents quand il s’agit d’un mariage entre personnes consentantes et majeures.

Et pourtant, et pourtant… il s’agit bien là des grands-parents dudit Gaspard TOURLAQUE

Solution du problème

La réponse nous est donnée par Maurice Garden, dans son ouvrage “Un historien dans la ville” (1), chapitre intitulé “Mariages parisiens à la fin du XIXème siècle : une microanalyse quantitative” :

En règle générale, personne, même s’il est majeur, même s’il est veuf ou divorcé, ne peut contracter union sans le consentement de ses parents. Cela signifie que tout nouvel époux doit prouver que ses ascendants sont vivants ou décédés. S’ils sont vivants, ils doivent obligatoirement « consentir » au mariage de leur fils ou de leur fille, quel que soit son âge. Leur consentement peut être direct, assuré par leur présence physique à la cérémonie du mariage et leur signature sur le registre des actes ; il peut être remplacé par un acte notarié adressé à la mairie qui affirme leur consentement. Si les deux parents d’un nouveau conjoint sont décédés (ce que prouve un double de leur acte de décès), il faut encore faire la preuve qu’aucun aïeul ne survit : si c’est le cas (et l’acte de décès des parents sert de preuve pour connaître la survie ou le décès de leurs parents, ce qui n’est pas toujours observé), l’officier d’état civil doit exiger le consentement de tout aïeul paternel ou maternel survivant, soit par sa présence effective, soit par un acte notarié. Le plus souvent, le maire se contente de la déclaration des époux et des témoins qui affirment “bien connaître le (la) futur époux (épouse), et que tous leurs ascendants sont décédés, mais qu’ils ignorent la date et le lieu de leur décès”. 

(1) Garden, M. 2008. Un historien dans la ville. Éditions de la Maison des sciences de l’homme. doi :10.4000/books.editionsmsh.9936